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— C’est étonnant que vous ayez les yeux bleus alors que vous êtes italien ?

— Je suis vénitien et ce n’est pas la même chose. En outre, je tiens leur couleur de ma mère qui était française…

Le café était prêt. Aldo lui en offrit une tasse qu’elle but avec recueillement :

— Il est bon ?

— Hmmm !… Divin ! Il y a bien longtemps que je n’ai rien bu de semblable. Dans nos pays on a le choix entre la bouillie à la turque et l’eau de vaisselle chère aux Anglais.

Aldo lui en servit une seconde tasse, appela Adalbert qui gratouillait quelque chose dans l’église byzantine et s’assit en face de son invitée pour déguster son œuvre :

— Khaled – pardonnez-moi, je sais que vous ne l’aimez pas ! – nous a dit que vous n’habitiez pas ici de façon régulière. Est-ce vrai ?

— C’est exact. Je ne viens que deux fois l’an selon certains mouvements du soleil et de la lune…

— Et le reste du temps ?

Elle esquissa un geste vague avec sa tasse vide et n’offrit plus à son hôte qu’un profil perdu :

— Oh, ici ou là… c’est selon !

— Toujours aussi méfiante ! N’avons-nous pas, en quelque sorte, partagé le pain et le sel avec ce café ?

— Peut-être. Cependant je vous prie de ne pas chercher à en savoir plus. Ma vie n’appartient qu’à moi…

— Je n’essaierai pas de vous l’arracher et me contenterai de l’instant présent. Admettez tout de même que l’on ait quelque peine à vous croire Nabatéenne ? Ce peuple des grandes caravanes n’existe plus…

— Son sang subsiste encore chez quelques rares exemplaires. Je suis l’un de ceux-là.

Adalbert revenait vers eux nettoyant tout en marchant quelque chose étalé sur la paume de sa main et qu’il tendit à son ami après avoir lancé à Kypros un « Comment ça va ce matin ? » aussi spontané que s’il était tout naturel qu’elle fût là.

— Tiens, j’ai trouvé ceci…

— Une bague ?

— Un sceau, plutôt. La gravure en est presque invisible. On dirait une feuille d’arbre…

— Montrez !

Kypros avait tendu la main d’un geste très naturel et Adalbert lui remit sa trouvaille en disant, mi-figue mi-raisin :

— Autant que vous le sachiez tout de suite, ce n’est pas de l’or.

— C’est du bronze, je sais. Elle date sûrement du siège : elle a dû appartenir à l’un des défenseurs. Peut-être même à Éléazar qui comptait s’en servir le jour où, Massada libérée, il signerait la paix…

— Bravo ! applaudit Adalbert. Vous semblez très calée.

— On le devient au fil des années. Qu’allez-vous faire de cet anneau ?

Visiblement, elle avait envie de le garder mais Adalbert le lui reprit sans brusquerie :

— Le porter à sir Percival Clark. Il pourra peut-être nous en dire plus…

— Vous le connaissez ? fit Kypros d’un ton surpris.

— Bien sûr. Comment croyez-vous que nous sommes entrés en relation avec Khaled qui était son homme de confiance ?

La femme haussa les épaules avec un mépris absolu :

— Confiance bien mal placée mais ces Anglais n’ont jamais eu le sens commun. Merci pour le café !

Elle se levait mais, avant qu’elle se fût enfuie à sa manière rapide et légère d’antilope, Morosini l’avait saisie par le bras pour la retenir.

— À votre service !… Êtes-vous si pressée ?

— Non… mais je n’aime pas rester longtemps en société… si agréable soit-elle, ajouta-t-elle pour corriger ce que la phrase pouvait avoir de trop abrupt sans pour autant l’accompagner d’un sourire : une nuance que son visage semblait ignorer.

— Permettez-moi au moins une question ! Où habitez-vous sur ce caillou ? Nous avons déjà parcouru à plusieurs reprises les ruines du grand palais sans jamais avoir trouvé âme qui vive.

— Vous avez cherché ?

— Pourquoi pas ? Vous représentiez un danger et nous n’aimons ni l’un ni l’autre ignorer d’où il vient.

— Vous le pensez toujours ?

— Non, intervint Adalbert, et c’est pourquoi vous pourriez nous accorder quelque confiance.

— Je n’en accorde jamais. À personne !

Et une fois de plus elle s’enfuit, légère et rapide sans qu’aucun des deux hommes songe seulement à la suivre. Morosini haussa les épaules :

— Khaled m’a dit qu’il y avait des grottes sous certaines parties de l’enceinte. Elle doit habiter l’une d’elles et puis elle connaît Massada comme sa poche, elle a peut-être élu domicile à l’opposé du palais… Inutile de chercher. Elle ne reviendra peut-être plus.

Mais elle revint encore deux fois demander une tasse de café en évitant soigneusement les jours où les fils de Khaled ou Khaled lui-même apportaient le ravitaillement. Celui-ci d’ailleurs se montrait de plus en plus curieux. Il n’arrivait pas à comprendre ce que faisaient au juste ces gens venus, à l’origine, dans une simple intention de repérage :

— Si vous voulez fouiller, il vous faut du monde. Je vous en amènerai…

— Écoute, finit par lui dire Vidal-Pellicorne, qui détectait une vague menace sous l’obséquiosité du ton, si nous en avions besoin, nous ferions appel à toi, tu le penses bien, mais ce n’est pas le cas. En réalité, nous somme ici pour faire plaisir à sir Percival Clark qui écrit un livre sur Massada et qui, ne pouvant plus se déplacer, nous a chargés de faire certaines vérifications. Elles ont demandé plus de temps que nous le pensions, voilà tout !

— Et… le maître aura satisfaction ?

— Je l’espère… sans en être certain.

— Alors, il faut chercher encore. Est-ce que la Nabatéenne vous aide ?

— Pourquoi le ferait-elle ? coupa sèchement Morosini que ces questions commençaient à agacer.

Khaled s’inclina les mains sur la poitrine, s’efforçant de dissimuler un sourire énigmatique mais qui n’échappa pas aux deux autres.

— Il n’y a aucune raison, en effet. Je pensais seulement qu’elle avait peut-être fini par venir vous parler. Qu’Allah vous tienne en paix !

L’Arabe était reparti sur ce vœu pieux qui ne convainquit personne :

— Dix contre un qu’il nous fait espionner par l’un ou l’autre de ses nombreux enfants ! Il y a assez de ruines où l’on peut se cacher pour observer.

— Tu as sûrement raison et il doit bien aussi la faire espionner, elle…

L’impression de sécurité qui avait été celle des deux hommes durant tous ces jours et que l’attaque de Kypros avait entamée acheva de se dissoudre à la suite de cette visite. Ils reprirent leur travail mais avec d’autant moins d’enthousiasme qu’ils ne firent pas d’autre découverte. Même chez Adalbert qui pratiquait la foi du charbonnier le découragement pointait :

— Je ne sais pas où ton rabbin est aller pêcher que ce rocher arrosé de sang pourrait nous livrer « sinon les émeraudes, du moins un indice important ». C’est très joli, les rêves, mais ce n’est pas souvent prémonitoire…

— À moins qu’il n’y ait une indication dans ce manuscrit que nous avons trouvé et que nous ne pouvons lire ?

— J’ai peine à le croire. J’ai plutôt l’impression qu’il s’agit d’un texte pieux, normal là où on l’a trouvé. De toute façon et si nous n’avons rien d’autre, il faudra bien s’en remettre à la traduction de sir Percy. Et là…