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Gibson se mit à rire, mais sans trop de conviction. Il y avait une bonne dose de vérité dans ce que Norden venait de dire. La seule difficulté et le coût du voyage interplanétaire, ainsi que le temps nécessaire pour aller d’un monde à l’autre, provoquaient inévitablement une certaine incompréhension, pour ne pas dire une intolérance, entre la Terre et Mars. Martin formula le vœu qu’avec l’accroissement de la vitesse des transports, ces barrières disparaîtraient et que les deux planètes se rapprocheraient l’une de l’autre par l’esprit comme par le temps.

Ils avaient maintenant atteint le bloc et attendaient le véhicule qui devait mener le capitaine à la piste d’envol. Le reste de l’équipage avait déjà fait ses adieux auparavant et il était en route pour Déimos.

Seul Jimmy avait bénéficié d’une dispense spéciale pour accompagner Hadfield et Irène le lendemain. Le jeune garçon avait incontestablement fait du chemin depuis son départ, pensa Gibson avec amusement. Il ne peut s’empêcher de se demander quelle quantité de travail Norden allait obtenir de lui au cours de la traversée.

— Eh bien, John, j’espère que vous aurez un bon retour, dit Gibson en lui tendant la main, comme la porte du sas s’ouvrait. Quand aurai-je le plaisir de vous revoir ?

— Dans dix-huit mois, à peu près. Il faut que j’aille sur Vénus entre-temps. Quand je reviendrai, j’espère trouver du changement ; je veux voir des plantes à air et des Martiens partout !

— Je n’en promets pas tant dans un si court délai, répondit le romancier en riant, mais nous ferons l’impossible pour ne pas vous décevoir !

Ils se serrèrent la main et Norden disparut à l’intérieur. Gibson réalisa qu’il était impossible de ne pas ressentir une poussée d’envie en évoquant toutes les choses que son ami allait retrouver, toutes les beautés de la Terre qui lui avaient naguère semblé si communes et qu’il ne reverrait pas avant de nombreuses années.

Il lui restait encore des adieux à faire, les plus difficiles de tous. Sa dernière entrevue avec Hadfield nécessiterait un tact et une délicatesse considérables. La comparaison de Norden était bonne : ce serait une sorte d’entretien avec un monarque détrôné sur le point de partir en exil.

En fait, les appréhensions de Gibson furent sans fondement. Hadfield était toujours le maître de la situation, et il semblait très rassuré quant à son avenir. Quand Gibson entra, il venait de terminer le tri de ses papiers. La pièce paraissait froide et nue, avec ses trois corbeilles à papiers dans un coin, regorgeant d’imprimés et de notes au rebut. Whittaker devait emménager le lendemain pour y assumer l’intérim.

— J’ai parcouru votre exposé au sujet des Martiens et des plantes à air, déclara l’administrateur en explorant les recoins les plus secrets de son bureau. C’est une idée très intéressante, mais personne ne peut me dire si elle est valable ou non. La situation est extrêmement compliquée et nous n’avons pas d’informations suffisantes. Le dilemme se résume à ceci : aurons-nous une meilleure rémunération de nos efforts si nous enseignons aux natifs à cultiver les plantes ou si nous faisons ce travail nous-mêmes ? De toute façon, nous allons mettre sur pied une petite équipe de recherche qui étudiera la question, encore que nous ne puissions pas faire grand-chose tant que nous n’avons pas plus de Martiens ! J’ai demandé au docteur Petersen de s’occuper du côté scientifique, et j’aimerais que vous traitiez vous-même les problèmes administratifs que l’affaire ne manquera pas de soulever, en laissant toutefois les décisions majeures à Whittaker, bien entendu. Petersen est un garçon très calé, mais il manque d’imagination. À vous deux, vous créerez un équilibre souhaitable.

— Je serai très heureux de faire tout mon possible, répliqua Gibson, enchanté de la perspective, bien qu’un peu inquiet de cet élargissement de ses responsabilités.

Pourtant, le fait que Hadfield lui confiât cette tâche était encourageant et démontrait qu’on avait confiance en ses capacités.

Tout en discutant des détails techniques, le romancier acquit la conviction que son interlocuteur ne pensait pas être absent plus d’un an. Il semblait même attendre le voyage avec impatience, comme s’il s’agissait d’un congé trop longtemps retardé. Martin espéra que son optimisme se trouverait justifié par les événements.

Vers la fin de leur entretien, la conversation dévia inévitablement sur Irène et Jimmy. La longue traversée offrirait à Hadfield toute la latitude désirable pour observer son futur gendre, et Gibson conçut l’espoir que Jimmy se comporterait à son avantage. Il était visible que l’administrateur considérait cet aspect du voyage avec un tranquille amusement. Ainsi qu’il le fit remarquer, si les deux jeunes gens pouvaient s’entendre pendant trois mois dans un espace aussi restreint, leur mariage serait un succès. Si quelque chose n’allait pas, alors plus vite ils s’en rendraient compté, mieux cela vaudrait.

En quittant le bureau de Hadfield, Gibson pensa lui avoir suffisamment exprimé sa sympathie. Le chef savait que la planète tout entière était derrière lui et que le romancier ferait tout pour gagner à sa cause l’appui de la Terre.

Martin se retourna pour contempler l’inscription discrète apposée sur la porte. Quoi qu’il arrivât, il ne serait pas nécessaire de la modifier, car les mots désignaient la fonction et non l’homme. Pendant douze mois ou plus, Whittaker, le dirigeant démocratique de Mars et le serviteur consciencieux — dans les limites raisonnables — de la planète mère, travaillerait derrière cette cloison. Quel que fût celui qui s’en allait ou celui qui revenait, la définition serait la même, car c’était encore là une idée de Hadfield, une tradition qu’il avait implantée et selon laquelle l’emploi importait plus que celui qui l’occupait. Il ne lui avait pas donné un très bon départ, estima Gibson, car l’anonymat n’était guère une caractéristique de l’administrateur.

La dernière fusée pour Déimos partit trois heures plus tard, emmenant Hadfield, Irène et Jimmy à son bord. La jeune fille était venue au Grand Hôtel martien pour aider son prétendant à réunir ses bagages et pour faire ses adieux à Gibson. Elle débordait d’agitation et semblait si rayonnante de bonheur qu’on avait plaisir à la regarder. Ses deux rêves se réalisaient d’un seul coup : elle retournait sur Terre, et avec celui qu’elle aimait. Gibson souhaita qu’elle ne connût jamais de déception dans l’une ou l’autre de ses expériences. Personnellement, il ne croyait pas qu’elle aurait lieu de les regretter.

Les malles du jeune stagiaire étaient difficiles à boucler à cause des nombreux souvenirs qu’il avait amassés durant son séjour, principalement des spécimens de plantes et de minéraux recueillis au cours de diverses excursions en dehors des dômes. Tout étant soigneusement pesé, il dut prendre des décisions déchirantes quand on découvrit qu’il dépassait de deux kilos le poids autorisé. Finalement, la dernière valise fut bouclée et prit le chemin de l’aéroport.

— N’oublie pas de contacter Mrs. Goldstein dès ton arrivée, elle attend de tes nouvelles, recommanda le romancier.

— Je n’y manquerai pas. C’est vraiment chic de votre part de vous donner tant de mal. Nous apprécions beaucoup tout ce que vous avez fait pour nous, n’est-ce pas, Irène ?