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— Je leur expliquerai, trancha Terpentes. (Il se tourna vers Niémans.) Commissaire, nous vous écoutons.

L’emphase de cette scène pesait à Niémans. Il avait hâte d’être dehors, dans l’enquête, et surtout seul.

— Capitaine Barnes, demanda-t-il, combien d’hommes avez-vous ?

— Huit. Non... Excusez-moi, neuf.

— Sont-ils habitués à interroger des témoins, à relever des indices, à organiser des barrages routiers ?

— Eh bien... Ce n’est pas vraiment le genre de choses que nous...

— Et vous, capitaine Vermont, combien d’hommes avez-vous ?

La voix du gendarme claqua comme un tir d’honneur :

— Vingt. Des hommes d’expérience. Ils vont quadriller les terrains qui entourent les lieux de la découverte et...

— Très bien. Je suggère qu’ils interrogent aussi toutes les personnes qui habitent près des routes menant à la rivière, qu’ils visitent aussi les stations-service, les gares, les maisons voisines des arrêts de car... Le jeune Caillois, pendant ses randonnées, dormait parfois dans les refuges. Repérez-les et fouillez-les. La victime a peut-être été surprise dans l’un d’eux.

Niémans se tourna vers Barnes.

— Capitaine, je veux que vous lanciez des demandes d’informations dans toute la région. Je veux obtenir, avant midi, la liste des rôdeurs, maraudeurs et autres clochards du département. Je veux que vous vérifiiez les récentes sorties de prison, dans un rayon de trois cents kilomètres. Les vols de voiture et les vols tout court. Je veux que vous interrogiez tous les hôtels, les restaurants. Envoyez des questionnaires par fax. Je veux connaître le moindre fait singulier, la moindre arrivée suspecte, le moindre signe. Je veux aussi la liste des faits divers survenus ici, à Guernon, depuis vingt ans et plus, qui pourraient rappeler, de près ou de loin, notre affaire.

Barnes notait chaque exigence sur un carnet. Niémans s’adressa à Joisneau :

— Contacte les Renseignements généraux. Demande-leur la liste des sectes, des mages et de tous les frappadingues recensés dans la région.

Joisneau acquiesça. Terpentes opinait aussi du chef, en signe d’assentiment supérieur, comme si on lui ôtait les idées de la tête.

— Voilà de quoi vous occuper en attendant les résultats de l’autopsie, conclut Niémans. Inutile de vous signaler que nous devons garder le silence absolu sur tout ça. Pas un mot à la presse locale. Pas un mot à quiconque.

Les hommes se quittèrent sur le perron du CHRU – le Centre hospitalier régional universitaire –, accélérant le pas sous la bruine matinale. Sous l’ombre du haut édifice, qui semblait dater d’au moins deux siècles, ils rejoignirent chacun leur véhicule, visage baissé, épaules rentrées, sans un mot ni un regard.

La chasse commençait.

5

PIERRE Niémans et Éric Joisneau se rendirent aussitôt à l’université, aux portes de la ville. Le commissaire demanda au lieutenant de l’attendre dans la bibliothèque, située dans le bâtiment principal, tandis qu’il rendait visite au recteur de la faculté, dont les bureaux occupaient le dernier étage de l’édifice administratif, cent mètres plus loin.

Le policier pénétra dans une vaste construction des années soixante-dix, déjà rénovée, au plafond très haut, dont chaque mur portait une couleur pastel distincte. Au dernier étage, dans une sorte d’antichambre occupée par une secrétaire et son petit bureau, Niémans se présenta et demanda à voir M. Vincent Luyse.

Il patienta quelques minutes et put contempler, sur les murs, des photographies d’étudiants triomphants, brandissant des coupes et des médailles, le long de pistes de ski ou de torrents furieux.

Quelques minutes plus tard, Pierre Niémans se tenait debout face au recteur. Un homme aux cheveux crépus et au nez épaté, mais au teint de talc. Le visage de Vincent Luyse était un curieux mélange de traits négroïdes et de pâleur anémique. Dans la pénombre orageuse, quelques rayons de soleil dardaient, découpant des copeaux de lumière. Le recteur proposa au policier de s’asseoir et commença à se masser nerveusement les poignets.

— Alors ? demanda-t-il d’une voix sèche.

— Alors quoi ?

— Vous avez découvert des indices ?

Niémans étendit les jambes.

— Je viens d’arriver, monsieur le recteur. Laissez-moi le temps de prendre mes marques. Répondez plutôt à mes questions.

Luyse se raidit sur son siège. Tout son bureau était construit en bois ocre, ponctué de mobiles métalliques qui rappelaient des tiges de fleurs sur une planète d’acier.

— Y a-t-il déjà eu des histoires suspectes dans votre fac ? demanda Niémans, sur un ton calme.

— Suspectes ? Pas du tout.

— Pas d’histoires de drogue ? Pas de vols ? Pas de bagarres ?

— Non.

— Il n’y a pas non plus de bandes, de clans ? Des jeunes qui se seraient monté la tête ?

— Je ne vois pas ce que vous voulez dire.

— Je pense par exemple aux jeux de rôles. Vous savez, ces jeux pleins de cérémonies, de rituels...

— Non. Il n’y a pas de ça chez nous. Nos étudiants ont l’esprit clair.

Niémans garda le silence. Le recteur toisa son allure cheveux en brosse, haute carrure, crosse du MR 73 dépassant du manteau. Luyse se passa la main sur le visage puis déclara, comme s’il cherchait à s’en convaincre lui-même :

— On m’a dit que vous étiez un excellent policier.

Niémans n’ajouta rien et fixa le recteur. Luyse détourna les yeux et reprit :

— Je ne souhaite qu’une chose, commissaire, c’est que vous découvriez l’assassin au plus vite. La rentrée va bientôt survenir et...

— Pour l’instant, aucun étudiant n’a mis les pieds sur le campus ?

— Seulement quelques internes. Ils s’installent là-haut, sous les combles du bâtiment principal. Il y a aussi quelques professeurs, qui préparent leurs cours.

— Je peux avoir leur liste ?

— Mais... (il hésita) aucun problème...

— Et Rémy Caillois, comment était-il ?

— C’était un bibliothécaire très discret. Solitaire.

— Était-il aimé des étudiants ?

— Mais oui... Bien sûr.

— Où vivait-il ? A Guernon ?

— Ici même, sur le campus. Au dernier étage du bâtiment principal, avec son épouse. L’étage des internes.

— Rémy Caillois était âgé de vingt-cinq ans. De nos jours, c’est plutôt jeune pour se marier, non ?

— Rémy et Sophie Caillois sont d’anciens étudiants de notre faculté. Avant cela, ils s’étaient connus, je crois, au collège du campus, réservé aux enfants de nos professeurs. Ce sont... c’étaient des amis d’enfance.

Niémans se leva brutalement.

— Très bien, monsieur le recteur. Je vous remercie.

Le commissaire s’éclipsa aussitôt, fuyant l’odeur de peur qui régnait ici.

Des livres.

Partout, dans la grande bibliothèque de l’université, de multiples rangées de livres se déployaient sous la lumière des néons. Les rayonnages ajourés en métal soutenaient de véritables murailles de papier, parfaitement disposées. Des tranches de couleur sombre. Des ciselures or ou argent. Des étiquettes portant toujours le sigle de l’université de Guernon. Au centre de la salle déserte se dressaient des tables plastifiées, séparées en de petits compartiments vitrés. Lorsque Niémans était entré dans la pièce, il avait aussitôt pensé à un parloir de prison.