— Les ennuis commencent, dit joyeusement Metaxas.
La course eut lieu. Mais lorsque le gagnant s’approcha pour recevoir sa couronne, une voix puissante beugla depuis un groupe de Bleus :
— Vivent les Verts et les Bleus !
Un instant plus tard, depuis les gradins des Verts, une voix répondit :
— Vivent les Bleus et les Verts !
— Les factions s’unissent contre Justinien, dit tranquillement Metaxas, avec un ton de professeur.
Le chahut qui gagnait tout le stade ne le dérangeait pas.
— Vivent les Verts et les Bleus !
— Vivent les Bleus et les Verts !
— Vivent les Verts et les Bleus !
— Victoire !
— Victoire !
— Victoire !
Et ce seul mot, « Victoire ! », devint un cri puissant hurlé par des milliers de gorges. « Nika ! Nika ! Victoire ! »
Théodora se mit à rire. Justinien, fronçant les sourcils, s’entretint avec des officiers de sa garde impériale. Les Verts et les Bleus descendirent de l’hippodrome, suivis par une foule joyeuse et hurlante, d’humeur destructive. Nous sommes restés en arrière, à une distance judicieuse ; je vis d’autres petits groupes de spectateurs tout aussi prudents, et je sus qu’ils n’étaient pas Byzantins.
Des torches éclairaient les rues. La prison impériale était en feu. Les prisonniers étaient libérés, les geôliers brûlaient. La propre garde de Justinien, craignant d’intervenir, regardait discrètement tout cela. Les émeutiers empilaient des fagots contre la porte du Grand Palais, sur la place de l’hippodrome. Bientôt, le palais fut la proie des flammes. La Sainte-Sophie de Théodose fut incendiée ; des prêtres barbus, tenant de précieuses icônes, apparurent sur le toit embrasé avant de tomber dans cet enfer. Le feu gagna le bâtiment du Sénat. C’était une orgie de destructions. Dès que des émeutiers hargneux s’approchaient de nous, nous réglions nos chronos et redescendions la ligne, prenant soin de ne pas sauter de plus de dix ou quinze minutes à chaque fois pour éviter de réapparaître au beau milieu d’un feu n’ayant pas été allumé au moment de notre départ.
— Nika ! Nika !
Le ciel de Constantinople était noir d’une épaisse fumée, et des flammes dansaient à l’horizon. Metaxas, son visage osseux couvert de crasse et de suie, les yeux luisants d’excitation, paraissait à chaque instant sur le point de nous lâcher pour rejoindre les destructeurs.
— Les pompiers eux-mêmes sont en train de piller, nous dit-il. Et regardez : les Bleus brûlent les maisons des Verts, et les Verts incendient les maisons des Bleus !
Un formidable exode commença, car les citoyens terrifiés couraient vers les quais pour supplier les marins de les faire passer du côté asiatique. Sains et saufs, invulnérables, nous marchions dans cet holocauste, voyant s’effondrer les murs de l’ancienne Sainte-Sophie, regardant les flammes se répandre dans le Grand Palais, observant le comportement des pillards, des incendiaires et des hommes qui violaient, s’arrêtant au milieu des allées jonchées de braises pour baiser quelque femme noble vêtue de soie, hurlante et pleine de sperme prolétarien.
Metaxas nous commentait soigneusement les émeutes ; il avait tout chronométré des douzaines de voyages plus tôt, et il savait exactement où il fallait se trouver.
— Nous sautons maintenant de six heures quarante minutes, dit-il.
— Maintenant, nous allons sauter de trois heures et huit minutes.
— Nous allons maintenant sauter d’une heure et demie.
— Maintenant, nous allons sauter de deux jours.
Nous avons vu tout ce qui était important. Alors que la ville était encore en flammes, Justinien envoya des évêques et des prêtres portant des reliques saintes, un morceau de la Vraie Croix, la verge de Moïse, la corne du bélier d’Abraham, les os de quelques martyrs ; les ecclésiastiques terrifiés défilèrent bravement dans la ville, implorant un miracle, mais aucun miracle n’arriva, seulement des pierres et des morceaux de briques. Un général envoya une quarantaine de gardes pour protéger les saints hommes. « C’est le célèbre Bélisaire », dit Metaxas. Des messages furent diffusés de la part de l’empereur, annonçant la destitution des ministres impopulaires ; mais les églises avaient été mises à sac, la bibliothèque impériale était incendiée, les bains de Zeuxippe étaient détruits.
Le 18 janvier, Justinien fut assez courageux pour apparaître en public sur l’hippodrome et demander le calme. Il fut hué par les Verts et s’enfuit dès qu’ils lui lancèrent des pierres.
Nous avons vu un prince sans mérite nommé Hypatie se faire proclamer empereur par les rebelles sur la place de Constantin ; nous avons vu le général Bélisaire traverser de force la ville démolie en protégeant Justinien ; nous avons vu la boucherie des insurgés.
Nous avons tout vu. Je compris alors pourquoi Metaxas était le plus demandé des Guides. Capistrano avait fait de son mieux pour offrir à ses clients un spectacle intéressant, mais il avait perdu trop de temps dans les premières phases. Metaxas, chevauchant brillamment les heures et les jours, dévoilait pour nous la catastrophe tout entière, et il nous emmena finalement jusqu’au matin où l’ordre fut restauré, tandis qu’un Justinien ébranlé chevauchait parmi les ruines charbonneuses de Constantinople. Par une aube rouge, nous avons vu les nuages de cendres qui dansaient encore dans l’air. Justinien regardait les fondations noircies de Sainte-Sophie, et nous observions Justinien.
— Il pense à faire bâtir la nouvelle cathédrale, dit Metaxas. Il en fera le plus grand sanctuaire jamais construit depuis le Temple de Salomon à Jérusalem. Venez : nous avons vu suffisamment de destructions. Regardons maintenant la naissance de la beauté. Descendons la ligne ! Cinq ans et dix mois en avant, pour admirer Sainte-Sophie !
27.
— Durant ton prochain congé, dit Metaxas, viens me rendre visite dans ma villa. J’y vis maintenant en 1105. C’est une bonne période pour vivre à Byzance ; c’est Alexis Comnène qui règne, et c’est un homme sage. J’aurai pour toi une fille vigoureuse, et du vin à profusion. Tu viendras ?
J’étais éperdu d’admiration pour ce petit homme au visage osseux. Notre voyage allait bientôt s’achever, car il ne restait plus à voir que la conquête turque, et il m’avait montré la différence qu’il y avait entre un Guide inspiré et un Guide simplement compétent.
Seule une vie entière de dévouement à la tâche pouvait donner de tels résultats, pouvait offrir un tel spectacle.
Metaxas ne nous avait pas simplement montré les événements habituels. Il nous avait fait découvrir un grand nombre d’événements mineurs, nous laissant une heure ici, deux heures là, créant pour nous une éclatante mosaïque d’histoire byzantine qui obscurcissait le lustre des mosaïques de Sainte-Sophie. D’autres Guides faisaient peut-être une douzaine d’arrêts ; Metaxas en fit plus de cinquante.
Il affectionnait particulièrement les empereurs originaux. Nous avons entendu un discours de Michel II le Bègue, nous avons observé les bouffonneries de Michel II l’ivrogne, et nous avons assisté au baptême du cinquième Constantin, qui eut la malchance de souiller les fonts et fut connu pour le reste de sa vie sous le nom de Constantin Copronyme, Constantin le Foireux. Metaxas était parfaitement chez lui à Byzance, quelle que fût l’année. Tranquillement, facilement, il parcourait les époques avec une confiance totale.