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— Mesdames, messieurs et chers passagers…

Ça y est, ça part. On sent le gars repu, content de lui et des autres. L’homme qui s’est bien assouvi, qui n’a pas de problème, dont l’existence à perte de vue est jonchée de contentements.

Il a le grand honneur, le vif plaisir, la joie profonde de présenter le nouveau PDG. de chez Pacqsif. Il a nommé le capitaine Alexandre-Benoît Bérurier, nouveau commandant du Mer d’Alors. Homme d’élite ! Homme de mer et de père inconnu ! Vaillant parmi les braves ! Dompteur de tempêtes, guérisseur de cyclones ! Descendant en ligne directe (sans passer par l’Inter) de Simbad-le-Marin, apparenté à Vasco de Gama et à Magellan, Héritier de Surcouf. Navigateur émérite dont un arrière-grand-père fut le conseiller technique de Christophe Colomb. A ses immenses qualités de marin Alexandre-Benoît Bérurier joint un sens profond d’administrateur qui lui a valu cette élection, à la majorité plus une voix, au poste qu’il occupe. Son sens aigu de la finance, son autorité en affaires, sa promptitude à conclure les marchés les plus audacieux, sa clairvoyance, son…

Tout le monde écoute, embrumé d’émotion. On regarde se dorer et grandir la silhouette de notre commandant. Il reste ferme et non ému sous les louanges, Béru. Car, mes chers amis, il les sait méritées. Le propre des grands hommes est de croire en leur mission. Je ne nomme personne mais croisez les mains derrière la nuque, pour ne pas choper le torticolis, et suivez mon regard.

Il monte dans une splendeur de vitraux ensoleillés vers des immortalités encyclopédiques, notre Bérurier national. Il domine, plane plus haut que tout le monde à l’instar de l’aiglon juché sur le dos du roitelet. On le contemple orgueilleusement, on se perd dans les extases. Tous, même Félix, même Alfred, même Berthe ! Et pourtant, la femme d’un grand homme est d’un tempérament sceptique ! Ma Félicie a la larme à l’œil. Pinuche se torchonne les coins d’yeux avec sa cravate et sa madame reste la bouche ouverte. Juste Marie-Marie qui garde la tête froide et balance les bouchons de champagne dans le décolleté d’une grosse Allemande.

Lorsque Gaumixte a tout dit, qu’il a bâti la statue du Gros, qu’il l’a dorée et éclairée, le commandant du Mer d’Alors se lève au milieu des vivats. Gavé de bravos, il lève les bras pour les stopper.

— Eh ben, messieurs-dames, attaque-t-il, après ce déluge de pommade, j’ai plus à m’inquiéter des engelures. Je remercie l’ami Oscar pour les paroles qu’il a bien voulu causer à propos d’au sujet de moi-même… C’est d’autant mieux gentil de sa part que j’y ai chouravé sa place où qu’il pétait pas des étincelles, faut l’admettre. Oscar, je vais vous dire, c’est pas le mauvais cheval, ce qu’il a, c’est qu’il a pas le sens des affaires et qu’il se laisse fourrer comme un plouc. Si je vous causais qu’un barlu comme çui que j’ai l’honneur d’accepter le commandement, un qui aurait voulu, il lui rachetait pour une pincée de févettes, pas vrai, Oscar ? Mais brèfle, me voici et bien ci. Je préfère vous dire que notre croisière fait que débuter et qu’on va s’en payer une tranche. Les réjouissances, c’est bibi qui va les organiser désormais, et ça sera pas le jeu de dadas ou la danse avec petites conneries de papier. Pour rigoler, je garantis qu’on rigolera. D’abord on va organiser des concours de pets après absorption d’huile de ricin. Pour les dames, on fera des jeux de tate-zizis (faudra, les yeux bandés, qu’elles reconnaissent leur mari, vous mordez le topo ?) Pour les jeunes filles, je montrerai comment se pratique le bilboquet à moustache. Les vieilles dames seront pas oubliées non plus, on fera escale au Maroc un de ces quatre et je leur promets d’embarquer quelques malabars pas rechigneurs au boulot et pas regardants sur la bouille. A Dékonos, on se paiera une virouze à l’Eden magique, et si on s’y plaît de trop, ben on y restera.

« On va faire tirer des cartes postales montrant la réputée zézette de mon ami, le professeur Félix, ici présent, et ces cartes seront distribuées en même temps que le journal du bord, en souvenir de la croisière.

« En plus, que je vous dise, à partir de dorénavant, les consommations du bar seront gratuites. Je veux qu’on se boyaute, vous m’entendez ? Vous êtes ici pour vous fendre le pébroque, mes vaches, alors au boulot ! Plus de grincheux, plus de bêcheuses ! De la marrade, je vous conjure ! Prenez une pinte ! Cintrez-vous ! Gondolez-vous ! Loufez de rire. Crevez de, la rate ! Vive la joie ! La gaieté française ! »

Et maintenant, assoyez-vous, tout le monde : on va chanter la Marseillaise !

FIN