Выбрать главу

Mais Diane repoussa violemment le bras de Remy, et saisissant celui de du Bouchage, elle l'amena en face d'elle.

Elle était d'une pâleur livide; ses beaux cheveux, raidis, flottaient sur ses épaules; le contact de sa main sur le poignet d'Henri faisait à ce dernier un froid pareil à celui d'un cadavre.

– Monsieur, dit-elle, ne jugez pas témérairement des choses de Dieu!… Je suis Diane de Méridor, la maîtresse de M. de Bussy, que le duc d'Anjou laissa tuer misérablement quand il pouvait le sauver. Il y a huit jours que Remy a poignardé Aurilly, le complice du prince; et quant au prince, je viens de l'empoisonner avec un fruit, un bouquet, un flambeau. Place! monsieur, place à Diane de Méridor, qui, de ce pas, s'en va au couvent des Hospitalières.

Elle dit, et, quittant le bras de Henri, elle reprit celui de Remy, qui l'attendait.

Henri tomba agenouillé, puis renversé en arrière, suivant des yeux le groupe effrayant des assassins, qui disparurent dans la profondeur des taillis, comme eût fait une infernale vision.

Ce n'est qu'une heure après que le jeune homme, brisé de fatigue, écrasé de terreur et la tête en feu, réussit à trouver assez de force pour se traîner jusqu'à son appartement; encore fallut-il qu'il se reprît à dix fois pour escalader la fenêtre. Il fit quelques pas dans la chambre et s'en alla, tout trébuchant, tomber sur son lit.

Tout dormait dans le château.

LXXXIX Fatalité

Le lendemain, vers neuf heures, un beau soleil poudrait d'or les allées sablées de Château-Thierry.

De nombreux travailleurs, commandés la veille, avaient, dès l'aube, commencé la toilette du parc et des appartements destinés à recevoir le roi qu'on attendait.

Rien encore ne remuait dans le pavillon où reposait le duc, car il avait défendu, la veille, à ses deux vieux serviteurs, de le réveiller. Ils devaient attendre qu'il appelât.

Vers neuf heures et demie, deux courriers, lancés à toute bride, entrèrent dans la ville, annonçant la prochaine arrivée de Sa Majesté.

Les échevins, le gouverneur et la garnison prirent rang pour faire haie sur le passage de ce cortège.

À dix heures le roi parut au bas de la colline. Il était monté à cheval depuis le dernier relais. C'était une occasion qu'il saisissait toujours, et principalement à son entrée dans les villes, étant beau cavalier.

La reine-mère le suivait en litière; cinquante gentilshommes, richement vêtus et bien montés, venaient à leur suite.

Une compagnie des gardes, commandée par Crillon lui-même, cent vingt Suisses, autant d'Écossais, commandés par Larchant, et toute la maison de plaisir du roi, mulets, coffres et valetaille, formaient une armée dont les files suivaient les sinuosités de la route qui monte de la rivière au sommet de la colline.

Enfin le cortège entra en ville au son des cloches, des canons et des musiques de tout genre.

Les acclamations des habitants furent vives; le roi était si rare en ce temps-là, que, vu de près, il semblait encore avoir gardé un reflet de la Divinité.

Le roi, en traversant la foule, chercha vainement son frère. Il ne trouva que Henri du Bouchage à la grille du château.

Une fois dans l'intérieur, Henri III s'informa de la santé du duc d'Anjou, à l'officier qui avait pris sur lui de recevoir Sa Majesté.

– Sire, répondit celui-ci, Son Altesse habite depuis quelques jours le pavillon du parc, et nous ne l'avons pas encore vue ce matin. Cependant il est probable que, se portant bien hier, elle se porte bien encore aujourd'hui.

– C'est un endroit bien retiré, à ce qu'il paraît, dit Henri, mécontent, que ce pavillon du parc, pour que le canon n'y soit pas entendu?

– Sire, se hasarda de dire un des deux serviteurs du duc, Son Altesse n'attendait peut-être pas si tôt Votre Majesté.

– Vieux fou, grommela Henri, crois-tu donc qu'un roi vienne comme cela chez les gens sans les prévenir? M. le duc d'Anjou sait mon arrivée depuis hier.

Puis, craignant d'attrister tout ce monde par une mine soucieuse, Henri, qui voulait paraître doux et bon aux dépens de François, s'écria:

– Puisqu'il ne vient pas au devant de nous, allons au devant de lui.

– Montrez-nous le chemin, dit Catherine du fond de sa litière.

Toute l'escorte prit la route du vieux parc.

Au moment où les premiers gardes touchaient la charmille, un cri déchirant et lugubre perça les airs.

– Qu'est cela? fit le roi se tournant vers sa mère.

– Mon Dieu! murmura Catherine essayant de lire sur tous les visages, c'est un cri de détresse ou de désespoir.

– Mon prince! mon pauvre duc! s'écria l'autre vieux serviteur de François en paraissant à une fenêtre avec les signes de la plus violente douleur.

Tous coururent vers le pavillon, le roi entraîné par les autres.

Il arriva au moment où l'on relevait le corps du duc d'Anjou, que son valet de chambre, entré sans ordre, pour annoncer l'arrivée du roi, venait d'apercevoir gisant sur le tapis de sa chambre à coucher.

Le prince était froid, raide, et ne donnait aucun signe d'existence qu'un mouvement étrange des paupières et une contraction grimaçante des lèvres.

Le roi s'arrêta sur le seuil de la porte, et tout le monde derrière lui.

– Voilà un vilain pronostic! murmura-t-il.

– Retirez-vous, mon fils, lui dit Catherine, je vous prie.

– Ce pauvre François! dit Henri, heureux d'être congédié et d'éviter ainsi le spectacle de cette agonie.

Toute la foule s'écoula sur les traces du roi.

– Étrange! étrange! murmura Catherine agenouillée près du prince ou plutôt du cadavre, sans autre compagnie que celle des deux vieux serviteurs; et, tandis qu'on courait toute la ville pour trouver le médecin du prince et qu'un courrier partait pour Paris afin de hâter la venue des médecins du roi restés à Meaux avec la reine, elle examinait avec moins de science sans doute, mais non moins de perspicacité que Miron lui-même aurait pu le faire, les diagnostics de cette étrange maladie à laquelle succombait son fils.

Elle avait de l'expérience, la Florentine; aussi avant toute chose, elle questionna froidement, et sans les embarrasser, les deux serviteurs, qui s'arrachaient les cheveux et se meurtrissaient le visage dans leur désespoir.

Tous deux répondirent que le prince était rentré la veille à la nuit, après avoir été dérangé fort inopportunément par M. Henri du Bouchage, venant de la part du roi.

Puis ils ajoutèrent qu'à la suite de cette audience, donnée au grand château, le prince avait commandé un souper délicat, ordonné que nul ne se présentât au pavillon sans être mandé; enfin, enjoint positivement qu'on ne le réveillât pas au matin, ou qu'on n'entrât pas chez lui avant un appel positif.

– Il attendait quelque maîtresse, sans doute? demanda la reine-mère.

– Nous le croyons, madame, répondirent humblement les valets, mais la discrétion nous a empêchés de nous en assurer.

– En desservant, cependant, vous avez dû voir si mon fils a soupé seul?

– Nous n'avons pas desservi encore, madame, puisque l'ordre de monseigneur était que nul n'entrât dans le pavillon.