— De se produire ? » Geary comprit brusquement ce que sous-entendait le colonel. « Que je tente de renverser le gouvernement, voulez-vous dire ? Non. J’agis en toute légalité, en m’opposant à ce qui menace ma flotte et l’Alliance. Je cherche encore à comprendre qui est derrière cela. Ces deux hommes seraient-ils des officiels légitimes, ce qui, selon moi, est loin d’être établi, j’ai le sentiment que le gouvernement ne comprend strictement rien à ce qui s’est passé, que des couches et des couches superposées de secrets et de dissimulations ont maintenu trop de gens dans l’ignorance de ce qui, toujours selon moi, se produit en réalité, et que beaucoup trop d’autres se sont servis de la confidentialité pour couvrir leurs agissements. Je n’agis pas contre le gouvernement. Je m’efforce toujours de défendre l’Alliance de mon mieux.
— Mais si ces deux individus appartiennent vraiment au gouvernement…
— Je sais que c’est ce qu’ils prétendent. J’ignore qui ils sont et j’ignore aussi d’où ils viennent. Vous les connaissez ?
— Non, amiral. » Le colonel prit une profonde inspiration. « Je sais en revanche que je n’ai pas réussi jusque-là à communiquer avec mon général. Je place donc mes forces sous votre commandement puisque vous êtes l’officier le plus haut gradé. Que devons-nous faire exactement ?
— Vous assurer que les soldats de l’Alliance n’échangent pas de tirs avec ses fusiliers. Je vais leur ordonner de se replier. Faites de même avec vos soldats de manière à ce que ces correctifs logiciels soient installés le plus tôt possible. Ensuite, nos priorités seront de remettre en activité la station d’Ambaru, de retrouver l’amiral Timbal et de veiller à ce que le système de Varandal soit prêt à repousser tout raid de représailles des Syndics…
— Des Syndics… ? » Kochte se tourna derechef vers les deux officiels rencognés. « Pour se venger de quoi ? D’un méfait qu’eux auraient commis ?
— Dans lequel ils ont trempé. Peut-être n’en sont-ils même pas informés, bien qu’ils aient collaboré à sa perpétration.
— Par les ancêtres ? Que diable est-il arrivé ?
— Un siècle de guerre. Je n’arrête pas de tomber sur des gens qui semblent n’en avoir retenu que les pires enseignements. »
« Il est là-dedans, affirma avec assurance le sergent d’infanterie spatiale qui s’escrimait sur un panneau de commandes près de l’écoutille des quartiers de l’amiral Timbal. Une sorte de directive d’annulation du logiciel de sécurité l’y enferme et bloque toutes les communications.
— Quand arriverez-vous à l’ouvrir ? » s’enquit Geary. Il était pleinement conscient de la présence des fusiliers en cuirasse intégrale qui l’escortaient encore partout où il allait, mais, pour une fois, il n’y voyait pas d’objection. Découvrir ces deux agents apparemment inoffensifs planqués au sein de la population d’Ambaru l’avait assez ébranlé pour qu’il ravalât sa crainte habituelle : avoir l’air un peu trop soucieux de sa sécurité personnelle.
« Dans une petite minute », répondit le sergent, l’air sûr de lui. Un déclic se fit entendre et une rangée de diodes passèrent du rouge à l’orange puis au vert à l’intérieur du panneau. « Voire moins. »
L’écoutille s’ouvrit lentement, comme si elle ne libérait encore qu’à contrecœur l’occupant de sa cabine. L’amiral Timbal se trouvait bel et bien à l’intérieur, l’air assez furibard pour se frayer un chemin à coups de dents à travers la cloison blindée. « Amiral Geary. Merci. »
La voix de Timbal était un tantinet étranglée de fureur et d’humiliation. Ne l’avait-on pas libéré de ses propres quartiers ? « J’aurais dû me douter que vous seriez le premier à rétablir l’ordre. Si les Syndics croient pouvoir…
— Je ne crois pas qu’il s’agisse des Syndics », le coupa Geary. Il se tourna vers les fusiliers et leur fit signe de se retirer au fond de la coursive afin de jouir d’un minimum d’intimité pour s’entretenir avec Timbal.
« Vous les avez vus ? demanda celui-ci. Les deux quidams en civil ? Ils se prétendent habilités par le gouvernement.
— Je les ai vus. Je les tiens, répondit Geary en affichant une image sur sa tablette de com. Ces deux-là ?
— Ils s’affirmaient investis de l’autorité nécessaire pour outrepasser les ordres du QG de la flotte ! fulmina Timbal. Je ne les avais jamais vus. Pourquoi ne m’aurait-on pas prévenu de la présence de ces individus dans une station placée sous mon commandement ? Quand j’ai exigé une authentification, ils sont partis, soi-disant pour aller la chercher, et je me suis retrouvé bouclé dans mes propres quartiers, tous les moyens de communication coupés. Je n’ai cure de l’autorité dont ils se prétendent investis. Je me moque même qu’ils soient ou ne soient pas des Syndics ! Je ne peux pas tolérer qu’on me traite en ennemi !
— Combien de temps êtes-vous resté piégé là-dedans ? demanda Geary.
— Un jour ou deux, me semble-t-il. Avec tous les systèmes disponibles coupés ou débranchés, je ne peux rien assurer. Que s’est-il passé pendant que j’étais enfermé ? Le Mortier et le Serpentine ont-ils réussi à s’en tirer ? »
Geary se rendit compte qu’il allait devoir lui annoncer de mauvaises nouvelles et il mit un moment à répondre. « Non. Ils sont restés sur leur orbite.
— Vous parliez d’une menace. Y en avait-il vraiment une ? demanda Timbal d’une voix de plus en plus soucieuse.
— Oui, répondit platement Geary. Très sérieuse. À cause de la présence d’un logiciel hostile dans les mises à jour officielles du système, le Mortier et le Serpentine ont été détruits tous les deux sans même l’avoir vue arriver.
— Malédiction ! » Timbal ne put ajouter autre chose puis il reprit d’une voix tremblante de rage : « Des survivants ?
— Dix-sept matelots du Serpentine.
— Dix-sept, répéta Timbal. Sur les équipages de deux destroyers. Ces deux… agents, ce sont eux qui m’ont empêché d’envoyer d’autres ordres aux deux destroyers. J’ai raison ?
— Je crois.
— Alors je me fiche de qui ils sont et de ceux pour qui ils travaillent. Je veux qu’ils soient fusillés. Sur-le-champ !
— Je peux le comprendre, mais…
— Bon sang, amiral, je ne vous ai rien demandé en échange du soutien que je vous ai apporté ! Manifestement, nous sommes de nouveau dans une zone de guerre, ce qui implique que j’ai le pouvoir de faire passer ces deux individus devant le peloton d’exécution sans autre forme de procès ! »
Geary soutint un moment le regard de son pair, dont le visage était convulsé de fureur. « Est-ce réellement ce que vous souhaitez, amiral ? Ces deux hommes pourraient nous dire de qui ils tiennent leurs ordres. »
Une lueur de raison et de calcul réapparut dans les yeux de Timbal. « De qui ils tiennent leurs ordres ? Je veux effectivement le savoir. Surtout s’il s’agit de quelqu’un de chez nous.
— Moi aussi. Je demande la permission de les faire monter à bord d’un vaisseau de la flotte aux fins d’interrogatoire.
— Vous… » Timbal le fixa d’un œil suspicieux. « Pourquoi à bord d’un vaisseau et pas ici même ? Nous avons d’excellentes installations à cet effet.
— Vous ignoriez même savoir que ces deux agents étaient sur la station, expliqua Geary. Ni qu’ils avaient des amis à bord. Des amis qui chercheraient par tous les moyens à les faire taire ? »
La fureur de Timbal s’était dissipée. Ce n’était pas un homme à vociférer, un commandant qui se faisait obéir par la crainte et l’intimidation, et il avait recouvré sa prudence innée et son emprise sur lui-même. « Excellent argument, amiral. Encore que je m’étonne que vous l’ayez soulevé. »