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– Rien de plus touchant, au contraire, pauvre enfant! dit Clémence profondément émue.

– Maintenant, reprit Rodolphe, je comprends pourquoi tu m’as reproché un jour, d’un air chagrin, de t’avoir trompée sur ce portrait.

– Hélas! oui, mon père… Jugez de ma confusion, lorsque plus tard la supérieure m’apprit que ce portrait était celui de son neveu, l’un de nos parents… Alors, mon trouble fut extrême, je tâchai d’oublier mes premières impressions, mais, plus j’y tâchais, plus elles s’enracinaient dans mon cœur, par suite même de la persévérance de mes efforts… Malheureusement encore, souvent je vous entendis, mon père, vanter le cœur, l’esprit, le caractère du prince Henri…

– Tu l’aimais déjà, mon enfant chérie, alors que tu n’avais encore vu que son portrait et entendu parler que de ses rares qualités.

– Sans l’aimer, mon père, je sentais pour lui un attrait que je me reprochais amèrement; mais je me consolais en pensant que personne au monde ne saurait ce triste secret, qui me couvrait de honte à mes propres yeux. Oser aimer… moi… moi… et puis ne pas me contenter de votre tendresse, de celle de ma seconde mère! Ne vous devais-je pas assez pour employer toutes les forces, toutes les ressources de mon cœur à vous chérir tous deux?… Oh! croyez-moi, parmi mes reproches, ces derniers furent les plus douloureux. Enfin, pour la première fois je vis mon cousin… à cette grande fête que vous donniez à l’archiduchesse Sophie; le prince Henri ressemblait d’une manière si saisissante à son portrait que je le reconnus tout d’abord… Le soir même, mon père, vous m’avez présenté à mon cousin, en autorisant entre nous l’intimité que permet la parenté.

– Eh bientôt vous vous êtes aimés?

– Ah! mon père, il exprimait son respect, son attachement, son admiration pour vous avec tant d’éloquence… vous m’aviez dit vous-même tant de bien de lui!…

– Il le méritait… Il n’est pas de caractère plus élevé, il n’est pas de meilleur et de plus valeureux cœur.

– Ah! de grâce, mon père… ne le louez pas ainsi… Je suis déjà si malheureuse!…

– Et moi, je tiens à te bien convaincre de toutes les rares qualités de ton cousin… Ce que je te dis t’étonne… Je le conçois, mon enfant… Continue…

– Je sentais le danger que je courais en voyant le prince Henri chaque jour, et je ne pouvais me soustraire à ce danger. Malgré mon aveugle confiance en vous, mon père, je n’osais vous exprimer mes craintes. Je mis tout mon courage à cacher cet amour; pourtant, je vous l’avoue, mon père, malgré mes remords, souvent, dans cette fraternelle intimité de chaque jour, oubliant le passé, j’éprouvai des éclairs de bonheur inconnu jusqu’alors, mais bientôt suivis, hélas! de sombres désespoirs, dès que je retombais sous l’influence de mes tristes souvenirs… Car, hélas! s’ils me poursuivaient au milieu des hommages et des respects de personnes presque indifférentes, jugez, jugez… mon père, de mes tortures, lorsque le prince Henri me prodiguait les louanges les plus délicates… m’entourait d’une adoration candide et pieuse, mettant, disait-il, l’attachement fraternel qu’il ressentait pour moi sous la sainte protection de sa mère, qu’il avait perdue bien jeune. Du moins, ce doux nom de sœur qu’il me donnait, je tâchais de le mériter, en conseillant mon cousin sur son avenir, selon mes faibles lumières, en m’intéressant à tout ce qui le touchait, en me promettant de toujours vous demander pour lui votre bienveillant appui… Mais souvent, aussi, que de tourments, que de pleurs dévorés, lorsque par hasard le prince Henri m’interrogeait sur mon enfance, sur ma première jeunesse… Oh! tromper… toujours tromper… toujours craindre… toujours mentir, toujours trembler devant le regard de celui qu’on aime et qu’on respecte, comme le criminel tremble devant le regard inexorable de son juge!… Oh! mon père! j’étais coupable, je le sais, je n’avais pas le droit d’aimer; mais j’expiais ce triste amour par bien des douleurs… Que vous dirai-je? Le départ du prince Henri, en me causant un nouveau et violent chagrin, m’a éclairée… J’ai vu que je l’aimais plus encore que je ne croyais… Aussi, ajouta Fleur-de-Marie avec accablement, et comme si cette confession eût épuisé ses forces, bientôt je vous aurais fait cet aveu, car ce fatal amour a comblé la mesure de ce que je souffre… Dites, maintenant que vous savez tout, dites, mon père, est-il pour moi un autre avenir que celui du cloître?

– Il en est un autre, mon enfant… oui… et cet avenir est aussi doux et aussi riant, aussi heureux que celui du couvent est morne et sinistre!

– Que dites-vous, mon père?

– Écoute-moi à mon tour… Tu sens bien que je t’aime trop, que ma tendresse est trop clairvoyante pour que ton amour et celui d’Henri m’aient échappé; au bout de quelques jours, je fus certain qu’il t’aimait, plus encore peut-être que tu ne l’aimes…

– Mon père… non… non… c’est impossible, il ne m’aime pas à ce point.

– Il t’aime, te dis-je… Il t’aime avec passion, avec délire.

– Ô mon Dieu! Mon Dieu!

– Écoute encore… lorsque je t’ai fait cette plaisanterie du portrait, j’ignorais qu’Henri dût venir bientôt voir sa tante à Gerolstein. Lorsqu’il y vint, je cédai au penchant qu’il m’a toujours inspiré; je l’invitai à nous voir souvent… Jusqu’alors, je l’avais traité comme mon fils, je ne changeai rien à ma manière d’être envers lui… Au bout de quelques jours, Clémence et moi nous ne pûmes douter de l’attrait que vous éprouviez l’un pour l’autre… Si ta position était plus douloureuse, ma pauvre enfant, la mienne aussi était pénible, et surtout d’une délicatesse extrême… Comme père, sachant les rares et excellentes qualités d’Henri, je ne pouvais qu’être profondément heureux de votre attachement, car jamais je n’aurais pu rêver un époux plus digne de toi.

– Ah! mon père… pitié! pitié!

– Mais, comme homme d’honneur, je songeais au triste passé de mon enfant… Aussi, loin d’encourager les espérances d’Henri, dans plusieurs entretiens je lui donnai des conseils absolument contraires à ceux qu’il aurait dû attendre de moi si j’avais songé à lui accorder ta main. Dans des conjonctures si délicates, comme père et comme homme d’honneur, je devais garder une neutralité rigoureuse, ne pas encourager l’amour de ton cousin, mais le traiter avec la même affabilité que par le passé… Tu as été jusqu’ici si malheureuse, mon enfant chérie, que, te voyant pour ainsi dire te ranimer sous l’influence de ce noble et pur amour, pour rien au monde je n’aurais voulu te ravir ces joies divines et rares. En admettant même que cet amour dût être brisé plus tard… tu aurais au moins connu quelques jours d’innocent bonheur… Et puis, enfin… cet amour pouvait assurer ton repos à venir…

– Mon repos?

– Écoute encore… Le père d’Henri, le prince Paul, vient de m’écrire; voici sa lettre… Quoiqu’il regarde cette alliance comme une faveur inespérée… il me demande ta main pour son fils, qui, me dit-il, éprouve pour toi l’amour le plus respectueux et le plus passionné.

– Ô mon Dieu! Mon Dieu! dit Fleur-de-Marie, en cachant son visage dans ses mains, j’aurais pu être si heureuse!

– Courage, ma fille bien-aimée! Si tu le veux, ce bonheur est à toi! s’écria tendrement Rodolphe.

– Oh! jamais!… Jamais!… Oubliez-vous?…

– Je n’oublie rien… Mais que demain tu entres au couvent, non-seulement je te perds à jamais… mais tu me quittes pour une vie de larmes et d’austérités… Eh bien! te perdre pour te perdre… qu’au moins je te sache heureuse et mariée à celui que tu aimes… et qui t’adore.