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— Je vois. Je tremblais à nouveau. Et le nom de famille ? Était-ce déjà Markezinis ?

— Oh, non, Markezinis est un nom grec d’origine récente ! À Byzance, nous étions la famille Ducas.

— Vraiment ? m’exclamai-je. Vraiment Ducas ?

C’était comme s’il avait été un Allemand se réclamant de la famille des Hohenzollern, ou un Anglais prétendant avoir du sang des Plantagenêt.

J’avais vu l’éclatant palais de la famille Ducas. J’avais vu quarante fiers Ducas marcher en habits d’or dans les rues de Constantinople, pour célébrer l’arrivée de leur cousin Constantin sur le trône impérial. Si Passilidis était un Ducas, j’étais aussi un Ducas.

— Bien sûr, dit-il, la famille était très grande, et je crois que nous n’étions qu’une branche mineure. Cependant, descendre d’une telle famille est une chose dont on peut être fier.

— Sans aucun doute. Pourriez-vous me donner les noms de l’un ou l’autre de vos ancêtres byzantins ? Les prénoms ?

La façon dont j’avais dit cela pouvait laisser penser que j’avais l’intention d’aller les voir la prochaine fois que je serais à Byzance. Ce que je fis, mais Passilidis ne pouvait pas le soupçonner, car le voyage temporel n’avait pas encore été découvert.

— Avez-vous besoin de cela pour votre article ? demanda-t-il en fronçant les sourcils.

— Non, pas vraiment. J’étais simplement curieux.

— Vous semblez en savoir plus qu’un peu sur Byzance.

Cela l’ennuyait qu’un barbare américain pût connaître le nom d’une célèbre famille byzantine.

— Je l’ai étudiée à l’école, dis-je. Mais je ne connais que les grands traits de l’histoire.

— Malheureusement, je ne peux pas vous donner de noms. Ces détails ne sont pas venus jusqu’à nous. Mais peut-être qu’un jour, quand j’aurai quitté l’arène politique, je chercherai dans les vieilles archives…

Ma grand-mère nous versa encore un peu de vin, et je lançai un regard furtif et coupable sur ses seins ronds et oscillants. Ma mère grimpa sur mes genoux et poussa quelques petits cris aigus. Mon grand-père secoua la tête en disant :

— C’est vraiment surprenant, comme vous me ressemblez. Puis-je prendre une photo de vous ?

Je me suis demandé si c’était contraire aux règles de la Patrouille Temporelle. Sans doute, ai-je pensé. Mais je ne voyais aucun moyen poli de refuser une demande aussi insignifiante.

Ma grand-mère alla chercher un appareil. Passilidis et moi nous sommes tenus côte à côte et elle a pris deux photos de nous, une pour lui et une pour moi. Elle les sortit de l’appareil dès qu’elles furent développées et nous les avons regardées attentivement.

— Comme des frères, répéta-t-elle plusieurs fois. Comme des frères !

J’effaçai mes traces dès que je fus sorti de l’appartement. Mais je suppose qu’il doit y avoir quelque part dans les papiers de ma mère une vieille photo jaunie montrant son père encore jeune, debout près d’un homme un peu plus jeune qui lui ressemble beaucoup, et dont ma mère a sans doute pensé qu’il s’agissait d’un oncle oublié. Peut-être la photo existe-t-elle encore. J’aurais peur de la regarder.

30.

Le grand-père Passilidis m’avait épargné bien des recherches. Il avait déblayé près de huit siècles de ce que je commençais déjà à considérer comme ma quête.

Je redescendis la ligne jusqu’au temps actuel, examinai les archives du centre du Service Temporel d’Athènes, puis je m’équipai en noble byzantin de la fin du XIIe siècle, avec une somptueuse tunique de soie, un manteau noir et un bonnet blanc. Je pris ensuite l’express du nord pour l’Albanie, et je descendis dans la ville de Gjirokastër. Dans le temps, cette ville s’appelait Argyrokastro, dans le district d’Épire.

De Gjirokastër, je remontai la ligne jusqu’en l’an 1205.

Les paysans d’Argyrokastro furent impressionnés par mes vêtements princiers. Je leur dis que je cherchais la cour de Michel Ange Comnène ; ils m’indiquèrent le chemin et me vendirent un âne pour que je pusse m’y rendre.

J’ai trouvé Michel et le reste des exilés byzantins en train de suivre une course de chars dans un hippodrome improvisé, au pied d’une série de collines déchiquetées. Je me suis tranquillement mêlé à la foule.

— Je cherche Ducas, dis-je à un vieil homme apparemment inoffensif qui offrait du vin à la ronde.

— Ducas ? Lequel ?

— Il y en a plusieurs ici ? J’apporte un message de Constantinople pour un Ducas, mais ils ne m’ont pas dit qu’il y en avait plusieurs.

Le vieil homme se mit à rire.

— Rien que devant moi, dit-il, je vois Nicéphore Ducas, Jean Ducas, Léon Ducas, George Ducas, Nicéphore Ducas le Jeune, Michel Ducas, Siméon Ducas et Dimitrios Ducas. Je suis incapable de trouver en ce moment Eftimios Ducas, Léonce Ducas, Siméon Ducas le Grand, Constantin Ducas, ni – laissez-moi réfléchir – ni Andronic Ducas. Quel membre de la famille cherchez-vous donc ?

Je le remerciai et redescendis la ligne.

Dans la Gjirokastër du XVIe siècle, j’ai demandé où se trouvait la famille Markezinis. Mes vêtements byzantins me valurent quelques regards étranges, mais les pièces d’or byzantines que je portais m’obtinrent tous les renseignements dont j’avais besoin. Un besant et on m’indiqua où se trouvait le domaine des Markezinis. Deux besants de plus et je fus présenté au contremaître de la vigne des Markezinis. Cinq besants – un prix très élevé – et je fus en train de manger des raisins dans le salon de Gregory Markezinis, le chef du clan. C’était un homme distingué d’un certain âge, avec une abondante barbe grise et des yeux brûlants ; il était hospitalier malgré son air sévère. Pendant que nous parlions, ses filles se déplaçaient tranquillement autour de nous, remplissant nos coupes, nous apportant du raisin, des morceaux de mouton froid, du riz. Il y avait trois filles, qui pouvaient avoir treize, quinze et dix-sept ans. Je pris bien soin de ne pas les regarder avec trop d’attention, connaissant le tempérament jaloux des chefs de clan des montagnes.

C’étaient des beautés : une peau olivâtre, des yeux sombres, des seins haut perchés, des lèvres pleines. Elles auraient pu être les sœurs de ma radieuse grand-mère Katina Passilidis. Ma mère Diana, je crois, devait leur ressembler quand elle était jeune. Les gènes de la famille sont très forts.

À moins d’avoir escaladé la mauvaise branche de l’arbre, une de ces filles était mon arrière-arrière-multi-arrière-grand-mère. Et Gregory Markezinis était mon arrière-arrière-arrière-multi-arrière-grand-père.

Je me présentai à lui comme étant un jeune Cypriote aisé d’origine byzantine qui parcourait le monde en quête de plaisir et d’aventure. Gregory, dont le grec était légèrement contaminé par des mots albanais (ses serfs parlaient-ils le gète ou le toske ? J’ai oublié) n’avait visiblement jamais rencontré de Cypriote auparavant, et il accepta l’authenticité de mon accent.

— Quels endroits avez-vous visités ? demanda-t-il.

— Oh, dis-je, la Syrie, la Libye, l’Égypte, et Rome, Paris, Lisbonne, et je me suis rendu à Londres pour assister au couronnement d’Henry VIII, et à Prague, et à Vienne. Et maintenant je me dirige de nouveau vers l’est, dans les possessions turques, car je suis déterminé, malgré tous les risques, à visiter les tombes de mes ancêtres à Constantinople.

Il leva un sourcil en entendant mentionner les ancêtres. En plantant sa dague avec énergie dans une tranche de mouton, il demanda :