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Avant eux l'homme était un prince La femme une princesse, l'amour une province Mais ils sont arrivés, le prince est un mendiant La province se meurt, la princesse se vend Car ils ont inventé l'amour qui est un péché L'amour qui est une affaire, le marché aux pucelles Le droit de courte-cuisse et les mères maquerelles Et c'est depuis lors qu'ils sont civilisés Les singes, les singes, les singes de mon quartier Les singes, les singes, les singes de mon quartier
Avant eux il y avait paix sur Terre Quand pour dix éléphants il n'y avait qu'un militaire Mais ils sont arrivés et c'est à coups de bâtons Que la raison d'État a chassé la raison Car ils ont inventé le fer à empaler Et la chambre à gaz et la chaise électrique Et la bombe au napalm et la bombe atomique Et c'est depuis lors qu'ils sont civilisés Les singes, les singes, les singes de mon quartier Les singes de mon quartier

Les timides

Paroles et Musique: Jacques Brel 1964

autres interprètes: Juliette (1998)

Les timides Ça s'tortille Ça s'entortille Ça sautille Ça s'met en vrille Ça s'recroqueville Ça rêve d'être un lapin Peu importe D'où ils sortent Mais feuilles mortes Quand le vent les porte Devant nos portes On dirait qu'ils portent Une valise dans chaque main
Les timides Suivent l'ombre L'ombre sombre De leur ombre Seule la pénombre Sait le nombre De leurs pudeurs de Levantin Ils se plissent Ils pâlissent Ils jaunissent Ils rosissent Ils rougissent S'écrevissent Une valise dans chaque main
Mais les timides Un soir d'audace Devant leur glace Rêvant d'espace Mettent leur cuirasse Et alors place! Allons, Paris Tiens-toi bien! Et vive la gare Saint-Lazare Mais on s’égare On s’effare On s’ désempare Et on repart Une valise dans chaque main
Les timides Quand ils chavirent Pour une Elvire Ont des soupirs Ont des désirs Qu'ils désirent dire Mais ils n'osent pas bien Et leur maîtresse Plus prêtresse En ivresse Qu'en tendresse Un soir les laisse Du bout des fesses Une valise dans chaque main
Les timides Alors vieillissent Alors finissent Se rapetissent Et quand ils glissent Dans les abysses Je veux dire Quand ils meurent N'osent rien dire Rien maudire N'osent frémir N'osent sourire Juste un soupir Et ils meurent Une valise sur le cœur

Les toros

Paroles: Jacques Brel. Musique: Gérard Jouannest, Jean Corti 1963

Les toros s'ennuient le dimanche Quand il s'agit de courir pour nous Un peu de sable, du soleil et des planches Un peu de sang pour faire un peu de boue Mais c'est l'heure où les épiciers se prennent pour Don Juan C'est l'heure où les Anglaises se prennent pour Montherlant Ah! Qui nous dira à quoi ça pense Un toro qui tourne et danse Et s'aperçoit soudain qu'il est tout nu? Ah! Qui nous dira à quoi ça rêve Un toro dont l'œil se lève Et qui découvre les cornes des cocus?
Les toros s'ennuient le dimanche Quand il s'agit de souffrir pour nous Mais voici les picadors et la foule se venge Voici les toreros, la foule est à genoux Et c'est l'heure où les épiciers se prennent pour Garcia Lorca C'est l'heure où les Anglaises se prennent pour la Carmencita
Les toros s'ennuient le dimanche Quand il s'agit de mourir pour nous Mais l'épée va plonger et la foule se penche Mais l'épée a plongé et la foule est debout C'est l'instant de triomphe où les épiciers se prennent pour Néron C'est l'instant de triomphe où les Anglaises se prennent pour Wellington Ah! Est-ce qu'en tombant à terre Les toros rêvent d'un enfer Où brûleraient hommes et toreros défunts? Ah! Ou bien à l'heure du trépas Ne nous pardonneraient-ils pas En pensant à Carthage, Waterloo et Verdun? Verdun!

Les vieux

Paroles: Jacques Brel. Musique: Jacques Brel, Gérard Jouannest, Jean Corti 1963

autres interprètes: Isabelle Aubret (1975), Richard Anthony

Les vieux ne parlent plus ou alors seulement parfois du bout des yeux Même riches ils sont pauvres, ils n'ont plus d'illusions et n'ont qu'un cœur pour deux Chez eux ça sent le thym, le propre, la lavande et le verbe d'antan Que l'on vive à Paris on vit tous en province quand on vit trop longtemps Est-ce d'avoir trop ri que leur voix se lézarde quand ils parlent d'hier Et d'avoir trop pleuré que des larmes encore leur perlent aux paupières? Et s'ils tremblent un peu est-ce de voir vieillir la pendule d'argent Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, qui dit: je vous attends?
Les vieux ne rêvent plus, leurs livres s'ensommeillent, leurs pianos sont fermés Le petit chat est mort, le muscat du dimanche ne les fait plus chanter Les vieux ne bougent plus, leurs gestes ont trop de rides, leur monde est trop petit Du lit à la fenêtre, puis du lit au fauteuil et puis du lit au lit Et s'ils sortent encore bras dessus, bras dessous, tout habillés de raide C'est pour suivre au soleil l'enterrement d'un plus vieux, l'enterrement d'une plus laide Et le temps d'un sanglot, oublier toute une heure la pendule d'argent Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, et puis qui les attend
Les vieux ne meurent pas, ils s'endorment un jour et dorment trop longtemps Ils se tiennent la main, ils ont peur de se perdre et se perdent pourtant Et l'autre reste là, le meilleur ou le pire, le doux ou le sévère Cela n'importe pas, celui des deux qui reste se retrouve en enfer Vous le verrez peut-être, vous la verrez parfois en pluie et en chagrin Traverser le présent en s'excusant déjà de n'être pas plus loin Et fuir devant vous une dernière fois la pendule d'argent Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, qui leur dit: je t'attends Qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non et puis qui nous attend.