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– L’incendie est toujours dû à la malveillance! C’est le nihilisme! Si quelque chose brûle, c’est le nihilisme! entendis-je avec une sorte d’épouvante, quoique ce langage ne fût plus une révélation pour moi.

– Excellence, observa un commissaire de police qui se trouvait près du gouverneur, – si vous consentiez à retourner chez vous et à prendre du repos… Il y a même danger pour Votre Excellence à rester ici…

Comme je l’appris plus tard, ce commissaire de police avait été laissé par Ilia Ilitch auprès de Von Lembke avec mission expresse de veiller sur sa personne et de ne rien négliger pour le ramener chez lui; en cas de besoin urgent, il devait même employer la force, mais comment aurait-il fait pour exécuter un pareil ordre?

– Ils essuieront les larmes des sinistrés, mais ils brûleront la ville. Ce sont toujours les quatre coquins, les quatre coquins et demi. Qu’on arrête le vaurien! Il s’introduit comme un ver dans l’honneur des familles. Pour brûler les maisons, on s’est servi des institutrices. C’est une lâcheté, une lâcheté! Ah! qu’est-ce qu’il fait? cria André Antonovitch apercevant tout à coup sur le toit en partie consumé du pavillon un pompier que les flammes entouraient, – qu’on le fasse descendre, qu’on l’arrache de là! La toiture va s’effondrer sous lui, et il tombera dans le feu, éteignez-le… Qu’est-ce qu’il fait là?

– Il travaille à éteindre l’incendie, Excellence.

– C’est invraisemblable. L’incendie est dans les esprits, et non sur les toits des maisons. Tirez-le de là et ne vous occupez plus de rien! C’est le mieux, c’est le mieux! Que les choses s’arrangent comme elles pourront! Ah! qui est-ce qui pleure encore? Une vieille femme! Cette vieille crie, pourquoi l’a-t-on oubliée?

En effet, au rez-de-chaussée du pavillon se faisaient entendre les cris d’une vieille femme de quatre-vingts ans, parente du maréchal à qui appartenait l’immeuble en proie aux flammes. Mais on ne l’avait pas oubliée: elle-même, avant que l’accès de la maison soit devenu impossible, avait fait la folie d’y rentrer pour sauver un lit de plume qui se trouvait dans une petite chambre jusqu’alors épargnée par l’incendie. Sur ces entrefaites, le feu avait aussi envahi cette pièce. À demi asphyxiée par la fumée, sentant une chaleur insupportable, la malheureuse poussait des cris de terreur, tout en s’efforçant de faire passer son lit par la fenêtre. Lembke courut à son secours. Tout le monde le vit s’élancer vers la croisée, saisir le lit par un bout et le tirer à lui de toutes ses forces. Mais, dans ce moment même, une planche se détachant du toit atteignit le gouverneur au cou, et le renversa, privé de connaissance, sur le sol.

L’aube parut enfin, maussade et sombre. L’incendie perdit de sa violence; le vent cessa de souffler et fut remplacé par une petite pluie fine. J’étais déjà dans un autre endroit du Zariétchié, très éloigné de celui où avait eu lieu l’accident survenu à Lembke. Là, dans la foule, j’entendis des conversations fort étranges: on avait constaté un fait singulier. Tout à l’extrémité du quartier, il y avait dans un terrain vague, derrière des jardins potagers, une maisonnette en bois, récemment construite, qui se trouvait bien à cinquante pas des autres habitations, et c’était dans cette maison écartée que le feu avait pris en premier lieu. Vu sa situation tout à fait excentrique, elle aurait pu brûler entièrement sans mettre en danger aucune autre construction, de même qu’elle aurait été seule épargnée par un incendie dévorant tout le Zariétchié. Évidemment il s’agissait ici d’un cas isolé, d’une tentative criminelle, et non d’un accident imputable aux circonstances. Mais voici où l’affaire se corsait: la maison avait pu être sauvée, et, quand on y était entré au lever du jour, on avait eu sous les yeux le spectacle le plus inattendu. Le propriétaire de cet immeuble était un bourgeois qui habitait non loin de là, dans le faubourg; il avait couru en toute hâte à sa nouvelle maison dès qu’il y avait aperçu un commencement d’incendie, et, avec l’aide de quelques voisins, il était parvenu à éteindre le feu. Dans cette demeure logeaient un capitaine connu en ville, sa sœur et une vieille servante; or, durant la nuit, tous trois avaient été assassinés, et, selon toute évidence, dévalisés. (Le maître de police était en train de visiter le lieu du crime au moment où Lembke entreprenait le sauvetage du lit de plume.) Le matin, la nouvelle se répandit, et la curiosité attira bientôt aux abords de la maisonnette une multitude d’individus de toute condition, parmi lesquels se trouvaient même plusieurs des incendiés du Zariétchié. Il était difficile de se frayer un passage à travers une foule si compacte. On me raconta qu’on avait trouvé le capitaine couché tout habillé sur un banc avec la gorge coupée; il était sans doute plongé dans le sommeil de l’ivresse lorsque le meurtrier l’avait frappé; Lébiadkine, ajoutait-on, avait saigné «comme un bœuf»; le corps de Marie Timoféievna était tout criblé de coups de couteau et gisait sur le seuil, ce qui prouvait qu’une lutte avait eu lieu entre elle et l’assassin; la servante, dont la tête n’était qu’une plaie, devait aussi être éveillée au moment du crime. Au dire du propriétaire, Lébiadkine avait passé chez lui dans la matinée de la veille; étant en état d’ivresse, il s’était vanté de posséder beaucoup d’argent et avait montré jusqu’à deux cents roubles. Son vieux portefeuille vert avait été retrouvé vide sur le parquet, mais on n’avait touché ni à ses vêtements, ni au coffre de Marie Timoféievna, pas plus qu’on n’avait enlevé la garniture en argent de l’icône. Évidemment le voleur s’était dépêché; de plus, ce devait être un homme au courant des affaires du capitaine; il n’en voulait qu’à l’argent, et il savait où le trouver. Si le propriétaire n’était pas arrivé à temps pour éteindre l’incendie, les cadavres auraient été réduits en cendres, et dès lors il eût été fort difficile de découvrir la vérité.

Tels furent les renseignements qu’on me donna. J’appris aussi que M. Stavroguine était venu lui-même louer ce logement pour le capitaine et sa sœur. Le propriétaire ne voulait pas d’abord entendre parler de location, parce qu’il songeait à faire de sa maison un cabaret; mais Nicolas Vsévolodovitch n’avait pas regardé au prix, et il avait payé six mois d’avance.

– Ce n’est pas par hasard que le feu a pris, entendait-on dans la foule.

Mais la plupart restaient silencieux, et les visages étaient plutôt sombres qu’irrités. Cependant autour de moi on continuait à s’entretenir de Nicolas Vsévolodovitch: la femme tuée était son épouse; la veille il avait attiré chez lui «dans des vues déshonnêtes» une jeune personne appartenant à la plus haute société, la fille de la générale Drozdoff; on allait porter plainte contre lui à Pétersbourg; si sa femme avait été assassinée, c’était évidemment pour qu’il pût épouser mademoiselle Drozdoff. Comme Skvorechniki n’était qu’à deux verstes et demie de là, je pensai un instant à aller y porter la nouvelle. À dire vrai, je ne vis personne exciter la foule, quoique j’eusse reconnu parmi les individus présents deux ou trois figures patibulaires rencontrées au buffet. Je dois seulement signaler un jeune homme dont l’attitude me frappa. Grand, maigre, anémique, il avait des cheveux crépus, et une épaisse couche de suie couvrait son visage. C’était, ainsi que je le sus plus tard, un bourgeois exerçant la profession de serrurier. Quoiqu’il ne fût pas ivre, son agitation contrastait avec la tranquillité morne de ceux qui l’entouraient. Il s’adressait sans cesse au peuple en faisant de grands gestes, mais tout ce que je pouvais saisir de ses paroles se réduisait à des phrases comme ceci: «Mes amis, qu’est-ce que c’est? Est-il possible que cela se passe ainsi?»