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— Faut-il que vous ayez toujours raison ? demanda-t-il en ouvrant l’écoutille du compartiment pour sortir.

— Non. C’est seulement que je tombe souvent juste. »

Quelque peu vanné après la réunion, il entra dans sa cabine en s’efforçant de décider du problème auquel il devait se colleter ensuite, mais il se raidit aussitôt à la vue d’une femme assise dans une des chaises. Sa cabine était protégée par diverses mesures de sécurité, dont des verrous censés ne laisser pénétrer personne sans son approbation.

La femme en question se leva et se tourna vers lui. « Amiral. »

Geary répondit d’un signe de tête, stupéfait mais, en même temps, à peine surpris par l’identité de son interlocutrice. « Victoria.

— Joli laïus », déclara Victoria Rione. Quand Geary avait fait sa connaissance, elle était encore co-présidente de la République de Callas et sénatrice de l’Alliance. Après avoir perdu une élection précipitée de l’après-guerre, elle avait été nommée émissaire de l’Alliance et avait travaillé un temps pour ses anciens collègues du Sénat. Mais Geary savait que cette affectation avait officiellement pris fin. Travaillait-elle encore en sous-main pour Navarro et ses pareils, ou bien était-elle désormais une opératrice indépendante qui poursuivait ses objectifs personnels en évitant les ennemis qu’elle s’était faits au service du gouvernement ?

« Vous écoutiez ? demanda Geary. Pendant une conférence stratégique à sécurité maximale ?

— Oh, vous voyez le mal partout. » Elle fit signe à Geary de prendre un siège comme si cette cabine était la sienne. « Détendez-vous. »

Il s’assit en face d’elle et la scruta. Rione révélait rarement ses sentiments profonds, mais ses yeux cernés et ses traits plus creusés que dans son souvenir trahissaient son épuisement. « Vous semblez avoir été sous pression. »

Elle s’adossa mieux à son siège et haussa les épaules. « Je suis encore en vie et libre.

— Comment êtes-vous montée à bord de l’Indomptable sans déclencher aucune alarme ?

— J’avais implanté quelques applications dans les systèmes de ce vaisseau avant de le quitter, répondit-elle nonchalamment. Rien à voir avec le matériel Énigma ni avec cette ineptie dont s’est servi le gouvernement pour rendre les bâtiments et le personnel invisibles aux senseurs. Diamétralement opposé, même. Ces applis affirment à tous les dispositifs qui peuvent déceler ma présence qu’elle est autorisée à bord, que je ne suis pas une menace et qu’il est donc parfaitement inutile d’en faire mention. Laissez-moi vous dire qu’une apparente habilitation à se trouver partout est de loin préférable à l’obligation de se cacher.

— Des matelots ont dû vous apercevoir…

— Bien sûr. Et ils savaient qui j’étais, que j’avais déjà séjourné à bord et que j’étais une alliée de leur bien-aimé Black Jack qui avait toute sa confiance. Sans doute nourrissent-ils certains soupçons à mon encontre puisque je fais partie de ces détestables politiciens, mais ils ont dû se dire que mon retour s’était fait dans des conditions officielles, avec des barres à tous les t et des points sur les i. » Elle inclina la tête pour le dévisager. « Alors, comment se porte le grand héros ?

— J’ai connu des jours meilleurs, avoua Geary. J’ai parfois l’impression que des gens allument des incendies uniquement parce qu’ils savent que je vais accourir les éteindre.

— C’est un spectacle divertissant, en effet. Nul à part vous n’aurait pu ramener la flotte de Bhavan en un seul morceau, vous savez ?

— Êtes-vous toujours celle qui croyait autrefois que je la menais à sa ruine ? N’oubliez pas que c’est moi qui ai conduit la flotte à Bhavan, lui rappela-t-il, conscient lui-même de l’amertume de sa voix.

— Vous avez pris ce qui vous semblait la bonne décision. Vous fustiger serait stupide. Croyez-moi sur parole. Je suis la première à me reprocher mes mauvaises décisions. C’est ma spécialité. » Rione baissa la tête puis releva les yeux pour le fixer, les sourcils froncés. « À propos de mauvaises décisions que vous n’auriez pas encore prises, vous n’allez pas le faire, n’est-ce pas ?

— Faire quoi ? demanda-t-il, encore qu’il sût très bien ce qu’elle voulait dire.

— Résoudre tous nos problèmes en débarquant à Unité à bord d’un vaisseau d’argent, expliqua-t-elle. Vous pouvez sauver l’Alliance en un clin d’œil rien qu’en annonçant que vous prenez provisoirement le pouvoir, le temps de tout remettre à plat. Non seulement les civils et les militaires l’accepteraient dans leur grande majorité, mais encore vous feraient-ils fête.

— Sauver l’Alliance ? répéta Geary sans cacher sa colère. Pour moi, ce serait plutôt sonner son glas au nom de son salut.

— Je suis bien d’accord. » Elle haussa derechef les épaules et détourna les yeux. « C’est votre dilemme. Le problème serait aisément résolu, mais la solution risquerait d’être pire. Et vous refusez d’ailleurs de suivre cette simple et dévastatrice ligne d’action.

— Bon sang, ne me reste-t-il donc aucune option favorable ?

— Vous me posez la question ? La même qui a toujours existé : les citoyens prennent la responsabilité d’élire ceux qui œuvreront pour le bien commun et pas seulement dans leur propre intérêt. Je vous souhaite bonne chance, toutefois, si vous comptez là-dessus. Ils préféreraient de loin voir débarquer sur son destrier d’argent un cavalier blanc qui leur épargnerait cette peine. »

Il s’apprêta à répondre puis éclata brusquement de rire. « On prend toujours le problème à rebours, n’est-ce pas ? »

Rione le fixa en arquant un sourcil. « Qu’est-ce qu’on prend à l’envers ?

— La démocratie. Le scrutin. Les gens parlent sans cesse d’exiger de meilleurs et de plus grands efforts de la part de leurs élus, mais, si on y réfléchit sérieusement, la démocratie ne devrait-elle pas en exiger davantage des électeurs ? S’ils faisaient correctement leur travail, leurs dirigeants seraient conséquemment de meilleure qualité.

— J’imagine. » Elle secoua la tête, morose. « Mais pas entièrement vrai. Les dirigeants doivent être méritants, capables d’éviter les tentations du pouvoir et intègres même si le peuple ne tient pas à l’intégrité. La démocratie est un sport collectif, amiral. Si tous ne jouent pas à leur poste, toute l’équipe en pâtit. »

Geary s’était cru épuisé jusque-là, mais il se leva et se mit à faire les cent pas. « C’est pour cela que vous êtes venue ? Pour me dire qu’il n’y a rien que je puisse faire sans aggraver encore la situation ?

— Non. D’ailleurs, ce dont vous vous abstenez a toujours son importance. Ce qui veut dire que vous faites ce qu’il faut. Il me semblait que vous aimeriez vous l’entendre dire. » Elle entortilla ses doigts et contempla ses mains. « Je ne l’ai pas trouvé.

— Votre époux ?

— Aucune trace. Paol a disparu. »

Geary refoula une poussée de colère. « Ils avaient promis de le guérir. De lever le blocage mental qu’on lui avait imposé pour des raisons de sécurité, blocage au demeurant illégal au regard de la Constitution de l’Alliance, et de réparer les dommages qu’il avait occasionnés à son esprit.

— Les promesses de certains étaient peut-être sincères. D’autres mentaient. Tout ce que je sais, c’est qu’il m’a été impossible de trouver la moindre indication sur le sort réservé à mon mari. Même si on l’avait tué, j’aurais dû au moins retrouver quelques indices. » Elle serra les poings. « Qu’on ait fomenté ma disparition n’est certainement pas une coïncidence, j’en suis persuadée. Quelque clique gouvernementale ne tient pas à ce qu’on pose des questions, ni à ce que certaines informations soient divulguées.