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Le commissaire observa encore les photographies du jeune Philippe Sertys puis celles de Rémy Caillois, éparses sur la table d’étudiant. De sa chemise cartonnée, s’échappèrent aussi les clichés du premier cadavre. Un fer de terreur brûla sa conscience : il ne pouvait demeurer ainsi, les bras ballants. A l’instant même où il regardait ces polaroïds, un troisième homme subissait peut-être les pires tortures. Des orbites étaient peut-être triturées au cutter, des yeux arrachés par des mains gantées de plastique.

Il était dix-neuf heures. La nuit tombait. Niémans se leva, éteignit le néon de la salle. Le policier se décida pour une plongée en profondeur dans l’existence de Philippe Sertys. Peut-être trouverait-il quelque chose. Un indice. Un signe.

Ou simplement un autre point commun entre les deux victimes.

28

PHILIPPE Sertys et sa mère vivaient dans un petit pavillon à l’extérieur de la ville, non loin d’une cité d’immeubles décrépis, le long d’une rue déserte. Un toit brunâtre polygonal, une façade blanche et sale, des rideaux de dentelle jaunis, qui encadraient l’obscurité intérieure comme un sourire carié. Niémans savait que la vieille femme détaillait encore son témoignage à la brigade, et aucune lumière ne brillait dans la maison. Pourtant, il sonna, afin de ne prendre aucun risque.

Pas de réponse.

Niémans fit le tour de la baraque. Le vent soufflait avec violence. Un vent glacé, porteur des prémices de l’hiver. Un petit garage jouxtait la demeure, sur la gauche. Il glissa un regard et aperçut une Lada boueuse, qui n’était plus de la première jeunesse. Il reprit son chemin. Quelques mètres carrés de pelouse rase se déployaient derrière le bâtiment : le jardin.

Le policier jeta encore un regard autour de lui, en quête de témoins indiscrets. Personne. Il monta les trois marches et observa la serrure. Un modèle classique, au rabais. Le commissaire força la porte sans difficulté, essuya ses pieds sur le paillasson et pénétra dans la maison de la victime présumée.

Après un vestibule, il accéda à un salon étriqué et alluma sa lampe de poche. Dans le faisceau blanc apparurent une moquette verdâtre, recouverte de petits tapis sombres, un convertible, coincé sous des fusils de chasse suspendus, des meubles mal ajustés, des babioles rustiques et mochardes.

Le policier éprouva un sentiment de confort ranci, de quotidien jaloux.

Il enfila des gants de latex et fouilla avec précaution les tiroirs. Il ne trouva rien de particulier. Des couverts plaqués argent, des mouchoirs brodés, des papiers personnels : feuilles d’impôts, formulaires de Sécurité sociale... Il feuilleta rapidement les paperasses, puis se livra encore à une inspection rapide d’autres détails. En vain. C’était le salon d’une famille sans histoire.

Niémans monta à l’étage supérieur.

Il repéra sans difficulté la chambre de Philippe Sertys. Des posters d’animaux, des magazines illustrés empilés dans un coffre, des programmes de télévision : tout respirait ici la misère intellectuelle, à la limite de la débilité. Niémans attaqua une fouille plus minutieuse. Il ne trouva rien, excepté quelques détails trahissant la vie totalement nocturne de Sertys. Des lampes de toutes sortes, de toutes puissances, s’égrenaient sur une étagère – comme si l’homme avait voulu recréer des lumières différentes pour chaque saison. Il remarqua aussi des volets renforcés, compacts et sans ouverture, pour se protéger de la lumière diurne ou pour ne pas révéler ses propres moments de veille. Niémans découvrit enfin des masques, comme ceux qu’on utilise dans les avions, afin de se protéger de la moindre clarté. Soit Sertys avait le sommeil difficile. Soit il possédait une nature de vampire.

Niémans souleva encore les couvertures, les draps, le sommier. Il glissa ses doigts sous le tapis, tâta le papier peint. Il ne découvrit rien. Et surtout pas la moindre trace d’une relation féminine.

Le policier jeta un regard dans la chambre de la mère, sans trop s’attarder. L’atmosphère de cette maison commençait à lui coller un cafard sans rémission. Il redescendit et inspecta rapidement la cuisine, la salle de bains, la cave. En pure perte.

Dehors, le vent battait toujours, secouant légèrement les vitres.

Il éteignit sa lampe et ressentit un frisson agréable, inattendu. Un sentiment d’intrusion feutrée, de refuge secret.

Niémans réfléchit. Il ne pouvait pas se tromper. Pas à ce point. Il devait dénicher ici un élément, un signe, quel qu’il fût. A mesure qu’il semblait se fourvoyer, il se persuadait qu’il avait raison au contraire, qu’il existait une vérité à surprendre, un lien entre Caillois et Sertys.

Le commissaire eut alors une autre idée.

Le vestiaire de l’hôpital diluait des couleurs de plomb. Les rangées de casiers se succédaient, dans un garde-à-vous précaire et grinçant. Tout était désert. Niémans avança sans bruit. Il lut les noms dans les petits cadres métalliques et repéra celui de Philippe Sertys.

Il enfila de nouveau ses gants et manipula le cadenas. Des souvenirs lui traversèrent l’esprit : le temps des expéditions nocturnes, des raids cagoulés, avec les équipes de l’Antigang. Il n’éprouvait aucune nostalgie pour cette époque. Niémans aimait plus que tout pénétrer les espaces, maîtriser les heures cruciales de la nuit, mais comme un véritable intrus : en solitaire, en silence, et en clandestin.

Quelques déclics, puis la porte s’ouvrit. Des blouses. Des friandises. Des vieux magazines. Et encore des lampes et des masques. Niémans palpa les parois, observa les recoins en prenant garde de ne pas faire résonner la ferraille. Rien. Il vérifia que le casier ne contenait pas de faux plafond, de trappe.

Niémans s’agenouilla et jura. A l’évidence, il s’obstinait sur une fausse piste. Il n’y avait rien à découvrir dans la vie de ce jeune type. Et d’ailleurs, il n’était même pas sûr que le cadavre congelé, dans les hauteurs de la montagne, fût bien celui du célibataire. Philippe Sertys allait peut-être réapparaître dans quelques jours, après sa première fugue, dans les bras d’une superbe infirmière.

Le policier fut forcé de sourire, face à son propre entêtement. Il décida de s’éclipser avant qu’on ne le surprenne dans cette position. C’est lorsqu’il se releva qu’il aperçut, sous l’armoire, une dalle de linoléum légèrement décollée. Il glissa sa main, palpa le morceau de matériau synthétique. Avec deux doigts, il souleva la dalle. Il sentit les caillebotis du ciment, le contact d’un objet. Il perçut un cliquetis, avança les doigts encore puis serra le poing. Quand il le rouvrit, il tenait dans sa main une clé et son anneau, qui avaient été soigneusement cachés sous le casier.

Le long de la hampe, Niémans reconnut les indentations caractéristiques, destinées à ouvrir une serrure blindée.

Si Sertys possédait un secret, il était situé derrière la porte que cette clé ouvrait.