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Bonhomet fit de sa tête, si dédaigneuse à l'ordinaire, un signe d'obéissance et se retira dans sa cuisine, afin d'y rêver aux moyens d'obéir à la double injonction de ses deux redoutables clients.

Borromée rentra dans le réduit, et trouva Chicot qui l'attendait, la jambe en avant et le sourire sur les lèvres.

Nous ignorons comment maître Bonhomet s'y était pris; mais, la dixième minute écoulée, le dernier écolier franchissait le seuil de sa porte, donnant le bras au dernier clerc, et disant:

– Oh! oh! le temps est à l'orage chez maître Bonhomet; décampons, ou gare la grêle.

LXXXII Ce qui arriva dans le réduit de maître Bonhomet

Lorsque le capitaine rentra dans le réduit avec un panier de douze bouteilles à la main, Chicot le reçut d'un air tellement ouvert et souriant, que Borromée fut tenté de prendre Chicot pour un niais.

Borromée avait hâte de déboucher les bouteilles qu'il était allé chercher à la cave; mais ce n'était rien, en comparaison de la hâte de Chicot.

Aussi les préparatifs ne furent-ils pas longs. Les deux compagnons, en buveurs expérimentés, demandèrent quelques salaisons, dans le but louable de ne pas laisser éteindre la soif. Ces salaisons leur furent apportées par Bonhomet, auquel chacun d'eux jeta un dernier coup d'œil.

Bonhomet répondit à chacun d'eux; mais si quelqu'un eût pu juger ces deux coups d'œil, il eût trouvé une grande différence entre celui qui était adressé à Borromée et celui qui était adressé à Chicot.

Bonhomet sortit et les deux compagnons commencèrent à boire.

D'abord, comme si l'occupation était trop importante pour que rien dût l'interrompre, les deux buveurs avalèrent bon nombre de rasades sans échanger une seule parole.

Chicot surtout était merveilleux; sans avoir dit autre chose que:

– Par ma foi, voilà du joli bourgogne!

Et:

– Sur mon âme, voilà d'excellent jambon!

Il avait avalé deux bouteilles, c'est-à-dire une bouteille par phrase.

– Pardieu! murmurait à part lui Borromée, voilà une singulière chance que j'ai eue de tomber sur un pareil ivrogne.

À la troisième bouteille, Chicot leva les yeux au ciel.

– En vérité, dit-il, nous buvons d'un train à nous enivrer.

– Bon! ce saucisson est si salé! dit Borromée.

– Ah! cela vous va, dit Chicot, continuons, l'ami, j'ai la tête solide.

Et chacun d'eux avala encore sa bouteille.

Le vin produisait sur les deux compagnons un effet tout opposé: il déliait la langue de Chicot et nouait celle de Borromée.

– Ah! murmura Chicot, tu te tais, l'ami; tu doutes de toi.

– Ah! se dit tout bas Borromée, tu bavardes, donc tu te grises.

– Combien faut-il donc de bouteilles, compère? demanda Borromée.

– Pour quoi faire? dit Chicot.

– Pour être gai.

– Avec quatre, j'ai mon compte.

– Et pour être gris?

– Mettons-en six.

– Et pour être ivre?

– Doublons.

– Gascon! pensa Borromée; il balbutie et n'en est encore qu'à la quatrième.

– Alors nous avons de la marge, dit Borromée, en tirant du panier une cinquième bouteille pour lui et une cinquième pour Chicot.

Seulement Chicot remarquait que des cinq bouteilles rangées à la droite de Borromée, les unes étaient à moitié, les autres aux deux tiers, aucune n'était vide.

Cela le confirma dans cette pensée qui lui était venue tout d'abord, que le capitaine avait de mauvaises intentions à son égard.

Il se souleva pour aller au devant de la cinquième bouteille que lui présentait Borromée, et oscilla sur ses jambes.

– Bon! dit-il, avez-vous senti?

– Quoi?

– Une secousse de tremblement de terre.

– Bah!

– Oui, ventre de biche! heureusement que l'hôtellerie de la Corne d'Abondance est solide, quoiqu'elle soit bâtie sur pivot.

– Comment! elle est bâtie sur pivot? demanda Borromée.

– Sans doute, puisqu'elle tourne.

– C'est juste, dit Borromée en avalant son verre jusqu'à la dernière goutte; je sentais bien l'effet, mais je ne devinais pas la cause.

– Parce que vous n'êtes pas latiniste, dit Chicot, parce que vous n'avez pas lu le traité De natura rerum; si vous l'eussiez lu, vous sauriez qu'il n'y a pas d'effet sans cause.

– Eh bien! mon cher confrère, dit Borromée, car enfin vous êtes capitaine comme moi, n'est-ce pas?

– Capitaine depuis la plante des pieds jusqu'à la pointe des cheveux, répondit Chicot.

– Eh bien! mon cher capitaine, reprit Borromée, dites-moi, puisqu'il n'y a pas d'effet sans cause, à ce que vous prétendez, dites-moi quelle était la cause de votre déguisement?

– De quel déguisement?

– De celui que vous portiez lorsque vous êtes venu chez dom Modeste.

– Comment donc étais-je déguisé?

– En bourgeois.

– Ah! c'est vrai.

– Dites-moi cela, et vous commencerez mon éducation de philosophe.

– Volontiers; mais, à votre tour, vous me direz, n'est-ce pas, pourquoi vous étiez déguisé en moine? confidence pour confidence.

– Tope! dit Borromée.

– Touchez là, dit Chicot, et il tendit sa main au capitaine.

Celui-ci frappa d'aplomb dans la main de Chicot.

– À mon tour, dit Chicot.

Et il frappa à côté de la main de Borromée.

– Bien! dit Borromée.

– Vous voulez donc savoir pourquoi j'étais déguisé en bourgeois? demanda Chicot d'une langue qui allait s'épaississant de plus en plus.

– Oui, cela m'intrigue.

– Et vous me direz à votre tour?

– Parole d'honneur.

– Foi de capitaine; d'ailleurs n'est-ce pas chose convenue?

– C'est vrai, je l'avais oublié. Eh bien! c'est tout simple.

– Dites alors.

– Et en deux mots vous serez au courant.

– J'écoute.

– J'espionnais pour le roi.

– Comment, vous espionniez.

– Oui.

– Vous êtes donc espion par état?

– Non, en amateur.

– Qu'espionniez-vous chez dom Modeste?

– Tout. J'espionnais dom Modeste d'abord, puis frère Borromée ensuite, puis le petit Jacques, puis tout le couvent.

– Et qu'avez-vous découvert, mon digne ami?

– J'ai d'abord découvert que dom Modeste était une grosse bête.

– Il ne faut pas être fort habile pour cela.

– Pardon, pardon, car Sa Majesté Henri III, qui n'est pas un niais, le regarde comme la lumière de l'Église, et compte en faire un évêque.

– Soit, je n'ai rien à dire contre cette promotion, au contraire; je rirai bien ce jour-là; et qu'avez-vous découvert encore?