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«Une autre de ces familles vient de perdre son chef, honnête ouvrier peintre, qui, en travaillant, est tombé d’un quatrième étage. Il laisse une femme enceinte et plusieurs enfants en bas âge dans la plus profonde douleur et le plus grand dénuement.»

C’est avec bonheur, je vous l’avoue, monsieur, que j’ai cité cette page, où mon nom est inscrit d’une manière si flatteuse; car je me regarderai toujours comme récompensé au delà de toute espérance chaque fois que je croirai avoir inspiré, par mes écrits, quelque action généreuse ou quelque pensée charitable, et l’idée mise en pratique par les fondateurs de La Ruche populaire me semble de ce nombre.

Ainsi les personnes riches qui voudraient s’abonner à ce journal mensuel (six francs par an, au bureau de La Ruche , rue des Quatre-Fils, n° 17, au Marais) seraient chaque mois instruites de quelque infortune respectable qu’il leur serait peut-être doux de soulager; car, disons-le hautement, il y a généralement en France beaucoup de commisération pour ceux qui souffrent; mais bien souvent l’occasion manque pour exercer la charité d’une façon profitable au cœur, et, si cela peut se dire, intéressante. Sous ce rapport, La Ruche populaire offrirait de précieux renseignements aux âmes d’élite qui recherchent les pures et nobles jouissances.

Un dernier mot, monsieur.

Comme vous avez été de moitié dans mon œuvre par l’immense publicité que vous lui avez donnée, je crois pouvoir vous instruire d’un résultat dont vous vous féliciterez, je l’espère, avec moi. On m’écrit de Bordeaux et de Lyon que plusieurs personnes riches et compatissantes s’occupent de réaliser dans ces deux villes mon projet d’une banque de prêts gratuits pour les travailleurs sans ouvrage, et quelqu’un qui fait ici l’usage le plus généreux et le plus éclairé d’une immense fortune m’a donné, au sujet d’une fondation pareille pour Paris, les plus encourageantes espérances.

Souhaitons maintenant, monsieur, qu’un législateur véritablement ami du peuple prenne en main les questions relatives:

«À l’établissement d’avocats des pauvres;

«À l’abaissement du taux exorbitant de l’intérêt prélevé par le mont-de-piété;

«À la tutelle préservatrice exercée par l’État sur les enfants des suppliciés et des condamnés à perpétuité;

«À la réforme du code pénal à l’endroit des abus de confiance.»

Et peut-être ce livre, attaqué récemment encore avec tant d’amertume et de violence, aura du moins produit quelques bons résultats.

Veuillez encore agréer, monsieur, l’expression de ma vive gratitude et l’assurance de mes sentiments les plus dévoués.

EUGÈNE SUE

Paris, ce 15 octobre 1843

Notes

Au sujet de l’impossibilité où sont les classes pauvres de jouir du bénéfice des lois civiles, nous avons reçu de nouvelles réclamations et quelques documents curieux, les uns de Hollande, les autres d’Italie; nous donnons ces renseignements ci-après, en exprimant toute notre gratitude aux personnes qui nous ont fait l’honneur de nous les adresser.

Plusieurs officiers judiciaires ont bien voulu nous faire observer que, dans beaucoup de circonstances, la chambre des avoués de Paris a instrumenté officieusement et sans frais, lorsque les parties faisaient preuve d’indigence.

Rien de plus honorable, de plus louable, de plus charitable assurément que cette aumône judiciaire. Mais ceci est un DON, un OCTROI VOLONTAIRE, par conséquent VARIABLE, RÉVOCABLE, et non pas une INSTITUTION, un FAIT LÉGAL et acquis virtuellement aux classes pauvres.

Ce n’est pas une AUMÔNE que nous demandons pour elles, c’est un DROIT RECONNU; car il nous semble que l’indigence a aussi ses droits.

Il est au moins étrange que la France, qui devrait marcher à la tête de la civilisation, ne fasse point jouir les classes les plus nombreuses et les plus laborieuses de la société des charitables avantages qui leur sont acquis chez presque toutes les nations de l’Europe.

En Hollande, en Sardaigne, dans presque toutes les légations d’Italie, les pauvres, ainsi qu’on va le voir, sont mille fois mieux traités qu’en France sous ce rapport.

Le document suivant, traduit du Code hollandais, vient de nous être communiqué par l’un des avocats les plus distingués d’Amsterdam. On ne peut qu’admirer une telle législation.

Extrait du Code de procédure civile néerlandais relatif aux classes pauvres.

«Art. 855. Toutes personnes, soit demandeurs, soit défendeurs, en fournissant la preuve qu’elles sont hors d’état de payer les frais d’un procès, peuvent obtenir du juge qui doit connaître de l’objet du procès l’autorisation de plaider SANS FRAIS.

«Art. 856. Cette autorisation se demande par requête écrite sur papier NON TIMBRÉ; et, si la requête est adressée à une cour ou à un tribunal d’arrondissement, elle est signée par un avoué désigné à cet effet au besoin, par le président.

«Art. 857. Cette requête contiendra le résumé des faits et une indication sommaire des arguments sur lesquels est fondée la demande ou la défense de l’exposant.

«Art. 858. Cette requête sera accompagnée d’un certificat de l’indigence de l’exposant, délivré par le chef de l’administration du lieu de son domicile.

«Art. 859. La cour ou le tribunal ordonne, par simple disposition la citation de la partie adverse devant deux juges-commissaires, et désigne, selon l’importance de la cause, un avoué, ou bien un avocat et un avoué, pour l’assister à l’audience.

«Art. 860. La demande, ainsi que l’ordonnance du juge, seront, à la requête de l’exposant, signifiées par huissier et SANS FRAIS à la personne ou au domicile de la partie adverse. Cet exploit sera enregistré GRATIS ET EXEMPT DE DROIT DE TIMBRE.

«Art. 861. Si la partie adverse ne comparait pas devant les commissaires, la cour ou le tribunal, sur le rapport de ces commissaires, examinera si l’exposant a suffisamment prouvé son indigence; elle accorde, dans ce cas, l’autorisation demandée, à moins que le juge ne considère la demande ou la défense au fond dénuée de tout fondement.

«Art. 862. Si la partie adverse comparaît, elle peut s’opposer à ce que l’autorisation soit accordée en prouvant que les assertions de l’exposant sont sans fondement. Ces preuves doivent se faire, quant aux faits, par des documents concluants, et, quant au droit, par une disposition expresse de la loi.

«Art. 863. La partie adverse peut également fonder son opposition sur le manque ou sur l’insuffisance du certificat d’indigence, ou bien sur l’indication des moyens pécuniaires suffisants de la part de l’exposant.

«Art. 864. Sur le rapport des juges-commissaires, la demande de l’exposant est accueillie ou refusée. Si elle est accueillie, on désigne pour l’ASSISTER GRATIS un avoué, ou un avocat et un avoué, si déjà il n’y a été pourvu.

«Art. 865. Si celui qui a obtenu de plaider sans frais a succombé en première instance, il ne pourra plaider sans frais en appel ou en cassation sans y être autorisé de nouveau. S’il a gagné son procès en première instance, il n’a pas besoin de nouvelle autorisation pour plaider sans frais en appel ou en cassation. Sur sa requête, il lui sera seulement désigné un nouvel avocat et un nouvel avoué.

«Art. 866. Tous exploits devront se faire par un huissier domicilié dans le canton, ou, à son défaut, par l’huissier d’un canton voisin.