– Monsieur, répondit Remy en affectant une voix cassée, pardonnez à un pauvre vieillard que ses malheurs et ses blessures ont rendu timide et défiant.
– Raison de plus, mon ami, répondit Aurilly, pour que vous acceptiez le secours et l'appui d'un honnête compagnon; d'ailleurs, comme je vous l'ai dit tout à l'heure, je viens de la part d'un maître qui doit vous inspirer confiance.
– Assurément, monsieur.
Et Remy fit un pas en arrière.
– Vous me quittez?…
– Je vais consulter ma maîtresse; je ne puis rien prendre sur moi, vous comprenez.
– Oh! c'est naturel; mais permettez que je me présente moi-même, je lui expliquerai ma mission dans tous ses détails.
– Non, non, merci; madame dort peut-être encore, et son sommeil m'est sacré.
– Comme vous voudrez. D'ailleurs, je n'ai plus rien à vous dire, sinon ce que mon maître m'a chargé de vous communiquer.
– À moi?
– À vous et à la jeune dame.
– Votre maître, M. le comte du Bouchage, n'est-ce pas?
– Lui-même.
– Merci, monsieur.
Lorsqu'il eut refermé la porte, toutes les apparences du vieillard, excepté le front chauve et le visage ridé, disparurent à l'instant même, et il monta l'escalier avec une telle précipitation et une vigueur si extraordinaire, que l'on n'eût pas donné vingt-cinq ans à ce vieillard qui, un instant auparavant, en paraissait soixante.
– Madame! madame! s'écria Remy d'une voix altérée, dès qu'il aperçut Diane.
– Eh! qu'y a-t-il encore, Remy? le duc n'est-il point parti?
– Si fait, madame; mais il y a ici un démon mille fois pire, mille fois plus à craindre que lui; un démon sur lequel tous les jours, depuis six ans, j'ai appelé la vengeance du ciel comme vous le faisiez pour son maître, et cela comme vous le faisiez aussi, en attendant la mienne.
– Aurilly, peut-être? demanda Diane.
– Aurilly lui-même; l'infâme est là, en bas, oublié comme un serpent hors du nid par son infernal complice.
– Oublié, dis-tu, Remy! oh! tu te trompes; toi qui connais le duc, tu sais bien qu'il ne laisse point au hasard le soin de faire le mal, quand ce mal, il peut le faire lui-même; non! non! Remy, Aurilly n'est point oublié ici, il y est laissé, et laissé pour un dessein quelconque, crois-moi.
– Oh! sur lui, madame, je croirai tout ce que vous voudrez!
– Me connaît-il?
– Je ne crois pas.
– Et t'a-t-il reconnu?
– Oh! moi, madame, répondit Remy avec un triste sourire, moi, l'on ne me reconnaît pas.
– Il m'a devinée, peut-être?
– Non, car il a demandé à vous voir.
– Remy, je te dis que, s'il ne m'a point reconnue, il me soupçonne.
– En ce cas, rien de plus simple, dit Remy d'un air sombre, et je remercie Dieu de nous tracer si franchement notre route; le bourg est désert, l'infâme est seul, comme je suis seul… j'ai vu un poignard à sa ceinture… j'ai un couteau à la mienne.
– Un moment, Remy, un moment, dit Diane, je ne vous dispute pas la vie de ce misérable; mais, avant de le tuer, il faut savoir ce qu'il nous veut, et si, dans la situation où nous sommes, il n'y a pas moyen d'utiliser le mal qu'il veut nous faire. Comment s'est-il présenté à vous, Remy?
– Comme l'intendant de M. du Bouchage, madame.
– Tu vois bien, il ment; donc il a un intérêt à mentir. Sachons ce qu'il veut, tout en lui cachant notre volonté à nous.
– J'agirai selon vos ordres, madame.
– Pour le moment, que demande-t-il?
– À vous accompagner.
– En quelle qualité?
– En qualité d'intendant du comte.
– Dis-lui que j'accepte.
– Oh! madame!
– Ajoute que je suis sur le point de passer en Angleterre, où j'ai des parents, et que cependant j'hésite; mens comme lui; pour vaincre, Remy, il faut au moins combattre à armes égales.
– Mais il vous verra.
– Et mon masque! D'ailleurs je soupçonne qu'il me connaît, Remy.
– Alors, s'il vous connaît, il vous tend un piège.
– Le moyen de s'en garantir, est d'avoir l'air d'y tomber.
– Cependant…
– Voyons, que crains-tu? connais-tu quelque chose de pire que la mort?
– Non.
– Eh bien! n'es-tu donc plus décidé à mourir pour l'accomplissement de notre vœu?
– Si fait; mais non pas à mourir sans vengeance.
– Remy, Remy, dit Diane avec un regard brillant d'une exaltation sauvage, nous nous vengerons, sois tranquille, toi du valet, moi du maître.
– Eh bien! soit, madame, c'est chose dite.
– Va, mon ami, va.
Et Remy descendit, mais hésitant encore. Le brave jeune homme avait, à la vue d'Aurilly, ressenti malgré lui ce frissonnement nerveux plein de sombre terreur que l'on ressent à la vue des reptiles; il voulait tuer parce qu'il avait eu peur.
Mais cependant, au fur et à mesure qu'il descendait, la résolution rentrait dans cette âme si fortement trempée, et en rouvrant la porte, il était résolu, malgré l'avis de Diane, à interroger Aurilly, à le confondre, et, s'il trouvait en lui les mauvaises intentions qu'il lui soupçonnait, à le poignarder sur la place.
C'était ainsi que Remy entendait la diplomatie.
Aurilly l'attendait avec impatience; il avait ouvert la fenêtre afin de garder d'un seul coup d'œil toutes les issues.
Remy vint à lui, armé d'une résolution inébranlable; aussi ses paroles furent-elles douces et calmes.
– Monsieur, lui dit-il, ma maîtresse ne peut accepter ce que vous lui proposez.
– Et pourquoi cela?
– Parce que vous n'êtes point l'intendant de M. du Bouchage.
Aurilly pâlit.
– Mais qui vous a dit cela? demanda-t-il.
– Rien de plus simple. M. du Bouchage m'a quitté en me recommandant la personne que j'accompagne, et M. du Bouchage, en me quittant, ne m'a pas dit un mot de vous.
– Il ne m'a vu qu'après vous avoir quitté.
– Mensonges, monsieur, mensonges!
Aurilly se redressa; l'aspect de Remy lui donnait toutes les apparences d'un vieillard.
– Vous le prenez sur un singulier ton, brave homme, dit-il en fonçant le sourcil. Prenez garde, vous êtes vieux, je suis jeune; vous êtes faible, je suis fort.
Remy sourit, mais ne répondit rien.
– Si je vous voulais du mal, à vous ou à votre maîtresse, continua Aurilly, je n'aurais que la main à lever.
– Oh! oh! fit Remy, peut-être me trompé-je, et est-ce du bien que vous lui voulez?
– Sans doute.
– Expliquez-moi ce que vous désirez, alors.
– Mon ami, dit Aurilly, je désire faire votre fortune d'un seul coup, si vous me servez.
– Et si je ne vous sers pas?
– En ce cas-là, puisque vous me parlez franchement, je vous répondrai avec une pareille franchise: en ce cas-là, je désire vous tuer…