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— Niémans, j’ai lu avec attention votre dossier d’enquête. Il y a là-dedans d’autres indices, d’autres détails qui convergent vers Judith Hérault.

Le commissaire soupira.

— Je t’écoute. Je ne sais pas ce que j’y gagne, mais je t’écoute.

Le lieutenant beur se mit à arpenter la pièce comme un fauve en cage.

— Dans votre dossier, il apparaît que vous n’avez qu’une seule certitude sur le meurtrier : ses aptitudes d’alpiniste. Or, quel était le métier de Sylvain Hérault ? Cristallier. Il arpentait les sommets pour arracher des cristaux à la pierre. Il était un alpiniste d’exception. Toute sa vie il l’a passée sur le flanc des falaises, le long des glaciers. Là même où vous avez retrouvé les deux premiers corps.

— Comme plusieurs centaines d’alpinistes chevronnés dans la région. C’est tout ?

— Non. Il y a aussi le feu.

— Le feu ?

— J’ai noté un détail dans le premier rapport d’autopsie. Une remarque bizarre, qui résonne dans ma tête depuis que je l’ai lue. Le corps de Rémy Caillois portait des traces de brûlures. Costes a noté que le meurtrier avait pulvérisé de l’essence sur les plaies de sa victime. Il parle d’un aérosol trafiqué, d’un Karcher.

— Eh bien ?

— Eh bien, il existe une autre explication. Le tueur pourrait être un cracheur de feu qui aurait vaporisé l’essence avec sa propre bouche.

— Je ne te suis pas.

— Parce que vous ignorez un détail particulier : Judith Hérault savait cracher le feu. C’est incroyable, mais c’est la vérité. J’ai rencontré le forain qui lui a appris cette technique, quelques semaines avant sa mort. Une technique qui la fascinait. Elle disait qu’elle voulait en user comme d’une arme, pour protéger sa « maman ».

Niémans se massait la nuque.

— Bon Dieu, Karim, Judith est morte !

— Il y a un dernier signe, commissaire. Plus vague encore, mais qui pourrait trouver sa place dans l’écheveau. Dans le premier rapport d’autopsie, à propos de la technique de strangulation, le légiste a écrit : « Filin métallique. De type câble de frein ou corde de piano. » Sertys a-t-il été tué de la même façon ?

Le commissaire acquiesça. Karim enchaîna :

— Ce n’est peut-être rien, mais Fabienne Hérault était pianiste. Une virtuose. Imaginez un instant que cela soit une véritable corde de piano qui ait tué les trois victimes, ne pourrait-on y voir un lien symbolique ? Un vrai filin tendu avec le temps passé ?

Pierre Niémans se leva cette fois en hurlant :

— Où veux-tu en venir, Karim ? Qu’est-ce que nous cherchons ? Un fantôme ?

Karim se tortilla dans sa veste de cuir, comme un gamin confus.

— Je ne sais pas.

Niémans marcha à son tour et demanda :

— Tu as pensé à la mère ?

— Ouais, bien sûr, répondit Karim. Mais ce n’est pas elle. (Il baissa d’un ton.) Ecoutez-moi encore, commissaire. Je vous ai gardé le meilleur pour la fin. Quand j’étais chez les Caillois, le fantôme m’a surpris. Un fantôme que j’ai poursuivi mais qui m’a échappé.

— Quoi ?

Karim esquissa un sourire contrit.

— La honte est sur moi.

— De quoi avait-il l’air ? reprit aussitôt Niémans.

— De quoi avait-elle l’air : c’était une femme. J’ai vu ses mains. J’ai entendu son souffle. Aucun doute là-dessus. Elle mesure environ un mètre soixante-dix. Elle m’a paru assez balèze, mais ce n’est pas la mère de Judith. La mère est un colosse. Elle mesure plus d’un mètre quatre-vingts, avec des épaules de débardeur. Plusieurs témoignages se recoupent sur ce point.

— Alors qui ?

— Je ne sais pas. Elle portait un ciré noir, un casque de cycliste, une cagoule. C’est tout ce que je peux dire.

Niémans se leva.

— Il faut lancer son signalement.

Karim lui saisit le bras.

— Quel signalement ? Une cycliste dans la nuit ? (Karim sourit.) J’ai peut-être mieux que ça.

Il sortit de sa poche son Glock empaqueté dans une enveloppe transparente :

— Ses empreintes sont là-dessus.

— Elle a tenu ton flingue ?

— Elle a même vidé le chargeur au-dessus de ma tête. C’est une meurtrière originale, commissaire. Elle assume une vengeance de psychopathe, mais je suis sûr qu’elle ne veut de mal à personne d’autre que ses proies.

Niémans ouvrit la porte violemment.

— Monte au premier. Les gars du SRPJ ont apporté un comparateur d’empreintes. Un CMM, flambant neuf, directement connecté à MORPHO. Mais ils ne savent pas le faire fonctionner. Un type de la police scientifique est en train de les aider : Patrick Astier. Monte le voir – il doit être accompagné de Marc Costes, le médecin légiste. Ces deux gars sont avec moi. Tu les prends à part, tu leur expliques, et tu compares tes empreintes avec les fiches dactylaires de MORPHO.

— Et si les empreintes ne nous disent rien ?

— Alors tu retrouves la mère. Son témoignage est capital.

— Je cherche cette bonne femme depuis plus de vingt heures, Niémans. Elle se cache. Et elle se cache bien.

— Reprends toute l’enquête. Tu as peut-être laissé passer des indices.

Karim s’électrisa :

— Je n’ai rien laissé passer du tout.

— Si. C’est toi-même qui me l’as dit. Dans ton bled, la tombe de la petite fille est parfaitement entretenue. Quelqu’un vient donc s’en occuper, régulièrement. Qui ? Ce n’est tout de même pas Sophie Caillois. Alors réponds à cette question. Et tu retrouveras la mère.

— J’ai interrogé le gardien. Jamais il n’a vu...

— Peut-être qu’elle ne vient pas en personne. Peut-être qu’elle a délégué une société de pompes funèbres, je ne sais pas. Trouve, Karim. De toute façon, tu dois retourner là-bas pour ouvrir le cercueil.

Le flic arabe frissonna.

— Ouvrir le...

— Nous devons savoir ce que cherchaient les profanateurs. Ou ce qu’ils ont trouvé. Tu découvriras aussi dans la bière l’adresse du croque-mort. (Niémans décocha un clin d’œil macabre.) Un cercueil, c’est comme un pull-over : la marque est à l’intérieur.

Karim déglutit. A l’idée de retourner au cimetière de Sarzac, à l’idée de remonter la nuit, pour plonger de nouveau dans le caveau, la peur lui cassait les membres. Mais Niémans récapitula, d’une voix sans appel :

— D’abord les empreintes. Ensuite le cimetière. Nous avons jusqu’à l’aube pour régler cette affaire. Toi et moi, Karim. Et personne d’autre. Après ça, nous devrons rentrer au bercail, et rendre des comptes.

L’autre releva son col.

— Et vous ?

— Moi ? Je remonte vers la source des rivières pourpres, vers la piste de mon petit flic, Éric Joisneau. Lui seul avait découvert une part de la vérité.

— Avait ?

Le visage de Niémans se déchira.

— Il a été tué par Chernecé, avant que lui-même ne soit tué par notre meurtrier – ou notre meurtrière. J’ai retrouvé son corps dans une fosse chimique, au fond de la cave du toubib. Chernecé, Caillois et Sertys étaient des ordures, Karim. Je possède désormais cette conviction. Et je crois que Joisneau avait découvert une piste qui allait dans ce sens. C’est ce qui lui a coûté la vie. Trouve l’identité du tueur, je trouverai son mobile. Trouve qui se cache derrière le fantôme de Judith. Je trouverai la signification des rivières pourpres.