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— Dave Van Dam, dit-il. Patrouilleur. Son énorme main engouffra la mienne. Ne t’avise pas de me laisser t’attraper en train de baiser sur la ligne. Il n’y a rien de personnel dans tout ça, mais je suis un sacré salaud. C’est si facile de nous haïr : nous sommes incorruptibles. Cherche-moi et tu verras !

— C’est la salle des Guides, ici, dit faiblement Capistrano.

— Pas besoin de me le dire, répondit Van Dam. Tu n’es pas obligé de me croire, mais je sais lire.

— Alors, tu es un Guide, maintenant ?

— Ça te dérange si je me repose un moment avec l’opposition ?

Le Patrouilleur sourit, se gratta la poitrine et porta la bouteille de brandy à ses lèvres. Il en avala une copieuse gorgée et lança un rot sonore.

— Mon Dieu, quelle journée ! Vous savez où j’étais, aujourd’hui ?

Personne ne semblait très intéressé.

— J’ai passé toute la journée en 1962 ! continua-t-il malgré tout. Cette sacrée mil neuf cent soixante-deuxième année ! À vérifier chaque étage de ce sacré Hilton d’Istanbul pour deux prétendus criminels temporels ayant organisé un prétendu transfert clandestin ! Nous avions entendu dire qu’ils remontaient des pièces d’or et du verre romain depuis 1400 A.P. et qu’ils les vendaient à des touristes américains du Hilton, puis qu’ils investissaient les bénéfices dans le marché financier et planquaient finalement tout ça dans une banque suisse pour le récupérer dans le temps présent. Mon Dieu ! Vous savez, on peut se faire des milliards de cette façon. Vous achetez une année où les taux sont bas, vous planquez tout pendant un siècle, et vous possédez le monde. Enfin, peut-être, mais on n’a rien trouvé dans tout ce satané Hilton, à part des tas d’entreprises légitimes basées sur le temps jadis. Merde ! Il avala une seconde gorgée de brandy. Qu’ils fassent une vérification là-haut. Qu’ils trouvent leurs propres criminels temporels !

— C’est la salle des Guides, ici, dit Capistrano une fois de plus.

Le Patrouilleur l’ignora. Quand finalement il sortit, cinq minutes plus tard, je demandai :

— Ils sont tous comme ça ?

— C’est un des plus distingués, dit Protopopolos. La plupart des autres sont des malappris.

19.

Ils me mirent au lit avec un cours hypnotique de grec byzantin et, quand je me suis réveillé, je pouvais non seulement commander un repas, acheter une tunique et séduire une vierge en argot byzantin, mais je connaissais quelques phrases tellement honteuses qu’elles auraient pu faire tomber de leurs murs les mosaïques de Sainte-Sophie. Je n’avais jamais entendu de telles phrases quand j’étais étudiant à Harvard, à Yale et à Princeton. C’est chouette, l’hypno-sommeil !

Je n’étais toujours pas prêt à partir comme Guide solo.

Protopopolos, qui était chargé d’organiser les voyages ce mois-là, me mit en équipe avec Capistrano pour ma première sortie. Si tout marchait bien, je serais lâché tout seul dans quelques semaines.

Le voyage à Byzance, qui est l’un des plus populaires qu’offre le Service Temporel, est plutôt courant. Chaque tournée permet de voir le couronnement d’un empereur, une course de chars dans l’hippodrome, la consécration de Sainte-Sophie, le sac de la ville par la quatrième croisade et la conquête des Turcs. Un tour comme celui-là nous laisse en haut de la ligne temporelle durant sept jours. Le voyage de quatorze jours comprend tout ça, plus l’arrivée de la première croisade à Constantinople, les émeutes de 532, un mariage impérial et quelques événements moindres. Le Guide peut choisir les couronnements, les empereurs ou les courses de chars ; l’intention est d’éviter de contribuer au Paradoxe Cumulatif en réunissant trop de touristes lors d’un même événement. Presque toutes les périodes entre Justinien et les Turcs sont visitées, mais nous prenons soin d’éviter les années de grands tremblements de terre, et il est absolument interdit, sous peine d’être effacé par la Patrouille Temporelle, d’aller dans les années de la peste bubonique, en 745–747.

Durant ma dernière nuit dans le temps actuel, j’étais tellement énervé que je n’ai pas pu dormir. J’étais un peu tendu par la crainte de faire une maladresse pendant ma première mission en tant que Guide ; c’est une grande responsabilité d’être Guide, même lorsqu’on est avec un collègue, et j’avais peur de commettre quelque terrible erreur. L’idée de devoir être secouru par la Patrouille Temporelle m’ennuyait beaucoup. Quelle humiliation !

Mais c’était surtout Constantinople qui m’inquiétait. La ville serait-elle exactement comme je l’avais rêvée ? Ne me décevrait-elle pas ? Toute ma vie, j’avais chéri une certaine image de cette cité brillante et dorée du passé ; et maintenant, alors que j’étais sur le point de remonter la ligne temporelle jusqu’à elle, je tremblais.

Je me suis levé pour arpenter la petite pièce qu’on avait mise à ma disposition, me sentant abattu et tendu. Je n’étais sous l’effet d’aucune drogue, et il m’était interdit de fumer – les Guides doivent faire attention à ce genre de choses, car allumer une cigarette dans une rue du Xe siècle représente évidemment un anachronisme illégal. Capistrano m’avait donné le reste de son brandy, mais c’était une piètre consolation. Il m’entendit cogner les meubles, et vint voir ce qui se passait.

— Agité ? demanda-t-il.

— Très.

— Je le suis aussi avant de sauter. C’est toujours comme ça.

Il me proposa de sortir avec lui pour calmer nos nerfs. Nous avons traversé pour nous rendre du côté européen et avons marché au hasard dans les rues silencieuses de la nouvelle ville, depuis le palais Dolmabahce de la plage jusqu’au vieil Hilton, puis nous avons descendu du Taksim jusqu’au pont de Galata pour pénétrer dans la ville proprement dite. Nous marchions inlassablement. Apparemment, nous étions les seules personnes éveillées dans Istanbul. Nous avons tourné dans le labyrinthe d’un marché, pour émerger dans une des rues qui mènent à Sainte-Sophie. Nous sommes restés un instant devant ce vieux bâtiment majestueux. J’ai imprimé ses traits dans mon cerveau – les minarets supplémentaires, les récents arcs-boutants – en essayant de me dire que j’allais la voir le lendemain matin dans sa forme véritable, sereine maîtresse de la ville, n’ayant plus à partager sa grande place avec la beauté étrangère de la mosquée Bleue, de l’autre côté.

Nous avons continué pendant longtemps, nous hissant sur les vestiges de l’hippodrome, contournant le Topkapi, nous dirigeant vers la mer jusqu’au vieux mur. L’aube nous découvrit devant la forteresse Yedikule, dans l’ombre des restes du rempart byzantin. Nous étions à moitié endormis. Un jeune Turc ayant environ une quinzaine d’années s’approcha poliment de nous et nous demanda, en français d’abord, puis en anglais, si nous étions intéressés par quelque chose – de vieilles pièces, sa sœur, du hachisch, de la monnaie israélienne, des bijoux en or, son frère, un tapis. Nous l’avons remercié en lui disant que nous n’étions pas intéressés. Sans se démonter, il appela sa sœur, qui pouvait être âgée de quatorze ans mais semblait en avoir quatre ou cinq de plus.

— Vierge, dit-il. Elle vous plaît ? Joli visage, hein ? Vous êtes quoi, Américains, Anglais, Allemands ? Là, vous regardez, hein ?

Elle déboutonna sa blouse à un bref commandement du garçon, et révéla de jolis seins ronds et fermes. Une lourde pièce de bronze byzantine, peut-être un folleis, se balançait entre eux au bout d’une cordelette. Je m’approchai pour mieux voir. Le garçon, dont l’haleine sentait l’ail, se rendant soudain compte que c’était la pièce que j’examinais et non les seins, revint à la charge en me demandant :