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Les lèvres de Tanya esquissèrent un demi-sourire. « S’il y avait une règle contre le brouillamini, tout le QG de la flotte se retrouverait sur le banc des accusés en un rien de temps. »

Il ne lui retourna pas son sourire et fixa l’écran de son fauteuil de commandement. Les trente heures de trajet ou trois heures-lumière qui avaient séparé le détachement de Geary des vaisseaux obscurs se réduisaient lentement, tandis que cette longue poursuite ne laissait plus entrevoir aucune chance de les rattraper avant qu’ils ne réussissent à filer. Si d’aventure ils se retournaient pour combattre, il pourrait sans doute en finir avec eux, mais, comme un peu plus d’une demi-heure plus tôt, les vaisseaux obscurs progressaient inéluctablement vers le portail. « Tanya, j’ai besoin de votre intuition.

— C’est en partie pour ça que je suis ici. » Elle désigna d’un coup de menton la position de l’ennemi sur l’écran. « Vous voulez savoir si nous devons les suivre dans l’hypernet s’ils l’empruntent ?

— Oui. » Geary ne prit pas la peine de lui demander comment elle avait de nouveau lu dans son esprit. En l’occurrence, le premier venu s’en serait inquiété. « Nous savons que le gouvernement construisait vingt croiseurs de combat et vingt cuirassés pour sa flotte secrète. Nous n’avons réussi à détruire à Atalia quatre de ces croiseurs de combat que parce que notre supériorité numérique était de deux contre un. Si ces fuyards regagnent effectivement leur base et que nous les filons jusque-là, nous risquons de tomber nez à nez avec les autres croiseurs et cuirassés.

— L’idée m’a traversé l’esprit, répondit-elle. En même temps, je me suis dit que la bataille conséquente avait de bonnes chances d’être très courte et très déplaisante. Pouvons-nous nous permettre de courir ce risque ? »

Il lui décocha un regard stupéfait. « C’est vous qui dites ça ?

— Oui, c’est moi. Quelqu’un de notre connaissance m’a aidée à comprendre que charger bille en tête sans tenir compte du déséquilibre des forces en présence est sans doute héroïque mais surtout parfaitement stupide. Nous devons localiser leur base, j’en conviens. Dans la mesure où, autant que nous le sachions, le logiciel de nos senseurs a été trafiqué pour leur interdire de voir ces vaisseaux obscurs et que les chances d’obtenir un visuel direct d’un objet dans l’espace sont voisines de zéro, la base en question pourrait se trouver n’importe où. Voire à Unité, dont le gouvernement se convaincrait aisément qu’elle pourrait fournir à ces vaisseaux une sécurité optimale.

— Je ne le pense pas. Certes, nul ne pourrait les voir dans l’espace, mais, à la base proprement dite, quand les vaisseaux obscurs y accostent pour entretien, réparations, réapprovisionnement en armes, munitions et cellules d’énergie, on doit bien les voir. Et, tôt ou tard, certaines personnes du système stellaire en question s’en ouvriront à d’autres.

— Mais vous affirmez qu’on n’y a pas construit de nouvelles installations.

— Autant que le capitaine Smyth ait pu le découvrir, précisa Geary. Remonter la filière de l’argent reste notre meilleure méthode de renseignement dans ce foutoir, et l’argent affirme qu’aucune nouvelle base spatiale neuve n’a été construite en même temps que cette autre flotte. Ces vaisseaux doivent pourtant bien avoir une base où se cacher, mais où pourrait-elle bien être ? »

Desjani fit la grimace. « Si nous les pourchassons jusque-là, nous aurons la réponse. Cela dit, combien d’unités devons-nous envoyer ? Toutes celles dont nous disposons, sachant que, où qu’aillent ces vaisseaux obscurs, nous avons toutes les chances de nous retrouver inférieurs en nombre ? Ou bien une seule pour une brève reconnaissance ? Amiral, ma meilleure préconisation, c’est encore d’attendre de voir pour quelle destination ces machins vont emprunter l’hypernet. Si c’est leur base, nous n’aurons pas besoin de les pourchasser aussitôt. Mais, si c’est un gros système, comme Unité par exemple, il nous faudra les poursuivre parce que ces vaisseaux obscurs pourraient être assez timbrés pour y cibler des installations, et nous devrons alors les en empêcher.

— C’est sans doute le mieux que nous pourrons faire, admit Geary. Vous avez raison. Si leur objectif est une planète bien moins peuplée, un quelconque système frontalier sur la ligne de défense contre les Syndics, elle devrait correspondre à leur base. Peut-être un système dans le genre de Yokaï, qui est devenu une zone défensive particulière où aucun citoyen n’est autorisé à fourrer son nez dans ce qui ne le regarde pas. Il pourrait se faire, néanmoins, que cet objectif restât trop ambigu pour nous fournir des informations pertinentes quant à notre ligne d’action.

— Une chance que Black Jack soit aux commandes, affirma Desjani. Il saura quoi faire.

— Très drôle. » Geary loucha de nouveau sur son écran, où la situation à proximité du portail n’avait pas changé. « Le Mortier et le Serpentine auraient déjà dû s’ébranler. »

Desjani secoua la tête. « Je vous avais prévenu qu’ils refuseraient. Ils ont l’ordre de garder ce portail et, par leurs ancêtres, ils le garderont et ne fuiront pas devant des ennemis invisibles. En outre, si je me fie à ce qu’a dit le capitaine Jane Geary, je vous parie tout ce que vous voulez que ces deux destroyers ont reçu, censément de l’amiral Timbal, l’ordre de ne pas télécharger les correctifs logiciels. »

Il dévisagea Tanya. « Vous vous êtes servies du même terme, Jane et vous. “Censément”. Pourquoi ? »

Elle marqua une pause, renfrognée. « Je ne critique pas les décisions d’un supérieur hiérarchique…

— Ce que vous ne faites jamais…

— Qui est désopilant maintenant ? Je ne crois pas une seconde que l’amiral Timbal ait envoyé ces messages à certains de vos vaisseaux, parce que, à ce que vous m’en avez dit et à ce que j’ai pu en voir, il a toujours été l’un de vos plus fervents partisans. Il a plusieurs fois soutenu Black Jack alors qu’il risquait manifestement sa carrière. Il s’est aussi tenu très éloigné de toutes les magouilles où il n’avait pas à s’impliquer pour vous laisser les coudées franches. Pourquoi cet homme aurait-il envoyé à des bâtiments placés sous votre commandement des ordres contredisant les vôtres ?

— Non, il n’aurait jamais fait ça. » Geary baissa les yeux sur les commandes encastrées dans un des bras de son fauteuil. « Mais les données biométriques installées dans les systèmes de com sont censées assurer que tous les messages envoyés sous un certain nom le soient bien par le signataire.

— Et les senseurs de nos vaisseaux devraient aussi nous montrer tout ce qu’il y a à voir, ironisa Desjani. Pourquoi ceux qui se cachent derrière cette affaire de vaisseaux obscurs n’œuvreraient-ils pas à protéger leurs mensonges en tripatouillant aussi nos systèmes de com ? Nous savons qu’ils l’ont déjà fait par d’autres moyens.

— C’est vrai. » Geary étudia un instant son écran en réfléchissant aux options qui s’offraient à lui. Nombre d’entre elles, s’il les adoptait, n’auraient d’autre résultat que de couper des ponts derrière lui. « Ils se croient dans leur droit. Tout comme ceux qui ont construit ces vaisseaux obscurs. Ergo, tout ce qu’ils décident est juste. Une fois qu’on s’est délibérément livré à un sabotage des systèmes de com de ses propres vaisseaux, pourquoi ne pas prendre aussi les mesures nécessaires à la dissimulation de cet acte criminel ? »