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Music-hall et cour d’assises…

Que ce soit grâce à une constitution particulièrement robuste ou au talent des médecins de l’hôpital, toujours est-il que Leca se rétablit contre vents et marées. Mélie le ramène chez lui mais cette fois sans accident. Les journaux s’occupaient de plus en plus du couple et la jeune femme, sous son nouveau sobriquet de Casque d’Or connaissait une vraie célébrité. Très lucrative d’ailleurs car elle recevait des « invitations » d’amateurs beaucoup plus huppés que ses clients habituels. En outre, le couple avait la paix car la police, stimulée par les journaux, était lancée aux trousses de Manda à qui elle reprochait, outre ses récents exploits, toute une série de cambriolages.

Devant cette situation critique, l’ex-amant de Mélie décida de prendre le large et s’en alla chercher refuge chez un vieil ami, Albert Jupeau, dit Bébert la Jupe qui, avec son épouse Sylvie, une « gagneuse » avec laquelle il vivait depuis des années fort bourgeoisement et fort tranquillement. Tous deux aimaient bien Manda qui, pour eux, était un homme, un vrai, mais après avoir examiné la situation, ils en vinrent à la conclusion que Paris ne lui valait rien. Le mieux était de filer à l’étranger au moins pour un temps et, plein de générosité, Bébert remit à son copain une somme d’argent assez ronde pour lui permettre de vivre en Angleterre. Et le voilà parti.

Peut-être eût-il définitivement échappé à son sort s’il avait choisi un pays plus conforme à ses goûts mais il en eut vite assez du brouillard londonien, de la cuisine anglaise et de la bière tiède. Puis il y avait Mélie qu’il ne parvenait pas à oublier. Le mal du pays joint au mal d’amour le conduisirent sur le bateau du retour. Néanmoins, il eut la sagesse de ne pas regagner ses pénates et d’aller s’installer dans l’île Saint-Pierre, à Alfortville où il mena une sage existence de petit retraité jouant à la manille et péchant à la ligne.

Malheureusement dans le modeste hôtel où il a pris pension, se trouve un indicateur de la police. Un matin, la maison est cernée et Manda dûment arrêté. On instruit son procès et Casque d’Or est convoquée comme témoin mais lorsqu’elle voit celui qu’elle a aimé, encadré de deux agents et les menottes aux poignets, elle se laisse aller à son émotion : elle va vers le prisonnier, le prend dans ses bras et l’embrasse.

Elle est elle-même au seuil de la gloire. Un directeur de music-hall du boulevard Saint-Martin l’engage pour qu’elle se produise chez lui et, très vite, c’est le succès pour « le Bruyant Alexandre ». Leca bien sûr est ravi car la vie s’annonce belle mais il oublie un peu la bande des Orteaux, indignée de les voir se vautrer dans le luxe, lui et sa maîtresse, tandis que Manda croupit en prison. La police d’ailleurs pense de même. Un chahut monstre est organisé contre la chanteuse qui doit abandonner momentanément les représentations.

Pendant ce temps, néanmoins, les affaires de Leca se gâtent. Le juge d’instruction l’a convoqué pour le confronter avec Manda mais cela ne donne rien : fidèle à leur code de l’honneur, les deux hommes gardent un silence méprisant. La police est leur ennemie commune mais si la faculté leur en était donnée, ils s’entre-tueraient dès le lendemain.

C’est ce que va essayer de faire le reste de leur bande. Boulevard Voltaire, à trois contre trois on se fusille avec ardeur. Ce n’est plus la guerre de Troie – mais le combat des Horaces et des Curiaces. Leca mène au combat ce qui reste de sa troupe. Pas pour son bien : il est blessé une fois de plus mais il ne saurait être question de rejoindre Mélie qui va se produire aux Bouffes-du-Nord où l’on monte une sorte d’opérette dont elle est l’héroïne Casque d’Or, reine des Apaches… Un ami, Marcel, comme naguère Bébert pour Manda, lui donne les moyens de gagner la frontière et c’est à Bruxelles que se retrouve l’amant de la belle Casque d’Or. Celle-ci a d’ailleurs été convoquée par le commissaire Deslandes mais elle ignore tout de la fusillade du boulevard Voltaire.

La préfecture de police n’a pas l’air de la croire et, par représailles, menace le directeur des Bouffes-du-Nord de fermer son établissement s’il s’obstine à employer Mélie. Ce qui va inspirer à un journaliste les lignes suivantes :

« On empêche une courtisane pauvre de risquer sa chance sur les planches pour la renvoyer à son trottoir. » Et, dans le beau monde, on s’indigne. Au point qu’un artiste en vogue, Albert Dépré, propose à la jeune femme de faire son portrait qui sera exposé au Salon. C’est compter sans la vindicte de la police qui fait interdire l’exposition du tableau.

Pendant ce temps, les affaires de Leca se gâtent de plus en plus. Comme son confrère Manda, il est tombé sur un indicateur et se voit arrêté avec son lieutenant Erbs. On le ramène à Paris où la nouvelle consterne Mélie : avec le casier qu’il a, Leca est bon pour le bagne.

En attendant, Manda va affronter les assises : Casque d’Or y est citée comme témoin. Le Tout-Paris s’écrase dans la salle pour voir cette créature célèbre mais Mélie a changé : elle sait désormais s’habiller et c’est en tailleur gris à revers verts, sa chevelure éclatante surmontée d’un béret de plumes noires qu’elle paraît à la barre. Elle va déposer en faveur de Manda en vertu d’une politique bien simple : c’est lui qui est en danger pour l’instant, pas Leca dont le procès n’est pas encore annoncé. C’est ce dernier qu’elle charge quitte, quelques mois plus tard, à renverser la vapeur et à charger Manda, déjà condamné au bénéfice de Leca. Peine perdue : le jury envoie Manda au bagne à perpétuité. Ceux de ses hommes jugés avec lui écoperont d’un peu moins. C’en est fini : Manda ne reverra plus Casque d’Or.

On lui fait de nouvelles propositions : le directeur du théâtre de La Chapelle lui propose un engagement. Hélas, cette fois, c’est un manifeste des habitants du quartier qui s’oppose à sa carrière. Alors, un autre courageux se présente : le dompteur Mark. Veut-elle apprendre à maîtriser les fauves elle qui sait si bien maîtriser les hommes ? Pourquoi pas ? Et Mark annonce bientôt « la dompteuse masquée ». En effet Mélie se présente sous un loup de velours noir… qui ne trompe pas la police. Voilà encore une carrière qu’il faut abandonner.

Cependant le jour du procès de Leca et d’Erbs approche à la grande angoisse de Mélie qui tremble pour son amant favori. La séance s’ouvre le 20 octobre. La sentence différera de celle de Manda : les deux hommes n’auront que huit ans de bagne mais ensuite subiront la relégation à vie.

Le coup est moins dur pour Mélie qu’elle ne le craignait. Peut-être parce qu’elle s’y est préparée. Et puis un éditeur lui propose d’écrire ses mémoires, aidée bien sûr par un « nègre ».

Jugements rendus, Manda et Leca sont acheminés vers La Rochelle d’où ils gagneront le pénitencier de Saint-Martin-de-Ré puis, de là, les îles du Salut. Sachant à quel point ils se haïssent, les gardiens prennent soin de les tenir éloignés l’un de l’autre. De même à bord du transport La Loire qui les emmène vers la Guyane. On se demande au fond pourquoi car, avant d’embarquer Leca s’est marié. Mais pas avec Mélie : il a épousé à Fresnes son ancienne amie Germaine Van Maelle. Une femme celle-là et qui, en 1910, quittera la France pour vivre avec lui sa peine de relégation.

De son côté Manda avait appris la sagesse. Pas plus que son ennemi, il ne tenta une évasion vouée à l’échec. En outre, l’ancienne terreur a développé la part de douceur qui, dans son caractère, avait séduit Mélie. Souhaitant sincèrement se racheter, il a obtenu une place d’infirmier et, désormais, il aidera les médecins dans leur tâche avec autant de dévouement que d’intelligence. C’est seulement en 1935 qu’il mourra à l’âge de cinquante-neuf ans, devenu un homme exemplaire.