Выбрать главу

Un silence énorme s’abattit soudain. La bise soufflait, les vagues se brisaient sur la grève, des hommes se murmuraient des choses à l’oreille. Erik Forgefer abaissa son regard sur Asha Greyjoy. « Greluche… Greluche trois fois maudite ! C’est quoi, ça qu’ t’as dit ?

— Lève-toi, Erik, répéta-t-elle sans broncher. Lève-toi, et je crierai ton nom avec tous les autres. Lève-toi, et je serai la première à te suivre. Tu veux une couronne, c’est entendu. Lève-toi et prends-la. »

Du sein de la foule éclata, à un autre endroit, le rire de l’Œil-de-Choucas. Erik le dévisagea fixement. Ses mains de colosse se crispèrent violemment sur les accoudoirs du fauteuil de bois flotté. Sa face devint cramoisie puis se violaça. L’effort fit trembler ses bras. Aeron vit une grosse veine bleue lui battre le cou pendant qu’il s’échinait à se mettre debout. On eut un moment l’impression qu’il allait réussir à le faire mais, le souffle lui manquant d’un seul coup, il poussa un grognement et s’affala derechef parmi ses coussins. Euron n’en rigola qu’à gorge mieux déployée. Le mahous laissa retomber sa tête sur sa poitrine et ne fut plus qu’un pauvre vieux, ce en l’espace d’un clin d’œil. Ses petits-fils le remportèrent au bas de la colline.

« Qui gouvernera les Fer-nés ? lança le prêtre une fois de plus. Qui régnera sur nous ? »

Les hommes échangèrent des regards interrogatifs. Certains louchaient vers Victarion, certains du côté d’Euron, quelques-uns en direction d’Asha. Les vagues accouraient, vertes, s’écraser, blanches, contre les boutres. La mouette glapit à nouveau, d’une voix rauque, désolée. « Fais valoir tes droits, Victarion ! beugla le Merlyn. Qu’on en finisse une bonne fois pour toutes avec ces pantalonnades !

— Quand je serai prêt ! » lui gueula Victarion.

Aeron s’en félicita. Mieux vaut qu’il attende.

Ainsi la main passa-t-elle au Timbal, encore un vieillard, mais pas aussi chenu que le précédent. Il escalada la colline sur ses propres jambes, avec sur la hanche Pluie Pourpre, sa fameuse épée d’acier valyrien, forgée dans les temps d’avant le Fléau. L’escortaient des champions de première bourre : ses fils Denys et Donnel qui, déjà combattants valeureux tous deux, flanquaient en outre Andrik l’Insouriant, géant s’il en était et muni de bras trapus comme des troncs d’arbre. Qu’un type de cet acabit soutînt la cause du Timbal valait son pesant d’éloges.

« Où est-il écrit que notre roi doive être une seiche ? débuta ce dernier. De quel droit l’île de Pyk peut-elle se prévaloir pour nous gouverner ? Grand Wyk est la plus vaste de l’archipel, Harloi la plus riche, Vieux Wyk la plus sainte. Lorsque la lignée noire fut consumée par le feudragon, c’est à Vickon Greyjoy que les Fer-nés concédèrent la primauté, ouais… Mais comme lord, pas comme roi. »

C’était une entrée en matière astucieuse. Aeron entendit retentir des cris d’approbation, mais qui se dissipèrent au fur et à mesure que le vieil homme entreprenait de vanter par le menu la gloire de sa maison. Il parla de Dale la Terreur, de Roryn le Razzieur, des cent fils de Gormond Timbal le Patriarche. Il dégaina Pluie Pourpre et conta de quelle manière Hilmar Timbal le Matois s’était débrouillé pour la prendre à un chevalier armé de pied en cap, sans autres atouts, lui, que sa vivacité d’esprit et qu’une vulgaire matraque en bois. En l’entendant parler de bateaux depuis longtemps perdus, de batailles oubliées depuis huit cents ans, l’assistance devint rétive. Et il parla, parla, parla, puis il parla encore et encore et encore…

Et quand il eut finalement fait déballer ses coffres, les capitaines constatèrent qu’il ne leur avait apporté que des présents de pingre. On ne s’est jamais payé de trône en monnaie de singe, songea le Tifs-Trempes. La véracité de ce fait se confirma de manière assourdissante, car les cris de : « Timbal ! Timbal ! Dunstan roi ! » firent bientôt long feu.

Aeron se sentit soudain le ventre serré, et il lui sembla que le déferlement des vagues était à présent plus bruyant. L’heure a sonné, songea-t-il. L’heure a sonné pour Victarion de se déclarer. « Qui régnera sur nous ? » cria-t-il encore une fois, mais en repérant pour le coup son frère dans la cohue pour darder farouchement sur lui ses prunelles noires… « Neuf fils étaient issus des reins de Quellon Greyjoy. L’un d’eux se révéla d’une puissance physique supérieure à celle de tous les autres, et il faisait montre d’une intrépidité sans faille. »

Leurs yeux n’eurent qu’à se croiser pour que Victarion acquiesce d’un hochement. Les rangs des capitaines s’ouvrirent devant ses pas quand il se dirigea vers l’escalier. « Frère, accorde-moi ta bénédiction », dit-il une fois parvenu en haut. Il s’agenouilla et inclina la tête. Aeron déboucha sa gourde et lui versa un filet d’eau de mer sur le front. « Ce qui est mort ne saurait mourir… », articula-t-il, et Victarion poursuivit en répons : « … mais se lève à nouveau, plus dur à la peine et plus vigoureux ».

Quand Victarion se releva, ses champions se rangèrent au-dessous de lui : Ralf le Boiteux, Ralf le Rouge de Maisonpierre et Nutt le Barbier, tous appartenant à la fine fleur des guerriers. Maisonpierre était porteur de la bannière Greyjoy à l’emblème de la seiche d’or sur un champ d’encre comme la mer à minuit. Aussitôt qu’il l’eut déroulée, les capitaines et les rois commencèrent à brailler le nom du lord Capitaine. Victarion attendit pour prendre la parole qu’ils se soient calmés. « Vous me connaissez tous. Si c’est de paroles mielleuses que vous avez envie, adressez-vous ailleurs. Je n’ai pas une langue de chanteur. J’ai une hache, et j’ai ces deux-là. » Il brandit vers le ciel ses énormes mains tapissées de maille pour les leur montrer, pendant que Nutt le Barbier exhibait, lui, l’arme, une effroyable masse d’acier. « J’ai été un frère loyal, poursuivit Victarion. Lorsque Balon s’est marié, c’est moi qu’il a chargé d’aller chercher sa future et de la ramener d’Harloi. J’ai conduit ses navires en maintes batailles et n’en ai jamais perdu qu’une seule. La première fois que Balon prit une couronne, c’est moi qui pénétrai dans Port-Lannis afin de roussir la queue du lion. La seconde fois, c’est moi qu’il dépêcha pour dépecer le Jeune Loup si celui-ci s’avisait jamais de retourner hurler chez lui. De moi, vous obtiendrez plus que vous n’avez obtenu de Balon. Voilà tout ce que j’ai à dire. »

Ses champions se mirent sur ces entrefaites à entonner le chant de « VICTARION ! VICTARION ! VICTARION ROI ! », cependant qu’au bas de la butte ses hommes renversaient ses coffres de pillard et en faisaient cascader de somptueux ruisseaux d’argent, d’or et de pierreries. Des capitaines se bousculèrent à qui mieux mieux pour s’emparer des plus riches dépouilles, non sans, ce faisant, beugler de même : « VICTARION ! VICTARION ! VICTARION ROI ! » Aeron loucha vers le Choucas. Est-ce à présent qu’il va parler, ou bien préférera-t-il laisser les états généraux de la royauté continuer à se dérouler ? Orkwood d’Orkmont était en train de chuchoter des choses à l’oreille d’Euron.

полную версию книги