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Tout cela, Gamuzo le raconte à son vice-roi dont la première question sera pour demander qui est, à ce jour, l’amant en titre de la belle. Et Gamuzo de se tortiller en rougissant de façon fort explicite. Alors, don Manuel :

— Bien. Alors, mon bon, sachez ceci : « Son prochain amant ce sera moi… » Et comme Micaela achève justement une chanson, il se lève, applaudit à tout rompre immédiatement suivi par la salle entière.

Le soir même, la Villegas soupait avec Son Excellence au grand regret du pauvre Gamuzo persuadé qu’il était temps pour lui de se chercher une autre douce amie. Néanmoins, la jeune femme connaissait assez les hommes et aussi son pouvoir pour ne pas céder aux premières sollicitations de son admirateur. Elle va faire tourner celui-là en bourrique tout vice-roi qu’il est et, soir après soir, la haute société de Lima va voir don Manuel de Amat se rendre au Coliseo pour y applaudir la dame de ses pensées. Quand on dit applaudir le terme est faible car notre amoureux mène dans sa loge une vie impossible : quand il ne frappe pas dans ses mains, il trépigne, il adresse des œillades assassines à la jeune femme, il bat la mesure, tape sur le sol avec sa canne quand il n’encourage pas Micaela à haute et intelligible voix. Bref, il fait scandale et plus encore, quand la représentation terminée, il emmène la jeune femme souper dans son palais escortée par des porteurs de flambeaux.

Il faut que cela cesse et Miquita est trop fine mouche pour ne pas le comprendre. Aussi accepte-t-elle enfin de « couronner la flamme de son amoureux » et, du même coup, la fort belle demeure qu’il lui offre dans le quartier de San Marcelà, résidence d’autant plus intéressante qu’un souterrain la relie au palais du vice-roi. Dès cet instant leur liaison va prendre un caractère officiel.

Officielle mais pas pour autant paisible car Micaela est coquette et don Manuel horriblement jaloux. Les scènes sont fréquentes, passionnées d’ailleurs car notre comédienne a découvert avec stupeur qu’elle aime pour de bon son amoureux mais pour rien au monde elle ne le lui laisserait voir. Il faut qu’il continue à se croire obligé de se donner du mal pour garder sa jeune maîtresse.

Le procédé est bon sans doute car l’amour de don Manuel ne faiblit pas. Naïvement fier de sa beauté, il la couvre de tout ce qu’une femme peut souhaiter : elle a toilettes, bijoux, serviteurs, chevaux, tout… sauf un carrosse que seuls les Grands d’Espagne sont autorisés à posséder par la loi. Elle doit se contenter de chevaucher mules ou chevaux et quand, en fin de semaine, tous deux s’en vont à Miraflorès dans la belle maison que possède le neveu de don Manuel, celui-ci voyage dans son carrosse et Micaela suit derrière, sur un animal superbement harnaché et pomponné mais… derrière. Et de cette situation l’orgueil de la jeune femme souffre plus qu’elle ne veut bien le dire.

Le carrosse du Saint-Sacrement

Un soir de juin 1773, un énorme scandale éclate au Coliseo de Lima. Ce soir-là Micaela Villegas joue en compagnie de son administrateur Maza une pièce de Calderón : Fuego de Dios en querer bien. Mais elle joue mal. Avant le spectacle, une scène violente l’a opposée au vice-roi et, dans sa loge, celui-ci donne des signes de mécontentement. De son côté, Maza, agacé, houspille sa partenaire : il aurait mieux valu donner le rôle à la Inesilla.

S’il espère la galvaniser il réussit au-delà de ses espérances. Folle de colère, Micaela lève le fouet qu’elle tient pour les besoins de son rôle et, par deux fois, cingle la joue de Maza. Tout de suite c’est la tempête : la salle debout hurle « En prison, la comédienne ! » trouvant là, bien sûr, l’occasion idéale d’extérioriser sa rancœur et sa jalousie. Les femmes naturellement sont les plus enragées.

La lèvre méprisante, la comédienne fait face à l’orage. Des projectiles commencent à pleuvoir et quand elle lève la tête vers la loge royale, elle s’aperçoit qu’elle est vide. Ainsi, don Miguel l’a publiquement abandonnée !… La rage au cœur, elle hausse les épaules et sort de scène sous les huées.

Sans adresser la parole à quiconque, Micaela s’en va changer de vêtements et rentre chez elle. Pour y trouver don Manuel tout à fait furieux mais elle en a autant à son service : il l’a laissée seule en face de cette salle imbécile et si c’est là tout son amour…

Hélas, il n’est plus question d’amour : l’orgueil du grand seigneur a pris le dessus. Après ce scandale tout est fini entre eux et elle peut même s’estimer heureuse qu’il ne l’ait pas obligée à demander pardon à genoux au public.

À genoux ? Le mot la révolte et elle ne s’en cache pas. Tout vice-roi qu’il est, don Manuel n’obtiendra jamais une telle chose alors que jusqu’à présent c’était plutôt lui qui s’agenouillait…

— Tu ne m’y verras plus, s’écrie-t-il hors de lui. J’ai été fou d’oublier qui tu es et qui je suis. Adieu perricholi 2.

Il part en claquant la porte mais Micaela est à jamais baptisée. Pour le Pérou et même beaucoup plus loin, elle est et restera la Périchole.

À la suite de cette rupture, Micaela vit une année difficile. Plus d’amant – le souterrain a été muré – plus de travail. Au Coliseo c’est la Inesilla qui triomphe, cependant que les marques de mépris tombent dru sur sa maison d’où elle ne sort plus guère. Elle s’offre tout de même un amant assez voyant : un certain colonel, don Martin de Armendariz avec qui bientôt elle ne craint pas de s’afficher dans les lieux à la mode. Son courage… et la crainte de l’épée du colonel finissent par en imposer.

Pendant ce temps, il faut bien le dire, don Manuel a recommencé à s’ennuyer. Micaela savait l’enchanter, apporter du piment dans une vie où seul le sommeil lui semblait attirant. Pour tenter de se distraire il a continué de fréquenter le Coliseo mais le talent d’Inesilla, pour estimable qu’il soit, ne parvient pas à faire oublier la Périchole. Il en parle même un jour à l’un des principaux acteurs, José Estacio, demeuré un ami fidèle de la proscrite. Celui-ci a la sagesse de ne pas saisir la balle au bond mais de ramener petit à petit le vice-roi à de plus douces pensées : Micaela est toujours amoureuse de lui mais aimerait mieux se couper la langue que de l’avouer. Enfin, un soir, don Manuel se laisse mener jusqu’à la maison de Micaela. On devine la suite : les deux amants tombent dans les bras l’un de l’autre et le souterrain est rouvert. Quelques heures plus tard, Lima apprend que la Périchole a reconquis tout son pouvoir… et même un peu plus.

La soirée du 4 novembre 1775 consacre son triomphe. En raison de son exceptionnel talent, le public lui pardonne ses foucades. Elle donne le meilleur d’elle-même et tandis que les fleurs pleuvent sur la scène, don Manuel bat la mesure avec sa canne. Dès lors, elle sera la première à Lima. Don Manuel lui fait rendre les mêmes honneurs qu’à une reine. Quand naît un petit garçon, Manuelito, les présents pleuvent sur le berceau et les cloches retentissent pour le nouveau-né. Micaela est pratiquement vice-reine. Néanmoins, elle n’est pas encore satisfaite car elle continue à suivre, à cheval, la voiture de son amant. Elle déclare vouloir un carrosse pour y étaler ses riches toilettes et sa beauté.

Refus immédiat et indigné de don Manuel. Son amour à lui ne change rien à sa naissance. Alors elle riposte : sa mère appartenait à la grande famille des Mendoza. D’accord mais des Mendoza il y en a pas mal, quant à son père, mieux vaut ne pas insister. Micaela n’abandonne pas pour autant : un carrosse ou elle s’en va pour l’Europe où il ne manque pas de grands seigneurs assez riches pour lui offrir cette babiole.