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– Sa mère!!!

– Mon Dieu, oui… sa mère, à qui on l’avait enlevé tout enfant, et qu’il n’espérait plus revoir. Vous pensez leur bonheur à tous deux. Quand Mme Georges a eu bien pleuré, bien embrassé son fils, ç’a été mon tour. M. Rodolphe lui avait sans doute écrit de bonnes choses de moi, car elle m’a dit, en me serrant dans ses bras, qu’elle savait ma conduite pour son fils. «Et si vous le voulez, ma mère, dit Germain, Rigolette sera votre fille aussi. – Si je le veux! mes enfants, de tout mon cœur; je le sais, jamais tu ne trouveras une meilleure ni une plus gentille femme.» Nous voilà donc installés dans une belle ferme avec Germain, sa mère et ses oiseaux, que j’avais fait venir, pauvres petites bêtes! pour qu’ils soient aussi de la partie. Quoique je n’aime pas la campagne, les jours passaient si vite que c’était comme un rêve; je ne travaillais que pour mon plaisir: j’aidais Mme Georges, je me promenais avec Germain, je chantais, je sautais, c’était à en devenir folle… Enfin notre mariage est arrêté pour il y a eu hier quinze jours… La surveille, qui est-ce qui arrive dans une belle voiture? un grand gros monsieur chauve, l’air excellent, qui m’apporte, de la part de M. Rodolphe, une corbeille de mariage. Figurez-vous, Louise, un grand coffre de bois de rose, avec ces mots écrits dessus en lettres d’or sur une plaque de porcelaine bleue: «Travail et sagesse, amour et bonheur.» J’ouvre le coffre, qu’est-ce que je trouve? des petits bonnets de dentelle comme celui que je porte, des robes en pièces, des bijoux, des gants, cette écharpe, un beau châle; enfin, c’était comme un conte de fées.

– C’est vrai au moins que c’est comme un conte de fées; mais voyez comme ça vous a porté bonheur… d’être si bonne, si laborieuse.

– Quant à être bonne et laborieuse… ma chère Louise, je ne l’ai pas fait exprès… ça s’est trouvé ainsi… tant mieux pour moi… Mais ça n’est pas tout: au fond du coffret je découvre un joli portefeuille avec ces mots: «Le voisin à sa voisine.» Je l’ouvre: il y avait deux enveloppes, l’une pour Germain, l’autre pour moi; dans celle de Germain, je trouve un papier qui le nommait directeur d’une banque pour les pauvres, avec quatre mille francs d’appointements; lui, dans l’enveloppe qui m’était destinée, trouve un bon de quarante mille francs sur le… sur le Trésor… oui… c’est cela, c’était ma dot… Je veux le refuser; mais Mme Georges, qui avait causé avec le grand monsieur chauve et avec Germain, me dit: «Mon enfant, vous pouvez, vous devez accepter; c’est la récompense de votre sagesse, de votre travail… et de votre dévouement à ceux qui souffrent… Car c’est en prenant sur vos nuits, au risque de vous rendre malade et de perdre ainsi vos seuls moyens d’existence, que vous êtes allée consoler vos amis malheureux.»

– Oh! ça, c’est bien vrai, s’écria Louise; il n’y en a pas une autre comme vous au moins… mademoi… madame Germain.

– À la bonne heure!… Moi, je dis au gros monsieur chauve que ce que j’ai fait c’est par plaisir; il me répond: «C’est égal, M. Rodolphe est immensément riche; votre dot est de sa part un gage d’estime, d’amitié: votre refus lui causerait un grand chagrin; il assistera d’ailleurs à votre mariage, et il vous forcera bien d’accepter.»

– Quel bonheur que tant de richesse tombe à une personne aussi charitable que M. Rodolphe!

– Sans doute il est bien riche, mais s’il n’était que cela… Ah! ma bonne Louise, si vous saviez ce que c’est que M. Rodolphe!… Et moi qui lui ai fait porter mes paquets!!! Mais patience… vous allez voir… La veille du mariage… le soir, très-tard, le grand monsieur chauve arrive en poste; M. Rodolphe ne pouvait pas venir… il était souffrant, mais le grand monsieur chauve venait le remplacer… C’est seulement alors, ma bonne Louise, que nous avons appris que votre bienfaiteur, que le nôtre, était… devinez quoi?… un prince!

– Un prince?

– Qu’est-ce que je dis, un prince… une altesse royale, un grand-duc régnant, un roi en petit… Germain m’a expliqué ça.

– M. Rodolphe!

– Hein! ma pauvre Louise! Et moi qui lui avais demandé de m’aider à cirer ma chambre!

– Un prince… presque un roi! C’est ça qu’il a tant de pouvoir pour faire le bien.

– Vous comprenez ma confusion, ma bonne Louise. Aussi, voyant que c’était presque un roi, je n’ai pas osé refuser la dot. Nous avons été mariés. Il y a huit jours, M. Rodolphe nous a fait dire, à nous deux Germain et à Mme Georges, qu’il serait très-content que nous lui fissions une visite de noce; nous y allons. Dame, vous comprenez, le cœur me battait fort; nous arrivons rue Plumet, nous entrons dans un palais: nous traversons des salons remplis de domestiques galonnés, de messieurs en noir avec des chaînes d’argent au cou et l’épée au côté, d’officiers en uniforme; que sais-je, moi? et puis des dorures, des dorures partout, qu’on en était ébloui. Enfin, nous trouvons le monsieur chauve dans un salon avec d’autres messieurs tout chamarrés de broderies; il nous introduit dans une grande pièce, où nous trouvons M. Rodolphe… c’est-à-dire le prince, vêtu très-simplement et l’air si bon, si franc, si peu fier… enfin l’air si M. Rodolphe d’autrefois, que je me suis sentie tout de suite à mon aise, en me rappelant que je lui avais fait m’attacher mon châle, me tailler des plumes et me donner le bras dans la rue.

– Vous n’avez plus eu peur? Oh! moi, comme j’aurais tremblé!

– Eh bien! moi, non. Après avoir reçu Mme Georges avec une bonté sans pareille et offert sa main à Germain, le prince m’a dit en souriant: «Eh bien! ma voisine, comment vont papa Crétu et Ramonette? (C’est le nom de mes oiseaux; faut-il qu’il soit aimable pour s’en être souvenu!) Je suis sûr, a-t-il ajouté, que maintenant vous et Germain vous luttez de chants joyeux avec vos jolis oiseaux? – Oui, monseigneur. (Mme Georges nous avait fait la leçon toute la route, à nous deux Germain, nous disant qu’il fallait appeler le prince monseigneur.) Oui, monseigneur, notre bonheur est grand, et il nous semble plus doux et plus grand encore parce que nous vous le devons. – Ce n’est pas à moi que vous le devez, mon enfant, mais à vos excellentes qualités et à celles de Germain.» Et cætera, et cætera, je passe le reste de ses compliments. Enfin nous avons quitté ce seigneur le cœur un peu gros, car nous ne le verrons plus. Il nous a dit qu’il retournait en Allemagne sous peu de jours, peut-être qu’il est déjà parti; mais, parti ou non, son souvenir sera toujours avec nous.