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Elle eut un rire sardonique auquel succéda un accès de toux.

– Ah! tu n’as pas oublié le pope… reprit Barbara Pétrovna en lançant à son interlocutrice un regard haineux.

Son visage était devenu vert. Prascovie Ivanovna prit tout à coup un air de dignité.

– Maintenant, matouchka, je n’ai pas envie de rire, je désire savoir pourquoi devant toute la ville vous avez mêlé ma fille à votre scandale, voilà pourquoi je suis venue.

Barbara Pétrovna se redressa brusquement.

– À mon scandale? fit-elle d’une voix menaçante.

– Maman, je vous prie de veiller davantage sur vos expressions, observa soudain Élisabeth Nikolaïevna.

– Comment as-tu dit? répliqua la mère, qui allait de nouveau commencer une mercuriale, mais qui s’arrêta court devant le regard étincelant de sa fille.

– Comment avez-vous pu, maman, parler de scandale? continua en rougissant Lisa; – je suis venue ici de moi-même, avec la permission de Julie Mikhaïlovna, parce que je voulais connaître l’histoire de cette malheureuse, pour lui être utile.

– «L’histoire de cette malheureuse!» répéta ironiquement Prascovie Ivanovna; – quel besoin as-tu de t’immiscer dans de pareilles «histoires»? Oh! matouchka! Nous en avons assez, de votre despotisme, poursuivit-elle avec rage en se tournant vers Barbara Pétrovna. – On dit, à tort ou à raison, que vous teniez toute cette ville sous votre joug, mais il paraît que vos beaux jours sont passés!

Barbara Pétrovna était comme une flèche prête à partir. Immobile, elle regarda sévèrement pendant dix secondes Prascovie Ivanovna.

– Allons, prie Dieu, Prascovie, pour que toutes les personnes ici présentes soient des gens sûrs, dit-elle enfin avec une tranquillité sinistre, – tu as beaucoup trop parlé.

– Moi, ma mère, je n’ai pas si peur que d’autres de l’opinion publique; c’est vous qui, nonobstant vos airs hautains, tremblez devant le jugement du monde. Et si les personnes ici présentes sont des gens sûrs, tant mieux pour vous.

– Tu es devenue intelligente cette semaine?

– Non, mais cette semaine la vérité s’est fait jour.

– Quelle vérité s’est fait jour cette semaine? Écoute, Prascovie Ivanovna, ne m’irrite pas, explique-toi à l’instant, je t’adjure de parler: quelle vérité s’est fait jour, et que veux-tu dire par ces mots?

Prascovie Ivanovna se trouvait dans un état d’esprit où l’homme, tout au désir de frapper un grand coup, ne s’inquiète plus des conséquences.

– Mais la voilà, toute la vérité! elle est assise là! répondit-elle en montrant du doigt Marie Timoféievna. Celle-ci, qui n’avait cessé de considérer Prascovie Ivanovna avec une curiosité enjouée, se mit à rire en se voyant ainsi désignée par la visiteuse irritée, et s’agita gaiement sur son fauteuil.

– Seigneur Jésus-Christ, ils sont tous fous! s’écria Barbara Pétrovna, qui blêmit et se renversa sur le dossier de son siège.

Sa pâleur nous alarma. Stépan Trophimovitch s’élança le premier vers elle; je m’approchai aussi; Lisa elle-même se leva, sans, du reste, s’éloigner de son fauteuil; mais nul ne manifesta autant d’inquiétude que Prascovie Ivanovna; elle se leva du mieux qu’elle put et se mit à crier d’une voix dolente:

– Matouchka, Barbara Pétrovna, pardonnez-moi ma sottise et ma méchanceté! Mais que quelqu’un lui donne au moins de l’eau!

– Ne pleurniche pas, je te prie, Prascovie Ivanovna; et vous, messieurs, écartez-vous, s’il vous plaît, je n’ai pas besoin d’eau! dit avec fermeté Barbara Pétrovna, quoique la parole eût encore peine à sortir de ses lèvres décolorées.

– Matouchka! reprit Prascovie Ivanovna un peu tranquillisée, – ma chère Barbara Pétrovna, sans doute j’ai eu tort de vous tenir un langage inconsidéré, mais toutes ces lettres anonymes dont me bombardent de petites gens m’avaient poussée à bout; si encore ils vous les adressaient, puisque c’est à propos de vous qu’ils les écrivent! moi, matouchka, j’ai une fille!

Les yeux tout grands ouverts, Barbara Pétrovna la regardait en silence et l’écoutait avec étonnement. Sur ces entrefaites, une porte latérale s’ouvrit sans bruit, et Daria Pavlovna fit son apparition. Elle s’arrêta un instant sur le seuil pour promener ses yeux autour d’elle; notre agitation la frappa. Il est probable qu’elle ne remarqua pas tout de suite Marie Timoféievna, dont personne ne lui avait annoncé la présence. Stépan Trophimovitch aperçut le premier la jeune fille; il fit un mouvement brusque et s’écria en rougissant: «Daria Pavlovna!» À ces mots, tous les regards se portèrent vers la nouvelle venue.

– Comment, ainsi c’est là votre Daria Pavlovna! s’exclama Marie Timoféievna; – eh bien, matouchka, ta sœur ne te ressemble pas! Comment donc mon laquais peut-il dire: «la serve, la fille de Dachka», en parlant de cette charmante personne!

Daria Pavlovna s’était déjà rapprochée de Barbara Pétrovna, mais l’exclamation de mademoiselle Lébiadkine lui fit brusquement retourner la tête, et elle resta debout devant sa chaise, les yeux attachés sur la folle.

– Assieds-toi, Dacha, dit Barbara Pétrovna avec un calme effrayant; plus près, là, c’est bien; tu peux voir cette femme, tout en étant assise. Tu la connais?

– Je ne l’ai jamais vue, répondit tranquillement Dacha, et, après un silence, elle ajouta: – C’est sans doute la sœur malade d’un M. Lébiadkine.

– Moi aussi, mon âme, je vous voie aujourd’hui pour la première fois, mais depuis longtemps déjà je désirais faire votre connaissance, parce que chacun de vos geste témoigne de votre éducation, fit avec élan Marie Timoféievna. – Quant aux criailleries de mon laquais, est-il possible, en vérité, que vous lui ayez pris de l’argent, vous si bien élevée et si gentille? Car vous êtes gentille, gentille, gentille, je vous le dis sincèrement! acheva-t-elle enthousiasmée.

– Comprends-tu quelque chose? demanda avec une dignité hautaine Barbara Pétrovna.

– Je comprends tout…

– De quel argent parle-t-elle?

– Il s’agit sans doute de l’argent que, sur la demande de Nicolas Vsévolodovitch, je me suis chargée d’apporter de Suisse à ce M. Lébiadkine, le frère de cette femme.

Un silence suivit ces mots.

– Nicolas Vsévolodovitch lui-même t’a priée de faire cette commission?

– Il tenait beaucoup à envoyer cet argent, une somme de trois cents roubles, à M. Lébiadkine. Mais il ignorait son adresse, il savait seulement que ce monsieur devait venir dans notre ville, c’est pourquoi il m’a chargée de lui remettre cette somme à son arrivée ici.

– Quel argent a donc été… perdu? À quoi cette femme vient-elle de faire allusion?

– Je n’en sais rien; j’ai entendu dire aussi que M. Lébiadkine m’accusait d’avoir détourné une partie de la somme, mais je ne comprends pas ces paroles. On m’avait donné trois cents roubles, j’ai remis trois cents roubles.

Daria Pavlovna avait presque entièrement recouvré son calme. En général il était difficile de troubler longtemps cette jeune fille et de lui ôter sa présence d’esprit, quelque émotion qu’elle éprouvât dans son for intérieur. Toutes les réponses qu’on a lues plus haut, elle les donna posément, sans hésitation, sans embarras, d’une voix nette, égale et tranquille. Rien en elle ne laissait soupçonner la conscience d’aucune faute. Tant que dura cet interrogatoire, Barbara Pétrovna ne quitta pas des yeux sa protégée, ensuite elle réfléchit pendant une minute.