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Hier je le veillais; seul auprès de lui, le croyant endormi, je n’avais pu retenir mes larmes, qui coulaient silencieusement en songeant à mes beaux jours de Gerolstein. Il me vit pleurer, car il sommeillait à peine, et j’étais complètement absorbé par ma douleur; il m’interrogea avec la plus touchante bonté; j’attribuai ma tristesse aux inquiétudes que m’avait données sa santé, mais, il ne fut pas dupe de cette défaite.

Maintenant que vous savez tout, mon bon Maximilien, dites, mon sort est-il assez désespéré?… Que faire?… Que résoudre?…

Ah! mon ami, je ne puis vous dire mon angoisse. Que va-t-il arriver, mon Dieu?… Tout est à jamais perdu! Je suis le plus malheureux des hommes, si mon père ne renonce pas à son projet.

Voici ce qui vient d’arriver:

Tout à l’heure, je terminais cette lettre, lorsqu’à mon grand étonnement, mon père, que je croyais couché, est entré dans son cabinet, où je vous écrivais; il vit sur son bureau mes quatre premières grandes pages déjà remplies, j’étais à la fin de celle-ci.

– À qui écris-tu si longuement? me demanda-t-il en souriant.

– À Maximilien, mon père.

– Oh! me dit-il avec une expression d’affectueux reproche, je sais qu’il a toute ta confiance… Il est bien heureux, lui!

Il prononça ces derniers mots d’un ton si douloureusement navré que, touché de son accent, je lui répondis en lui donnant ma lettre presque sans réflexion:

– Lisez, mon père…

Mon ami, il a tout lu. Savez-vous ce qu’il m’a dit ensuite, après être resté quelque temps méditatif?

– Henri, je vais écrire au grand-duc ce qui s’est passé pendant votre séjour à Gerolstein.

– Mon père, je vous en conjure, ne faites pas cela.

– Ce que vous racontez à Maximilien est-il scrupuleusement vrai?

– Oui, mon père.

– En ce cas, jusqu’ici votre conduite a été loyale… Le prince l’appréciera. Mais il ne faut pas qu’à l’avenir vous vous montriez indigne de sa noble confiance, ce qui arriverait si, abusant de son offre, vous retourniez plus tard à Gerolstein dans l’intention peut-être de vous faire aimer de sa fille.

– Mon père… pouvez-vous penser…?

– Je pense que vous aimez avec passion, et que la passion est tôt ou tard une mauvaise conseillère.

– Comment! mon père, vous écrirez au prince que…

– Que vous aimez éperdument votre cousine.

– Au nom du ciel! mon père, je vous en supplie, n’en faites rien!

– Aimez-vous votre cousine?

– Je l’aime avec idolâtrie, mais…

Mon père m’interrompit.

– En ce cas, je vais écrire au grand-duc et lui demander pour vous la main de sa fille…

– Mais, mon père, une telle prétention est insensée de ma part!

– Il est vrai… Néanmoins je dois faire franchement cette demande au prince, en lui exposant les raisons qui m’imposent cette démarche. Il vous a accueilli avec la plus loyale hospitalité, il s’est montré pour vous d’une bonté paternelle, il serait indigne de moi et de vous de le tromper. Je connais l’élévation de son âme, il sera sensible à mon procédé d’honnête homme; s’il refuse de vous donner sa fille, comme cela est presque indubitable, il saura du moins qu’à l’avenir, si vous retourniez à Gerolstein, vous ne devez plus vivre avec elle dans la même intimité. Vous m’avez, mon enfant, ajouta mon père avec bonté, librement montré la lettre que vous écriviez à Maximilien. Je suis maintenant instruit de tout; il est de mon devoir d’écrire au grand-duc… et je vais lui écrire à l’instant même.

Vous le savez, mon ami, mon père est le meilleur des hommes, mais il est d’une inflexible ténacité de volonté lorsqu’il s’agit de ce qu’il regarde comme son devoir; jugez de mes angoisses, de mes craintes. Quoique la démarche qu’il va tenter soit, après tout, franche et honorable, elle ne m’en inquiète pas moins. Comment le grand-duc accueillera-t-il cette folle demande? N’en sera-t-il pas choqué, et la princesse Amélie ne sera-t-elle pas aussi blessée que j’aie laissé mon père prendre une résolution pareille sans son agrément?

Ah! mon ami, plaignez-moi, je ne sais que penser. Il me semble que je contemple un abîme et que le vertige me saisit…

Je termine à la hâte cette longue lettre; bientôt je vous écrirai. Encore une fois, plaignez-moi, car en vérité je crains de devenir fou si la fièvre qui m’agite dure longtemps encore. Adieu, adieu, tout à vous de cœur et à toujours.

HENRI D’H. O.

Maintenant nous conduirons le lecteur au palais de Gerolstein, habité par Fleur-de-Marie depuis son retour de France.

IV La princesse Amélie

L’appartement occupé par Fleur-de-Marie (nous ne l’appellerons la princesse Amélie qu’officiellement) dans le palais grand-ducal avait été meublé, par les soins de Rodolphe, avec un goût et une élégance extrêmes.

Du balcon de l’oratoire de la jeune fille on découvrait au loin les deux tours du couvent de Sainte-Hermangilde, qui, dominant d’immenses massifs de verdure, étaient elles-mêmes dominées par une haute montagne boisée, au pied de laquelle s’élevait l’abbaye. Par une belle matinée d’été, Fleur-de-Marie laissait errer ses regards sur ce splendide paysage qui s’étendait au loin. Coiffée en cheveux, elle portait une robe montante d’étoffe printanière blanche à petites raies bleues; un large col de batiste très-simple, rabattu sur ses épaules, laissait voir les deux bouts et le nœud d’une petite cravate de soie du même bleu que la ceinture de sa robe.

Assise dans un grand fauteuil d’ébène sculpté, à haut dossier de velours cramoisi, le coude soutenu par un des bras de ce siège, la tête un peu baissée, elle appuyait sa joue sur le revers de sa petite main blanche, légèrement veinée d’azur.

L’attitude languissante de Fleur-de-Marie, sa pâleur, la fixité de son regard, l’amertume de son demi-sourire révélaient une mélancolie profonde.

Au bout de quelques moments, un soupir profond, douloureux, souleva son sein. Laissant alors retomber la main où elle appuyait sa joue, elle inclina davantage encore sa tête sur sa poitrine. On eût dit que l’infortunée se courbait sous le poids de quelque grand malheur.

À cet instant une femme d’un âge mûr, d’une physionomie grave et distinguée, vêtue avec une élégante simplicité, entra presque timidement dans l’oratoire et toussa légèrement pour attirer l’attention de Fleur-de-Marie.

Celle-ci, sortant de sa rêverie, releva vivement la tête et dit en saluant avec un mouvement plein de grâce:

– Que voulez-vous, ma chère comtesse?

– Je viens prévenir Votre Altesse que monseigneur la prie de l’attendre; car il va se rendre ici dans quelques minutes, répondit la dame d’honneur de la princesse Amélie avec une formalité respectueuse.

– Aussi je m’étonnais de n’avoir pas encore embrassé mon père aujourd’hui; j’attends avec tant d’impatience sa visite de chaque matin!… Mais j’espère que je ne dois pas à une indisposition de Mlle d’Harneim le plaisir de vous voir deux jours de suite au palais, ma chère comtesse?

– Que Votre Altesse n’ait aucune inquiétude à ce sujet; Mlle d’Harneim m’a priée de la remplacer aujourd’hui; demain elle aura l’honneur de reprendre son service auprès de Votre Altesse, qui daignera peut-être excuser ce changement.