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– Monsieur… retirez-vous…

– Vous ne voulez pas ouvrir, une fois… deux fois?…

– Je vous prie de vous retirer ou j’appelle…

– Une fois… deux fois… trois fois… non… vous ne voulez pas? Alors je démolis tout!… Hue! donc.

Et le misérable donna un si furieux coup dans la porte qu’elle céda, la méchante serrure qui la fermait ayant été brisée.

Les deux femmes poussèrent un grand cri d’effroi.

Mme de Fermont, malgré sa faiblesse, se précipita au-devant du bandit au moment où il mettait un pied dans le cabinet et lui barra le passage.

– Monsieur, cela est indigne! Vous n’entrerez pas! s’écria la malheureuse mère en retenant de toutes ses forces la porte entrebâillée. Je vais crier au secours…

Et elle frissonnait à l’aspect de cet homme à figure hideuse et avinée.

– De quoi, de quoi? reprit-il, est-ce que l’on ne s’oblige pas entre voisins? Il fallait m’ouvrir, j’aurais rien enfoncé.

Puis, avec l’obstination stupide de l’ivresse, il ajouta, en chancelant sur ses jambes inégales:

– Je veux entrer, j’entrerai… et je ne sortirai pas que je n’aie allumé ma pipe.

– Je n’ai ni feu ni allumettes. Au nom du ciel, monsieur, retirez-vous.

– C’est pas vrai, vous dites ça pour que je ne voie pas la petite qui est couchée. Hier vous avez bouché les trous de la porte. Elle est gentille, je veux la voir… Prenez garde à vous… je vous casse la figure, si vous ne me laissez pas entrer… je vous dis que je verrai la petite dans son lit et que j’allumerai ma pipe… Ou bien je démolis tout! Et vous avec!…

– Au secours, mon Dieu!… Au secours!… cria Mme de Fermont, qui sentit la porte céder sous un violent coup d’épaule du gros boiteux.

Intimidé par ces cris, l’homme fit un pas en arrière et montra le poing à Mme de Fermont en lui disant:

– Tu me payeras ça, va… Je reviendrai cette nuit, je t’empoignerai la langue et tu ne pourras pas crier…

Et le gros boiteux, comme on l’appelait à l’île du Ravageur, descendit en proférant d’horribles menaces.

Mme de Fermont, craignant qu’il ne revînt sur ses pas et voyant la serrure brisée, traîna la table contre la porte afin de la barricader.

Claire avait été si émue, si bouleversée de cette horrible scène, qu’elle était retombée sur son grabat presque sans mouvement, en proie à une crise nerveuse.

Mme de Fermont, oubliant sa propre frayeur, courut à sa fille, la serra dans ses bras, lui fit boire un peu d’eau et, à force de soins, de caresses, parvint à la ranimer.

Elle la vit bientôt reprendre peu à peu ses sens et lui dit:

– Calme-toi… rassure-toi, ma pauvre enfant… ce méchant homme s’en est allé.

Puis la malheureuse mère s’écria avec un accent d’indignation et de douleur indicible:

– C’est pourtant ce notaire qui est la cause première de toutes nos tortures!…

Claire regardait autour d’elle avec autant d’étonnement que de crainte.

– Rassure-toi, mon enfant, reprit Mme de Fermont en embrassant tendrement sa fille, ce misérable est parti.

– Mon Dieu, maman, s’il allait remonter? Tu vois bien, tu as crié au secours, et personne n’est venu… Oh! je t’en supplie, quittons cette maison… j’y mourrai de peur.

– Comme tu trembles!… Tu as la fièvre.

– Non, non, dit la jeune fille pour rassurer sa mère, ce n’est rien, c’est la frayeur, cela se passe… Et toi, comment vas-tu? Donne tes mains… Mon Dieu, comme elles sont brûlantes! Vois-tu, c’est toi qui souffres, tu veux me le cacher.

– Ne crois pas cela, je me trouvais mieux que jamais! C’est l’émotion que cet homme m’a causée qui me rend ainsi; je dormais sur la chaise très-profondément, je ne me suis éveillée qu’en même temps que toi…

– Pourtant, maman, tes pauvres yeux sont bien rouges… bien enflammés!

– Ah! tu conçois, mon enfant, sur une chaise, le sommeil repose moins… vois-tu!

– Bien vrai, tu ne souffres pas?

– Non, non, je t’assure… Et toi?

– Ni moi non plus; seulement je tremble encore de peur. Je t’en supplie, maman, quittons cette maison.

– Et où irons-nous? Tu sais avec combien de peine nous avons trouvé ce malheureux cabinet… car nous sommes malheureusement sans papiers, et puis nous avons payé quinze jours d’avance, on ne nous rendrait pas notre argent… et il nous reste si peu, si peu… que nous devons ménager le plus possible.

– Peut-être M. de Saint-Remy te répondra-t-il un jour ou l’autre.

– Je ne l’espère plus… Il y a si longtemps que je lui ai écrit!

– Il n’aura pas reçu ta lettre… Pourquoi ne lui écrirais-tu pas de nouveau? D’ici à Angers ce n’est pas si loin, nous aurions bien vite sa réponse.

– Ma pauvre enfant, tu sais combien cela m’a coûté déjà…

– Que risques-tu? Il est si bon malgré sa brusquerie! N’était-il pas un des plus vieux amis de mon père?… Et puis enfin il est notre parent…

– Mais il est pauvre lui-même; sa fortune est bien modeste… Peut-être ne nous répond-il pas pour s’éviter le chagrin de nous refuser.

– Mais s’il n’avait pas reçu ta lettre, maman?

– Et s’il l’a reçue, mon enfant… De deux choses l’une: ou il est lui-même dans une position trop gênée pour venir à notre secours… ou il ne ressent aucun intérêt pour nous: alors à quoi bon nous exposer à un refus ou à une humiliation?

– Allons, courage, maman, il nous reste encore un espoir… Peut-être ce matin nous rapportera-t-on une bonne réponse…

– De M. d’Orbigny?

– Sans doute… Cette lettre dont vous aviez fait autrefois le brouillon était si simple, si touchante… exposait si naturellement notre malheur, qu’il aura pitié de nous… Vraiment, je ne sais qui me dit que vous avez tort de désespérer de lui.

– Il a si peu de raisons de s’intéresser à nous! Il avait, il est vrai, autrefois connu ton père, et j’avais souvent entendu mon pauvre frère parler de M. d’Orbigny comme d’un homme avec lequel il avait eu de très-bonnes relations avant que celui-ci ne quittât Paris pour se retirer en Normandie avec sa jeune femme.

– C’est justement cela qui me fait espérer; il a une jeune femme, elle sera compatissante… Et puis, à la campagne, on peut faire tant de bien! Il vous prendrait, je suppose, pour femme de charge, moi je travaillerais à la lingerie… Puisque M. d’Orbigny est très-riche, dans une grande maison il y a toujours de l’emploi…

– Oui; mais nous avons si peu de droits à son intérêt!…

– Nous sommes si malheureuses!

– C’est un titre aux yeux des gens très-charitables, il est vrai.

– Espérons que M. d’Orbigny et sa femme le sont…

– Enfin, dans le cas où il ne faudrait rien attendre de lui, je surmonterais encore ma fausse honte, et j’écrirais à Mme la duchesse de Lucenay.

– Cette dame dont M. de Saint-Remy nous parlait si souvent, dont il vantait sans cesse le bon cœur et la générosité?