Выбрать главу

Jack Campbell

Léviathan

À Glenn L. Sparks, un vieil ami qui connu une très belle vie et qui, par sa seule présence, a laissé un monde meilleur. On n’a jamais assez de temps.

À S., comme toujours.

Un

« Cinq minutes avant la sortie de l’espace du saut », annonça le capitaine Tanya Desjani de son siège proche de celui de l’amiral John « Black Jack » Geary, sur la passerelle du croiseur de combat Indomptable de l’Alliance. « Tous les systèmes parés au combat. »

Les vaisseaux commandés par Geary avaient quitté le système stellaire à feu et à sang d’Atalia et pourchassaient les « vaisseaux obscurs » qui y avaient semé la destruction. Geary et les siens les appelaient ainsi parce que leur coque était d’une nuance plus sombre que celle de la plupart des vaisseaux de guerre, peut-être à cause du matériau furtif particulier qui la composait. Les responsables des atrocités commises dans les systèmes d’Atalia et d’Indras n’étaient pas leurs équipages, mais bel et bien les vaisseaux obscurs eux-mêmes, privés de matelots qui auraient pu prendre la haute main sur des systèmes automatisés atteints de dysfonctionnements mortels, voire délibérément sabotés par on ne savait trop quel logiciel malveillant. Après avoir finalement remporté la guerre longue d’un siècle qui l’avait opposé aux Mondes syndiqués, le gouvernement de l’Alliance avait préféré faire confiance à des IA déjà responsables de l’embrasement de deux systèmes plutôt qu’aux hommes et femmes qui avaient payé la victoire de leur vie.

Le détachement Danseuse de Geary avait quitté Varandal fort de douze croiseurs de combat, de huit croiseurs lourds, de treize légers et de vingt-cinq destroyers. Le croiseur de combat Adroit ainsi que le croiseur léger Lanceur et les destroyers Kururi et Sabar n’avaient pas survécu à la bataille d’Atalia. Quatre croiseurs de combat, les Léviathan, Dragon, Inébranlable et Vaillant, étaient restés sur place avec quelques croiseurs lourds et destroyers pour porter assistance aux vaisseaux endommagés et récupérer les épaves des vaisseaux obscurs détruits.

La chasse ne se composait plus que de sept croiseurs de combat.

Ils suffiraient. Du moins s’ils réussissaient à rattraper les vaisseaux obscurs rescapés qui avaient fui le chaos.

« Les réactualisations logicielles des systèmes de l’Indomptable ont-elles été annulées ? demanda Geary.

— Oui, amiral. » Tanya pouvait parfois se montrer un tantinet décontractée, mais, pour l’heure, elle restait concise, lapidaire et dangereuse : une arme humaine affûtée par les dernières décennies d’une guerre violente contre les Syndics. « Mes gens surveillent attentivement tous les systèmes et, si quelque chose tente d’outrepasser le blocage des mises à jour, ils ont l’ordre de les couper et de procéder à un redémarrage à froid à partir des réactualisations de la veille.

— Parfait. Ne pas pouvoir se fier à ses propres logiciels, c’est vraiment infernal ! »

Desjani secoua la tête. « Nous ne nous y sommes jamais fiés entièrement. Quand on n’avait pas affaire à des bogues ou à des failles, c’était à tous ces logiciels hostiles que les hackers ennemis inventaient pour saboter les nôtres. Séparés des machines, les hommes sont les seuls pare-feux réellement fiables. C’est bien pourquoi nous avons toujours intégré quelques-uns des nôtres dans le circuit, au cas où les petits cerveaux artificiels perdraient les pédales.

— Jusqu’à ce qu’on fabrique ces vaisseaux obscurs, du moins, fit remarquer Geary, la voix tendue.

— En effet. » Desjani se pencha et poursuivit à voix basse. « Si les vaisseaux obscurs se déchaînent à Varandal après leur arrivée, comme ils l’ont fait à Atalia, il nous sera peut-être impossible de les empêcher de faire de gros dégâts. Ils avaient près de deux heures d’avance sur nous quand ils ont sauté et, s’ils ont accéléré après leur émergence de l’espace du saut, ils ont encore creusé l’écart. En outre, aucune de nos défenses à Varandal ne les verra arriver.

— Je sais, lâcha Geary en s’efforçant d’interdire à son dépit de trop transparaître. On peut en remercier les réactualisations officielles de nos systèmes, qui les rendent aveugles aux vaisseaux obscurs. Les correctifs logiciels chargés de réparer les dommages opérés par ces mises à jour sont-ils prêts à être transmis dès notre arrivée à Varandal ?

— Oui, amiral. Les vaisseaux de la Première Flotte restés dans ce système les installeront sur votre ordre parce que vous êtes le commandant de la flotte, mais d’autres forces de l’Alliance, qui ne sont pas placées sous votre commandement direct, risquent de s’y opposer, lui rappela-t-elle. Elles argueront qu’il s’agit de modifications illicites du logiciel officiel et qu’elles ont besoin de l’autorisation de leur hiérarchie pour les installer.

— Si elles se trouvent déjà sous le feu de vaisseaux invisibles à leurs senseurs, cela pourrait les inciter à ignorer le règlement relatif aux modifications non autorisées du logiciel.

— Une minute avant la sortie de l’espace du saut », annonça le lieutenant Castries de son poste au fond de la passerelle.

Geary fixa son écran des yeux. Un marqueur sur le côté confirmait que les armes de l’Indomptable comme celles des autres unités de la chasse étaient réglées pour ouvrir le feu sans délai si des vaisseaux obscurs se trouvaient à portée de tir à l’émergence de ceux de l’Alliance. Il n’y croyait pas trop malgré tout. Les routines des IA présidant aux décisions tactiques des vaisseaux obscurs s’apparentaient visiblement de très près aux propres méthodes de Geary et, en de telles circonstances, si lui-même avait commandé les vaisseaux ennemis, il n’aurait certainement pas tendu une embuscade à une force disposant encore, comme le détachement Danseuse, d’un tel avantage en puissance de feu.

Le choc de la transition entre la grisaille de l’espace du saut et l’univers réel secoua Geary. C’est à peine si, le cerveau embrumé, il prit conscience de la brusque réapparition des étoiles sur le fond noir de l’espace infini, mais, alors même qu’il luttait encore contre ces effets indésirables, il remarqua qu’aucune des armes de l’Indomptable n’avait ouvert le feu.

Son écran redevint net peu à peu et il concentra son attention sur lui.

Desjani mit une seconde de moins à recouvrer ses esprits : « Ils filent vers le portail de l’hypernet.

— Pour l’attaquer ou décamper ? s’interrogea-t-il à voix haute. Au moins n’ont-ils pas l’intention de s’en prendre aux vaisseaux ni aux installations du système. »

L’espace n’a ni haut ni bas ni est ni ouest pour s’orienter, de sorte que les hommes ont dû inventer leurs propres repères. Tout système stellaire a un plan sur lequel orbitent les planètes. Un des côtés de ce plan est appelé le haut et l’autre le bas. Tout ce qui se trouve vers l’étoile est à tribord, tout ce qui s’en éloigne à bâbord. Ces conventions sont sans doute simplistes, mais elles permettent à des vaisseaux orientés dans des sens différents, voire tête-bêche ou perpendiculairement les uns aux autres, de partager les mêmes références.

Les vaisseaux obscurs qui avaient fui Atalia – deux croiseurs de combat, un croiseur lourd et cinq destroyers – se trouvaient à tribord de ceux de Geary et plongeaient légèrement tout en filant régulièrement à 0,2 c vers le portail de l’hypernet, lequel orbitait à six heures-lumière du point de saut dont venaient d’émerger les bâtiments de l’Alliance. « Ils ont trois heures d’avance sur nous. Nous n’avons aucune chance de les rattraper avant qu’ils n’atteignent le portail, affirma Desjani. Croisons les doigts pour qu’ils s’enfuient et que leurs cerveaux artificiels tordus n’aient pas décidé que le portail était un ennemi.