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Depuis toujours, aux yeux de Jaime, jouter faisait les trois quarts de l’art de l’équitation. Ser Loras montait de façon superbe, et il maniait la lance comme s’il était né une lance au poing, ce qui justifiait sans l’ombre d’un doute les mines pincées de sa mère. Il place la pointe juste à l’endroit où il entend la placer, et l’équilibre qu’il possède a quelque chose de félin. Ce n’était peut-être pas au fond grâce à un coup de veine inouï qu’il avait réussi à me désarçonner. Hélas, il n’aurait plus jamais l’occasion d’en tâter contre ce garçon-là… Dans sa nostalgie, Jaime aima mieux abandonner tout ce petit monde à ses divertissements.

Cersei se trouvait dans sa loggia de la Citadelle de Maegor, en compagnie de Tommen et de la Myrienne à cheveux noirs, épouse de lord Merryweather. Le Grand Mestre Pycelle était en train de faire les frais de leur hilarité commune. « Aurais-je raté quelque bonne blague ? demanda Jaime en franchissant le seuil.

— Oh, regardez ! Votre Grâce…, ronronna lady Merryweather, votre vaillant frère est de retour.

— Presque entier. » La reine était passablement éméchée, se rendit-il compte. On aurait dit, ces derniers temps, qu’elle tenait en permanence une carafe de vin à la main, elle qui marquait autrefois le plus profond mépris pour les biberonnages intempérants de Robert Baratheon. Qu’elle se soit mise à boire était bien fait pour révulser Jaime, mais il semblait que chacun des agissements de sa sœur n’arrivait ces jours-ci qu’à le dégoûter. « Grand Mestre, dit-elle, faites donc partager les nouvelles au lord Commandant, s’il vous plaît. »

Pycelle eut l’air épouvantablement gêné. « Il est arrivé un oiseau, bafouilla-t-il. En provenance de Castelfoyer. Lady Tanda tient à nous annoncer que sa fille Lollys est accouchée d’un fils robuste et vigoureux.

— Et vous ne devinerez jamais de quel nom ils ont attifé ce brin de bâtard, frère.

— Ils souhaitaient l’appeler Tywin, ça, je m’en souviens.

— En effet, mais je le leur ai interdit. J’ai averti Falyse que je ne tolérerais pas de voir octroyer le noble nom de notre père à l’ignominieuse portée d’une truie débile saillie par quelque gardeur de pourceaux.

— Lady Castelfoyer se défend d’être pour quoi que ce soit dans le choix du nom de l’enfant », spécifia le Grand Mestre. La sueur perlait sur son front ridé. « La faute en incombe au mari de Lollys, écrit-elle. C’est cette saleté de Bronn qui… Tout semblerait indiquer que ce soit lui qui…

— Tyrion, hasarda Jaime. Il a baptisé le moutard Tyrion. »

Le vieillard esquissa un hochement tremblant, tout en s’épongeant le front avec la manche de sa robe.

Jaime ne put s’empêcher d’éclater de rire. « Eh bien, vous voilà finalement comblée, sœur de mon cœur. Pendant tout ce temps où vous vous acharniez à faire rechercher Tyrion de tous les côtés, lui se cachait benoîtement dans les entrailles de Lollys !

— Très spirituel. Ce que vous pouvez être spirituels tous les deux, vous et Bronn. Sans doute le bâtard est-il en train de pomper l’une des mamelles de Lollys l’Andouille au moment même où nous parlons, sous l’œil goguenard de ce maudit reître, enchanté de son insolence au rabais.

— Peut-être cet enfant présente-t-il quelque ressemblance avec votre petit frère, suggéra lady Merryweather. Qui sait s’il n’est pas né difforme ou privé de nez ? roucoula-t-elle avec un rire de gorge.

— Nous allons devoir envoyer un cadeau à ce mignon chéri, déclara la reine. N’est-ce pas, Tommen ?

— Nous pourrions lui offrir un chaton.

— Un lionceau », susurra lady Merryweather, avec un sourire qui insinuait : pour lui déchirer son gosier mignon.

« J’avais en tête une tout autre sorte de présent », dit Cersei.

Un nouveau parâtre, je parierais.L’expression qu’il lisait dans les yeux de sa sœur, Jaime la connaissait. Il avait déjà eu par le passé maintes occasions de la remarquer, la plus récente datant du soir même des noces de Tommen, tandis qu’elle faisait incendier la tour de la Main. Si le flamboiement vert du feu grégeois qui se reflétait alors sur leurs figures donnait un air de quelque chose à tous les assistants, c’était à s’y méprendre l’air de cadavres en putréfaction, l’air jubilant d’une meute macabre de goules, mais il y avait au sein de ce charnier des charognes plus appétissantes que d’autres. De quelque manière lugubre qu’en fût illuminée sa beauté, Cersei resplendissait comme jamais peut-être. Elle se tenait là, debout, une main plaquée sur son sein, les lèvres entrebâillées, ses prunelles vertes brillant d’un éclat inouï. Mais elle est en train de pleurer ! s’était brusquement avisé Jaime, quitte à se trouver fort en peine de dire en l’occurrence s’il s’agissait là de larmes de deuil ou de jouissance.

En tout cas, leur vue l’avait singulièrement bouleversé en lui rappelant Aerys Targaryen et l’état de surexcitation dans lequel le plongeait le spectacle d’une crémation. Un roi n’a pas de secrets pour sa Garde Royale. Les relations entre celui-ci et sa reine avaient été des plus tendues durant les dernières années du règne. Ils faisaient chambre à part et s’évitaient l’un l’autre de leur mieux pendant les heures de veille. Mais, chaque fois qu’Aerys livrait un homme aux flammes, la reine Rhaella était assurée d’avoir une visite au cours de la nuit suivante. Le soir même du jour où il avait brûlé sa Main masse-et-poignard, Jaime montait la garde avec Jon Darry devant la chambre à coucher de cette dernière pendant qu’à l’intérieur son royal époux prenait son plaisir. « Vous me faites mal ! avaient-ils entendu Rhaella crier à travers les vantaux de chêne. Vous me faites mal ! » Et, chose assez étrange, il en avait été plus terriblement affecté que par les hurlements de lord Chelsted. Tant et si bien qu’à la longue il n’avait pu se retenir de souffler : « Notre serment nous engage à la protéger, elle aussi…

— Certes », était convenu Darry, sauf à ajouter : « Mais pas contre lui ».

Jaime n’avait plus aperçu la reine qu’une seule fois après cette scène, le matin du jour où elle était partie se réfugier à Peyredragon. Il l’avait en fait tout juste entrevue, à l’instant où, soigneusement emmitouflée dans un manteau, la tête enfouie sous un capuchon, elle grimpait dans le carrosse royal qui devait la mener des hauteurs de la colline d’Aegon jusqu’au vaisseau qui l’attendait, prêt à appareiller. Mais il avait ensuite surpris les chuchotements des femmes de chambre. Avec ses cuisses lacérées de griffures et ses seins meurtris de morsures, leur maîtresse paraissait avoir été la proie d’un fauve déchaîné. D’un fauve couronné, Jaime ne le savait que trop.

Vers la fin, le souverain, dans sa démence, avait une barbe hirsute et crasseuse, une monstrueuse tignasse dont l’argent doré l’embroussaillait jusqu’à la ceinture, des ongles longs de neuf pouces et crevassés, jaunes comme des serres, et il était devenu trouillard au point de prohiber la moindre lame en sa présence, à l’exception des épées que portaient les membres de sa propre Garde. Et cependant, les lames n’en persistaient pas moins à le martyriser, celles auxquelles il lui serait de toute manière à jamais impossible de se soustraire, les lames du Trône de Fer. Ses bras et ses jambes étaient inexorablement tapissés de croûtes et de plaies sans cesse suintantes.