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– Moi aussi… et, comme j’ai la même maladie que la femme qui vient de mourir, je n’ai pu m’empêcher de m’écrier: En voilà une qui ne souffre plus; elle est bien heureuse!

– Oui… comme je vous le disais… si elle n’a pas d’enfant!

– Vous en avez donc… vous, des enfants?

– Trois…, dit la sœur de Pique-Vinaigre avec un soupir. Et vous?

– J’ai eu une petite fille… mais je ne l’ai pas gardée longtemps. La pauvre enfant avait été frappée d’avance; j’avais eu trop de misère pendant ma grossesse. Je suis blanchisseuse au bateau; j’avais travaillé tant que j’ai pu aller. Mais tout a une fin; quand la force m’a manqué, le pain m’a manqué aussi. On m’a renvoyée de mon garni; je ne sais pas ce que je serais devenue, sans une pauvre femme qui m’a prise avec elle dans une cave où elle se cachait pour se sauver de son homme qui voulait la tuer. C’est là que j’ai accouché sur la paille; mais, par bonheur, cette brave femme connaissait une jeune fille, belle et charitable comme un ange du bon Dieu; cette jeune fille avait un peu d’argent; elle m’a retirée de ma cave, m’a bien établie dans un cabinet garni dont elle a payé un mois d’avance… me donnant en outre un berceau d’osier pour mon enfant, et quarante francs pour moi avec un peu de linge. Grâce à elle, j’ai pu me remettre sur pied et reprendre mon ouvrage.

– Bonne petite fille… Tenez, moi aussi, j’ai rencontré par hasard comme qui dirait sa pareille, une jeune ouvrière bien serviable. J’étais allée… voir mon pauvre frère qui est prisonnier… dit Jeanne après un moment d’hésitation, et j’ai rencontré au parloir cette ouvrière dont je vous parle: m’ayant entendu dire que je n’étais pas heureuse, elle est venue à moi, bien embarrassée, pour m’offrir de m’être utile selon ses moyens, la pauvre enfant…

– Comme c’était bon à elle!

– J’ai accepté: elle m’a donné son adresse, et, deux jours après, cette chère petite Mlle Rigolette… elle s’appelle Rigolette… m’avait fait une commande…

– Rigolette! s’écria la Lorraine; voyez donc comme ça se rencontre!

– Vous la connaissez?

– Non; mais la jeune fille qui a été si généreuse pour moi a plusieurs fois prononcé devant moi le nom de Mlle Rigolette; elles étaient amies ensemble…

– Eh bien! dit Jeanne en souriant tristement, puisque nous sommes voisines de lit, nous devrions être amies comme nos deux bienfaitrices.

– Bien volontiers; moi, je m’appelle Annette Gerbier, dit la Lorraine, blanchisseuse.

– Et moi, Jeanne Duport, ouvrière frangeuse… Ah! c’est si bon, à l’hospice, de pouvoir trouver quelqu’un qui ne vous soit pas tout à fait étranger, surtout quand on y vient pour la première fois, et qu’on a beaucoup de chagrins! Mais je ne veux pas penser à cela… Dites-moi, la Lorraine… et comment s’appelait la jeune fille qui a été si bonne pour vous?

– Elle s’appelait la Goualeuse. Tout mon chagrin est de ne l’avoir pas revue depuis longtemps… Elle était jolie comme une Sainte Vierge, avec de beaux cheveux blonds et des yeux bleus si doux, si doux… Malheureusement, malgré son secours, mon pauvre enfant est mort… à deux mois; il était si chétif, il n’avait que le souffle… et la Lorraine essuya une larme.

– Et votre mari?

– Je ne suis pas mariée… je blanchissais à la journée chez une riche bourgeoise de mon pays: j’avais toujours été sage, mais je m’en suis laissé conter par le fils de la maison, et alors…

– Ah! oui… je comprends.

– Quand j’ai vu l’état où je me trouvais, je n’ai pas osé rester au pays; M. Jules, c’était le fils de la riche bourgeoise, m’a donné cinquante francs pour venir à Paris, disant qu’il me ferait passer vingt francs tous les mois pour ma layette et pour mes couches; mais, depuis mon départ de chez nous, je n’ai plus jamais rien reçu de lui, pas seulement de ses nouvelles; je lui ai écrit une fois, il ne m’a pas répondu… je n’ai pas osé recommencer, je voyais bien qu’il ne voulait plus entendre parler de moi…

– Et c’est lui qui vous a perdue, pourtant; et il est riche?

– Sa mère a beaucoup de bien chez nous; mais que voulez-vous? je n’étais plus là… il m’a oubliée…

– Mais au moins… il n’aurait pas dû vous oublier, à cause de son enfant.

– C’est au contraire cela, voyez-vous, qui l’aura rendu mal pour moi; il m’en aura voulu d’être enceinte, parce que je lui devenais un embarras.

– Pauvre Lorraine!

– Je regrette mon enfant, pour moi, mais pas pour elle; pauvre chère petite! elle aurait eu trop de misère et aurait été orpheline de trop bonne heure… car je n’en ai pas pour longtemps à vivre…

– On ne doit pas avoir de ces idées-là à votre âge. Est-ce qu’il y a beaucoup de temps que vous êtes malade?

– Bientôt trois mois… Dame, quand j’ai eu à gagner pour moi et mon enfant, j’ai redoublé de travail, j’ai repris trop vite mon ouvrage à mon bateau; l’hiver était très-froid, j’ai gagné une fluxion de poitrine: c’est à ce moment-là que j’ai perdu ma petite fille. En la veillant, j’ai négligé de me soigner… et puis par là-dessus le chagrin… enfin je suis poitrinaire… condamnée comme l’était l’actrice qui vient de mourir.

– À votre âge, il y a toujours de l’espoir.

– L’actrice n’avait que deux ans de plus que moi, et vous voyez.

– Celle que les bonnes sœurs veillent maintenant, c’était donc une actrice?

– Mon Dieu, oui. Voyez le sort… Elle avait été belle comme le jour. Elle avait eu beaucoup d’argent, des équipages, des diamants; mais par malheur la petite vérole l’a défigurée, alors la gêne est venue, puis la misère, enfin la voilà morte à l’hospice. Du reste, elle n’était pas fière; au contraire, elle était bien douce et bien honnête pour toute la salle… Jamais personne n’est venu la voir; pourtant, il y a quatre ou cinq jours, elle nous disait qu’elle avait écrit à un monsieur qu’elle avait connu autrefois dans son beau temps, et qui l’avait bien aimée; elle lui écrivait pour le prier de venir réclamer son corps, parce que cela lui faisait mal de penser qu’elle serait disséquée… coupée en morceaux.

– Et ce monsieur… il est venu?

– Non.

– Ah! c’est bien mal.

– À chaque instant la pauvre femme demandait après lui, disant toujours: «Oh! il viendra, oh! il va venir, bien sûr…» et pourtant elle est morte sans qu’il soit venu…

– Sa fin lui aura été plus pénible encore.

– Oh! mon Dieu! oui, car ce qu’elle craignait tant arrivera à son pauvre corps…

– Après avoir été riche, heureuse, mourir ici, c’est triste! Au moins, nous autres nous ne changeons que de misères…

– À propos de ça, reprit la Lorraine après un moment d’hésitation, je voudrais bien que vous me rendiez un service.

– Parlez…

– Si je mourais, comme c’est probable, avant que vous sortiez d’ici, je voudrais que vous réclamiez mon corps… J’ai la même peur que l’actrice… et j’ai mis là le peu d’argent qui me reste pour me faire enterrer.