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— Je comprends, amiral.

— Vraiment ? Si vous pensiez que je fais erreur, rempliriez-vous un rapport exposant vos inquiétudes sur mes agissements ? »

Iger réfléchit un instant, l’air gêné, puis hocha la tête et la releva pour regarder Geary droit dans les yeux. « Oui, amiral.

— Très bien. Plus quelqu’un a de pouvoir, plus il doit s’entourer de gens disposés à lui parler franchement quand ils estiment qu’il se trompe. Continuez de poser des questions, lieutenant.

— À vos ordres, répondit Iger avec un sourire de soulagement. Si je puis me permettre, amiral, j’ai connu quelques officiers supérieurs qui ne partageaient pas votre conception.

— J’en ai rencontré moi aussi. J’ai même dû travailler pour quelques-uns. C’est bien pourquoi je m’efforce âprement de ne pas leur ressembler. » Il désigna les prisonniers de la main. « Faites en sorte qu’ils me voient et m’entendent. » Il attendit qu’Iger eût levé les deux pouces. « J’aimerais vous poser une question à tous les deux. » Il patienta encore, le temps que les agents se retournent vers son image apparue dans leur cellule. « Mettons que vous travaillez réellement pour une agence du gouvernement, que vous êtes convaincus de la justesse de vos actes et parfaitement sûrs d’œuvrer dans l’intérêt de l’Alliance. »

Aucun agent ne répondit. Geary ne s’y était d’ailleurs pas attendu. Lui-même savait qu’éviter de donner jusqu’aux réponses les plus anodines, qui auraient permis aux senseurs chargés d’enregistrer les moindres réactions physiologiques et mentales des prisonniers d’établir des paramètres de référence, était une des règles d’or de la résistance aux interrogatoires. « Je peux comprendre le secret, reprit-il. Je sais qu’il est essentiel d’interdire à l’ennemi d’obtenir certains renseignements critiques. Je sais aussi qu’abandonné à lui-même tout dispositif de classification top secret tend à s’élargir, à trouver des raisons d’englober davantage d’éléments dans le secret. Il faut restreindre ces systèmes, faute de quoi ils finissent par dissimuler trop de choses. Le secret devrait être réservé à l’ennemi, pour lui interdire de trop en apprendre sur ce qu’il nous faut protéger. Mais j’en viens à me demander qui est l’ennemi à vos yeux.

» Dites-moi une chose : si vous travaillez vraiment pour l’Alliance, dont l’existence se fonde sur l’autodétermination des citoyens peuplant ses planètes, et que vous êtes certains de faire ce qui est juste, pourquoi gardez-vous complètement vos agissements sous le boisseau ? Pourquoi a-t-on empêché la population de l’Alliance d’être informée, serait-ce de manière générale, du logiciel hostile qui a corrompu et contrôlé le logiciel officiel ? Est-ce parce que vous n’adhérez pas réellement aux principes de l’Alliance et que vous vous croyez le droit de dicter au peuple ce qu’il doit faire et savoir, ou bien parce que vous n’êtes pas entièrement convaincus d’être dans votre bon droit ? Quelqu’un qui a cru un moment à l’Alliance ne se reposerait pas sur le secret pour interdire à ses concitoyens de décider si ce qu’on fait entre bien dans le cadre de leurs lois et leur conception du bien et du mal. Quelqu’un qui estimerait agir justement ne craindrait pas de mettre le peuple au courant, parce qu’il serait certain que le peuple verrait lui aussi qu’il œuvre à bon escient. »

Il les fixa en secouant la tête. « Quels que soient vos ordres, qu’ils viennent ou non d’une source autorisée, n’enfreignez pas les lois de l’Alliance. Si vous aviez eu la conviction que ces ordres entraient dans le cadre légal, vous ne les auriez pas dissimulés. Pourtant, même après voir vu ce que les vaisseaux obscurs ont fait à Atalia, Indras et Varandal, vous ne montrez par aucun signe que vous les remettez en cause. Les intelligences artificielles qui les contrôlent pourraient avancer l’excuse qu’elles n’avaient pas le choix. Mais vous pouviez faire autrement, vous, et vous vous y êtes refusés. Méditez cela. »

Ses paroles finirent par arracher une réaction à l’homme : ses yeux accommodèrent sur Geary et il hurla quasiment. « Nous devons interdire à nos ennemis de connaître nos secrets parce que, s’ils apprenaient ce que nous faisons, ils seraient en mesure de nous contrecarrer !

— Parce que vous croyez qu’ils l’ignorent ? demanda Geary. Les modifications du logiciel n’ont aveuglé que les senseurs de l’Alliance. Les Syndics savaient qu’ils étaient agressés à Indras et ils voyaient leurs agresseurs. Les seuls que vos secrets ont laissés dans le noir, ce sont les nôtres. Qui est l’ennemi, selon vous ? »

Nul ne lui répondit.

Geary trancha l’air de la main à l’intention d’Iger puis attendit que les fenêtres virtuelles se fussent refermées pour reprendre la parole. « Merci, lieutenant. Je doute que ça les ait affectés, mais ça valait la peine d’essayer. Faites-moi savoir quand vos gens auront trouvé un moyen d’accéder aux systèmes des vaisseaux obscurs. »

Il n’était pas rentré dans sa cabine qu’un appel lui parvenait de la passerelle. « Nous avons reçu du gouvernement local un message à votre intention », rapportait l’officier des trans.

Les systèmes stellaires de l’Alliance étaient libres de choisir la forme de leur gouvernement pourvu qu’ils se conforment à certaines règles relatives à la représentation populaire et aux droits civiques. Bhavan était dirigé par un comité exécutif coopté par un groupe plus large de représentants élus. Tout le comité était apparemment présent dans le message et personne n’avait l’air content. « Nous sommes assiégés par une force militaire d’origine inconnue qui refuse de communiquer avec nous ! Nous exigeons de la flotte de l’Alliance qu’elle élimine tout de suite cette menace ! Nos sénateurs seront informés de cette situation et ils sommeront le gouvernement de l’Alliance de s’expliquer ! »

Geary résista à l’envie pressante de lui répliquer que nul ne pourrait informer personne tant qu’il n’aurait pas eu raison des vaisseaux obscurs qui faisaient le blocus du trafic spatial de Bhavan. Mais les dirigeants élus de ce système méritaient au moins une réponse. « Ici l’amiral Geary, commandant de la Première Flotte. Les unités qui sont sous mes ordres et moi-même, nous ferons de notre mieux pour vaincre, détruire ou bannir du système stellaire de Bhavan les vaisseaux hostiles qui l’assiègent. En l’honneur de nos ancêtres, Geary, terminé. »

Six

« Puis-je m’entretenir avec vous, amiral ? » Le docteur Nasr attendit que Geary l’y eût invité puis il entra dans sa cabine et prit place dans le siège qu’on lui présentait.

« Y aurait-il une question sanitaire de nature particulièrement inquiétante ? » s’enquit l’amiral, non sans regretter d’avoir à s’inquiéter de tout ce qui allait mal et de la gravité du problème chaque fois qu’on venait lui parler.

« Rien de tel. J’ai seulement réfléchi. » Nasr marqua une pause pour remettre de l’ordre dans ses pensées avant de poursuivre. « Au sujet de ces vaisseaux obscurs. Plus précisément à propos des intelligences artificielles qui les gouvernent.