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En disant ces dernières paroles, la voix de Rodolphe s’était tristement émue.

Le Maître d’école ne ressentait presque plus de terreur… Il crut que Rodolphe avait voulu l’effrayer avant que d’arriver à cette moralité. Presque rassuré par la douceur de l’accent de son juge, le brigand, d’autant plus insolent qu’il était moins effrayé, dit avec un rire grossier:

– Ah çà, devinons-nous des charades, ou sommes-nous au catéchisme, ici?…

Le Noir regarda Rodolphe avec inquiétude; il s’attendait à un accès de fureur de sa part.

Il n’en fut rien… le jeune homme secoua la tête avec une ineffable expression de tristesse et dit au docteur:

– Faites, David… Que Dieu me punisse seul si je me trompe!…

Et Rodolphe cacha sa figure dans ses deux mains…

À ces mots: «Faites, David!», le nègre sonna.

Deux hommes vêtus de noir entrèrent. D’un signe le docteur leur montra la porte d’un cabinet latéral.

Les deux hommes y roulèrent le fauteuil où le Maître d’école était garrotté de façon à ne pouvoir faire aucun mouvement. La tête était fixée au dossier par une écharpe qui entourait le cou et les épaules.

– Assujettissez le front au fauteuil avec un mouchoir, et bâillonnez-le avec un autre, dit David sans entrer dans le cabinet.

– Vous voulez donc m’égorger maintenant?… grâce!… dit le Maître d’école, grâce!… et…

Puis l’on n’entendit plus rien qu’un murmure confus. Les deux hommes reparurent… Le docteur leur fit un signe, ils sortirent.

– Monseigneur?… dit une dernière fois le Noir à Rodolphe, d’un air interrogatif.

– Faites, répondit Rodolphe sans changer de position.

David entra lentement dans le cabinet.

– Monsieur Rodolphe, j’ai peur, dit le Chourineur tout pâle et d’une voix tremblante. Monsieur Rodolphe, parlez-moi donc… j’ai peur… est-ce que je rêve?… Mais qu’est-ce donc qu’il lui fait, au Maître d’école, le nègre? Monsieur Rodolphe, on n’entend rien… Ça me fait plus peur encore.

David sortit du cabinet; il était pâle comme le sont les nègres.

Ses lèvres étaient blanches.

Il sonna.

Les deux hommes reparurent.

– Ramenez le fauteuil.

On ramena le Maître d’école.

– Otez-lui son bâillon.

On le lui ôta.

– Vous voulez donc me mettre à la torture?… s’écria le Maître d’école avec plus de colère que de douleur. Pourquoi vous êtes-vous amusé à me piquer les yeux ainsi?… Vous m’avez fait mal… Est-ce pour me martyriser encore dans l’ombre que vous avez éteint les lumières ici comme là-dedans?…

Il y eut un moment de silence effrayant.

– Vous êtes aveugle, dit enfin David d’une voix émue.

– Ça n’est pas vrai! ça n’est pas possible! Vous avez fait la nuit exprès!… s’écria le brigand en faisant de violents efforts sur son fauteuil.

– Otez-lui ses liens, qu’il se lève, qu’il marche, dit Rodolphe.

Les deux hommes firent tomber les liens du Maître d’école.

Il se leva brusquement, fit un pas en tendant ses mains devant lui, puis retomba dans le fauteuil en levant les bras au ciel.

– David, donnez-lui ce portefeuille, dit Rodolphe.

Le nègre mit dans les mains tremblantes du Maître d’école un petit portefeuille.

– Il y a dans ce portefeuille assez d’argent pour t’assurer un abri… et du pain… jusqu’à la fin de tes jours dans quelque solitude. Maintenant tu es libre… va-t’en… et repens-toi… le Seigneur est miséricordieux!

– Aveugle! répéta le Maître d’école en tenant machinalement le portefeuille à sa main.

– Ouvrez les portes… qu’il parte! dit Rodolphe.

On ouvrit les portes avec fracas.

– Aveugle! aveugle! aveugle!!! répéta le brigand anéanti. Mon Dieu! c’est donc vrai!

– Tu es libre, tu as de l’argent, va-t’en!

– Mais je ne puis m’en aller… moi! Comment voulez-vous que je fasse? Je n’y vois plus!! s’écria-t-il avec désespoir. Mais c’est un crime affreux que d’abuser ainsi de sa force pour…

– C’est un crime affreux d’abuser de sa force! répéta Rodolphe en l’interrompant d’une voix solennelle. Et toi, qu’en as-tu fait, de ta force?

– Oh! la mort… Oui, j’aurais préféré la mort! s’écria le Maître d’école. Être à la merci de tout le monde, avoir peur de tout! Un enfant me battrait maintenant! Que faire? Mon Dieu! que faire?

– Tu as de l’argent.

– On me le volera! dit le brigand.

– On te le volera! Entends-tu ces mots… que tu dis avec crainte, toi qui as volé? Va-t’en!

– Pour l’amour de Dieu, dit le Maître d’école d’un air suppliant, que quelqu’un me conduise! Comment vais-je faire dans les rues?… Ah! tuez-moi! venez, tuez-moi! je vous le demande, par pitié… tuez-moi!

– Non, un jour tu te repentiras.

– Jamais, jamais je ne me repentirai! s’écria le Maître d’école avec rage. Oh! je me vengerai! Allez… je me vengerai!…

Et, grinçant les dents de rage, il se précipita hors du fauteuil, les poings fermés et menaçants.

Au premier pas qu’il fit, il trébucha.

– Non, non, je ne pourrai pas!… et être si fort pourtant! Ah! je suis bien à plaindre… Personne n’a pitié de moi, personne.

Et il pleura.

Il est impossible de peindre l’effroi, la stupeur du Chourineur pendant cette scène terrible: sa sauvage et rude figure exprimait la compassion. Il s’approcha de Rodolphe et lui dit à voix basse:

– Monsieur Rodolphe, il n’a peut-être que ce qu’il mérite… c’est un fameux scélérat! Il a aussi voulu me tuer tantôt; mais maintenant il est aveugle, il pleure. Tenez, tonnerre! il me fait de la peine… il ne sait comment s’en aller. Il peut se faire écraser dans les rues. Voulez-vous que je le conduise quelque part où il pourra être tranquille au moins?