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– Prends garde à toi… tu cherches une querelle, et tu trouveras une tournée que tu ne cherches pas.

– Une tournée… à moi?

– Oui… meilleure que la dernière.

– Comment, Nicolas! dit Calebasse avec un étonnement sardonique, Martial t’a battu… Dites donc, ma mère, entendez-vous?… Ça ne m’étonne plus, que Nicolas ait si peur de lui.

– Il m’a battu… parce qu’il m’a pris en traître, s’écria Nicolas devenant blême de fureur.

– Tu mens; tu m’avais attaqué en sournois, je t’ai crossé et j’ai eu pitié de toi; mais si tu t’avises encore de parler de ma maîtresse… entends-tu bien, de ma maîtresse… cette fois-ci pas de grâce… tu porteras longtemps mes marques.

– Et si j’en veux parler, moi, de la Louve, dit Calebasse…

– Je te donnerai une paire de calottes pour t’avertir, et si tu recommences… je recommencerai à t’avertir.

– Et si j’en parle, moi? dit lentement la veuve.

– Vous?

– Oui… moi.

– Vous? dit Martial en faisant un violent effort sur lui-même, vous?

– Tu me battras aussi? N’est-ce pas?

– Non, mais si vous me parlez de la Louve, je rosserai Nicolas; maintenant, allez… ça vous regarde… et lui aussi…

– Toi, s’écria le bandit furieux en levant son dangereux couteau catalan, tu me rosseras!!!

– Nicolas… pas de couteau! s’écria la veuve en se levant promptement pour saisir le bras de son fils; mais celui-ci, ivre de vin et de colère, se leva, repoussa rudement sa mère et se précipita sur son frère.

Martial se recula vivement, saisit le gros bâton noueux qu’il avait en entrant déposé sur le buffet et se mit sur la défensive.

– Nicolas, pas de couteau! répéta la veuve.

– Laissez-le donc faire! cria Calebasse en s’armant de la hachette du ravageur.

Nicolas, brandissant toujours son formidable couteau, épiait le moment de se jeter sur son frère.

– Je te dis, s’écria-t-il, que toi et ta canaille de Louve je vous crèverai tous les deux, et je commence… À moi, ma mère!… À moi, Calebasse!… Refroidissons-le, il y a trop longtemps qu’il dure!

Et, croyant le moment favorable à son attaque, le brigand s’élança sur son frère le couteau levé.

Martial, bâtonniste expert, fit une brusque retraite de corps, leva son bâton, qui, rapide comme la foudre, décrivit en sifflant un huit de chiffre et retomba si pesamment sur l’avant-bras droit de Nicolas que celui-ci, frappé d’un engourdissement subit, douloureux, laissa échapper son couteau.

– Brigand… tu m’as cassé le bras! s’écria-t-il en saisissant de sa main gauche son bras droit, qui pendait inerte à son côté.

– Non, j’ai senti mon bâton rebondir…, répondit Martial en envoyant d’un coup de pied le couteau sous le buffet.

Puis, profitant de la souffrance qu’éprouvait Nicolas, il le prit au collet, le poussa rudement en arrière, jusqu’à la porte du petit caveau dont nous avons parlé, l’ouvrit d’une main, de l’autre y jeta et y enferma son frère, encore tout étourdi de cette brusque attaque.

Revenant ensuite aux deux femmes, il saisit Calebasse par les épaules et, malgré sa résistance, ses cris et un coup de hachette qui le blessa légèrement à la main, il l’enferma dans la salle basse du cabaret qui communiquait à la cuisine.

Alors, s’adressant à la veuve, encore stupéfaite de cette manœuvre aussi habile qu’inattendue, Martial lui dit froidement:

– Maintenant, ma mère… à nous deux…

– Eh bien!… oui… à nous deux…, s’écria la veuve; et sa figure impassible s’anima, son teint blafard se colora, un feu sombre illumina sa prunelle jusqu’alors éteinte; la colère, la haine, donnèrent à ses traits un caractère terrible. Oui… à nous deux!… reprit-elle d’une voix menaçante; j’attendais ce moment, tu vas savoir à la fin ce que j’ai sur le cœur.

– Et moi aussi, je vais vous dire ce que j’ai sur le cœur.

– Tu vivrais cent ans, vois-tu, que tu te souviendrais de cette nuit…

– Je m’en souviendrai!… Mon frère et ma sœur ont voulu m’assassiner, vous n’avez rien fait pour les en empêcher… Mais voyons… parlez… qu’avez-vous contre moi?

– Ce que j’ai?…

– Oui…

– Depuis la mort de ton père… tu n’as fait que des lâchetés!

– Moi?

– Oui, lâche!… Au lieu de rester avec nous pour nous soutenir, tu t’es sauvé à Rambouillet, braconner dans les bois avec ce colporteur de gibier que tu avais connu à Bercy.

– Si j’étais resté ici, maintenant je serais aux galères comme Ambroise, ou près d’y aller comme Nicolas: je n’ai pas voulu être voleur comme vous autres… de là votre haine.

– Et quel métier fais-tu? Tu volais du gibier, tu voles du poisson; vol sans danger, vol de lâche!…

– Le poisson, comme le gibier, n’appartient à personne; aujourd’hui chez l’un, demain chez l’autre, il est à qui sait le prendre… Je ne vole pas… Quant à être lâche…

– Tu bats pour de l’argent des hommes plus faibles que toi!

– Parce qu’ils avaient battu plus faible qu’eux.

– Métier de lâche!… Métier de lâche!…

– Il y en a de plus honnêtes, c’est vrai; ce n’est pas à vous à me le dire!

– Pourquoi ne les as-tu pas pris alors, ces métiers honnêtes, au lieu de venir ici fainéantiser et vivre à mes crochets?

– Je vous donne le poisson que je prends et l’argent que j’ai!… Ça n’est pas beaucoup, mais c’est assez… je ne vous coûte rien… J’ai essayé d’être serrurier pour gagner plus… mais quand depuis son enfance on a vagabondé sur la rivière et dans les bois, on ne peut pas s’attacher ailleurs; c’est fini… on en a pour sa vie… Et puis…, ajouta Martial d’un air sombre, j’ai toujours mieux aimé vivre seul sur l’eau ou dans une forêt… là personne ne me questionne. Au lieu qu’ailleurs, qu’on me parle de mon père, faut-il pas que je réponde… guillotiné! de mon frère… galérien! de ma sœur… voleuse!

– Et de ta mère, qu’en dis-tu?

– Je dis…

– Quoi?

– Je dis qu’elle est morte…

– Et tu fais bien; c’est tout comme… Je te renie, lâche! Ton frère est au bagne! Ton grand-père et ton père ont bravement fini sur l’échafaud en narguant le prêtre et le bourreau! Au lieu de les venger, tu trembles!…

– Les venger?

– Oui, te montrer vrai Martial, cracher sur le couteau de Charlot et sur la casaque rouge, et finir comme père et mère, frère et sœur…

Si habitué qu’il fût aux exaltations féroces de sa mère, Martial ne put s’empêcher de frissonner.

La physionomie de la veuve du supplicié, en prononçant ces derniers mots, était épouvantable.