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De fait, si l’enjeu – la vie et la liberté de Lisa Morosini ! – n’avait été si grave, Adalbert eût trouvé ses dernières tribulations amusantes et plutôt agréables. Il sentit cette impression se conforter lorsque, deux heures plus tard, il s’installa en face d’Annalina Manfredi qu’il n’avait eu aucune peine à repérer sur le quai de la gare : elle était l’une des plus jolies femmes qu’il eût rencontrées, des plus charmantes aussi car aux traits parfaits d’une madone, elle joignait un sourire impertinent, des yeux clairs pleins de vivacité et l’allure d’une reine. Ce petit voyage en sa compagnie allait être fort plaisant !

Après l’avoir saluée avec une parfaite courtoisie, il déplia un journal de façon à ce que son regard, passant au ras des feuilles pût observer son ravissant vis-à-vis. Annalina semblait soucieuse, contrariée même, et Adalbert pensa qu’il serait peut-être difficile d’engager la conversation quand il la vit ouvrir son sac, en tirer un étui à cigarette de laque cerclé d’or. Le briquet d’Adalbert apparut instantanément au bout de ses doigts :

— Veuillez me permettre, madame !

Elle accepta, le remercia d’un sourire un peu distrait et se mit à contempler le paysage sans plus s’occuper de son compagnon. Le train commençait la remontée du Val Leventina qui, par Bellinzona, le mènerait jusqu’au tunnel du Saint-Gothard et la haute vallée de la Reuss que l’on suivrait jusqu’au lac des Quatre-Cantons et Lucerne. Adalbert se garda bien de troubler sa rêverie. Se recalant dans son coin, il repoussa son journal, croisa les bras et ferma les yeux, ce qui était le plus commode pour surveiller discrètement la jeune femme et réfléchir à ce qu’il ferait une fois à destination.

Il ignorait qu’en arrivant tout à l’heure à la gare de Lugano, il avait semé la perturbation dans l’esprit, peut-être un peu fatigué, d’Alfred Ollard, qui toujours flanqué de son acolyte venait tout juste de débarquer. Adalbert était trop occupé à suivre son joli gibier pour prêter attention à deux voyageurs de commerce que sa vue avait figés sur place.

— Dites donc, fit l’acolyte qui répondait au nom de Sam Pettygrew, c’est pas le Français qu’on vient de voir passer ?

— Si, répondit sobrement M. Ollard dont la tête était pleine de points d’interrogation.

— Et il prend le train pour aller où, à votre avis ?

— Quelque part sur la ligne d’ici à Lucerne et à Bâle.

— Et, l’autre, l’Italien ? Il est où ?

— Comment veux-tu que je le sache ? Peut-être encore ici… En attendant il faut savoir si celui-là n’irait pas le rejoindre quelque part. Tiens, voilà de l’argent, ajouta-t-il en prenant quelques billets dans son portefeuille et en consultant un panneau d’affichage. Tu as tout juste le temps de sauter dans le train. Tu prendras ton billet au contrôleur.

— Vous voulez que je reparte ? gémit M. Pettygrew. C’est que j’en ai assez du train, moi. Je ne peux jamais dormir là-dedans !…

— On ne te paie pas pour dormir ! Suis le Français, je te dis ! Moi je me mets à la recherche de l’autre…

Grognant et pestant, l’acolyte obéit, rejoignit le quai d’où le train allait partir et sauta dedans juste à l’instant où un haut-parleur annonçait la fermeture des portières. Tranquille sur ce point, Alfred Ollard gagna la sortie pour faire le tour des hôtels où Aldo Morosini pouvait avoir élu domicile.

Pendant ce temps celui qui l’occupait tant s’installait près de son téléphone pour y attendre les nouvelles de la villa Clementina, bien décidé à n’en pas bouger avant de les avoir reçues. D’après ses calculs, Fritz von Taffelberg ne devait plus être bien loin…

CHAPITRE X

ET CE QUI S’ENSUIVIT !

À mesure que l’on approchait de Lucerne, Adalbert voyait s’évanouir ses espoirs d’aimable conversation avec sa jolie voisine. En dépit de deux cigarettes allumées assorties de deux sourires brefs et de deux mercis, il ne réussit même pas à surprendre son regard attaché sur lui un seul instant. Même quand il faisait semblant de dormir. De toute évidence il ne l’intéressait pas. Il ne s’en formalisa pas. Avec une grande humilité, il pensa que Morosini aurait peut-être mieux réussi que lui, mais cette jeune femme devait avoir trop de fierté pour partager ses soucis avec le premier venu, fût-il prince et séduisant au possible, et il eut le bon goût de ne pas lui imposer un regard qu’elle eût peut-être fini par trouver pesant.

Parvenu à destination, il se contenta de descendre du filet l’élégant nécessaire de toilette qu’elle y avait posé, de la saluer et de quitter le compartiment pour aller se poster dans la gare à un endroit d’où il lui serait possible d’observer ses mouvements. Un pilier fit l’affaire. De cette cachette, il put alors la voir s’attarder sur le quai en regardant autour d’elle. Sans doute, lorsqu’elle rendait visite à sa sœur, quelqu’un venait-il la chercher. Ne voyant personne – et pour cause ! – elle s’en assombrit un peu plus puis, au bout d’un moment, haussa les épaules avec agacement et se mit en marche vers la sortie. Adalbert suivit, pensant qu’elle allait prendre un taxi mais il la vit partir à pied à travers la grande place ouvrant directement sur la rivière à l’endroit où elle sort du lac. Juste en face, il y avait le port des bateaux assurant la liaison avec les autres localités riveraines et un pont enjambant la Reuss dont les eaux vertes bouillonnaient comme celles d’un torrent. Mme Manfredi s’y engagea. Adalbert suivit à distance pensant que la fameuse sœur ne devait pas habiter bien loin de la gare.

Il ne se trompait pas : franchi le pont du lac d’où l’on découvrait une vue splendide sur les montagnes neigeuses d’une part et, d’autre part sur la vieille ville et ses ponts médiévaux couverts de toits protégeant les naïves peintures décorant leurs charpentes, et dont l’un était gardé par une tour plongeant directement dans l’eau, la comtesse obliqua vers une église qu’elle contourna pour piquer droit ensuite sur une ancienne et très belle maison sous le porche de laquelle elle disparut au moment où les allumeurs de réverbères commençaient leur office. La nuit tombait et, l’une après l’autre, les maisons s’éclairaient. Celle qui intéressait Adalbert comme les autres, encore que ce fût avec quelque parcimonie…

Pensant qu’Annalina, constatant qu’on n’y avait aucunement besoin d’elle, n’allait pas tarder à ressortir, Vidal-Pellicorne s’établit dans un renfoncement de l’église où des échafaudages de chantier annonçaient des travaux de ravalement. Il y était parfaitement à l’aise pour observer ce qui se passait en face mais aussi, il s’y trouvait un peu protégé du vent glacial.

Adalbert s’y pelotonna avec résignation pour observer la suite des événements…

Ce même soir, à Lugano, Morosini, dont le téléphone s’obstinait à rester muet, sentit qu’il ne pouvait plus rester là à ne rien faire. Si tout s’était déroulé de façon normale – et il n’y avait aucune raison contre – Taffelberg devait être arrivé. Alors pourquoi ne le prévenait-on pas ainsi qu’il était convenu ? Il était déjà tard et dans la ravissante salle à manger ancienne – le Splendid avait été la villa Merlina ! – le service s’achevait. Incapable d’attendre plus longtemps, Aldo, qui n’avait même pas dîné, descendit à la réception et demanda la voiture qu’on avait dû louer pour lui dans la journée. C’était une petite Fiat assez semblable à celle qu’il avait achetée à Salzbourg. Cela lui parut de bon augure et, heureux d’agir enfin, il démarra allègrement en dépit de la pluie qui tombait dru depuis quatre heures de l’après-midi. À cause du temps et de l’heure déjà tardive il y avait peu d’animation dans la ville mais il n’y en eut plus du tout quand il en fut sorti. Au-delà du rideau liquide que l’essuie-glace combattait courageusement, la route était vide, luisante et triste. On ne voyait même pas le lac réduit à l’état de trou noir…