— Où est cette mystérieuse base ? demanda le capitaine Badaya. Pourquoi ne l’avions-nous pas encore découverte ? Et pourquoi était-il si difficile de trouver le moyen de s’y rendre ? Se trouverait-elle en territoire syndic ?
— Où elle se trouve ? » Geary modifia la carte stellaire de manière à focaliser sur le système binaire. Il ne tira pas une mince satisfaction des regards interloqués de la plupart de ses officiers. Lui-même avait dû faire cette tête quand Charban lui avait parlé pour la première fois de l’étoile double. « Juste ici. Dans ce système binaire.
— Nous allons sauter vers un système binaire ? s’étonna le capitaine Vitali. Il dispose d’un point de saut stable ?
— Non. Autant que nous le sachions, il n’y a aucun point de saut stable là-bas. En revanche, le système est équipé d’un portail. C’est par ce biais que nous nous y rendrons. Je sais quelle sera votre prochaine question. Pourquoi l’Alliance a-t-elle construit un portail dans un système binaire ? La réponse tient en deux mots : Unité Suppléante. »
Le silence qui suivit fut enfin rompu par le capitaine Armus. « Il y a vraiment une Unité Suppléante ?
— Oui, répondit Geary. Le code d’accès à son portail était déjà inscrit dans nos clés de l’hypernet, mais, pour en prendre connaissance, il a fallu le déverrouiller. Celle de l’Indomptable a d’ores et déjà téléchargé les mots de passe nécessaires à son déverrouillage, et, à la fin de cette conférence, je les transmettrai à tous vos vaisseaux. » Il marqua une pause en lisant clairement sur tous les visages les questions qu’avait soulevées cette dernière déclaration. « Il s’agit d’un logiciel correctif dûment autorisé. Je le tiens du gouvernement lui-même. Cette mission est officielle. Les autorités veulent que nous neutralisions Unité Suppléante. »
Badaya explosa : « Que sommes-nous censés neutraliser dans la base de repli secrète de notre propre gouvernement ?
— Les vaisseaux obscurs. Ainsi que des éléments potentiellement félons de certaines organisations.
— Quelles organisations ? demanda le capitaine Vitali.
— Je n’en sais rien. Le gouvernement non plus.
— Vous avez dit “éléments félons”, fit observer Duellos.
— Une petite minute ! se récria Badaya, véhément. Vous prétendez que le gouvernement, qui nous soupçonnait jusqu’ici d’être une menace pour l’Alliance, compte à présent sur nous pour éliminer cette fois une véritable menace ? » À ses accents offensés, on aurait juré qu’il ne lui serait jamais venu à l’idée de se dresser contre le gouvernement. Nul, à l’entendre, n’aurait jamais imaginé qu’il avait naguère pris la tête des éléments séditieux qui rêvaient de le renverser par un coup d’État militaire.
« C’est exact », affirma Desjani, le visage impassible.
Badaya se renfrogna davantage. « Mettons ! Nous allons donc nous y atteler ! Et leur montrer !
— Les Danseurs nous accompagnent, ajouta Geary. Ils tiennent à nous aider à éradiquer les vaisseaux obscurs.
— Et si nous nous croisions, amiral ? demanda quelqu’un. Qu’arrivera-t-il s’ils décident d’attaquer Varandal pendant que nous serons en route pour Unité Suppléante ?
— Nous remplirons notre mission à Unité Suppléante et nous rentrerons directement ici, dit Geary. Sans délai. Ce n’est pas l’idéal, loin s’en faut, mais nous ne pouvons pas nous incruster à Varandal ni ailleurs en attendant que les vaisseaux obscurs attaquent. Nous devons les frapper là où ils ne sont pas et où ils en pâtiront le plus.
— Nous devons impérativement réussir, asséna le capitaine Tulev. Et nous réussirons.
— Exactement », approuva Geary.
Alors que les images des autres commandants s’effaçaient de nouveau dans une frénétique effervescence, celle du capitaine Neeson s’attarda brièvement. « Vous n’avez plus besoin que je vous cherche ce portail, j’imagine, amiral ?
— Non, en effet, admit Geary. Pardonnez-moi de ne vous en avoir pas informé plus tôt.
— Un portail caché dans nos propres clés de l’hypernet ! » Neeson secoua la tête. « L’hypernet a été découvert presque simultanément par les scientifiques de l’Alliance et ceux des Mondes syndiqués. Juste à temps pour permettre à la guerre de se poursuivre alors que les deux blocs commençaient à ployer sous ses coûts. Personne ne s’est aperçu que les Énigmas avaient laissé fuiter cette technologie de part et d’autre dans le seul but de pousser les hommes à continuer à s’entre-déchirer. Nous n’en avons jamais rien su. Je me demande combien d’autres secrets peut bien recéler l’hypernet.
— Commençons par remporter cette bataille, déclara Geary. Nous chercherons à le découvrir ensuite. »
Neeson sourit puis salua. « Pardonnez-moi ce commentaire, mais ce plan me paraît digne de Black Jack, amiral.
— Ça ira pour cette fois. » Geary regarda disparaître l’image du capitaine puis quitta la salle de conférence en compagnie de Desjani.
Il eut la surprise de trouver Victoria Rione qui l’attendait dans la coursive à la sortie du compartiment. « J’aimerais être transférée à bord du Mistral, amiral. »
Desjani resta coite, mais toute son attitude trahissait sa désapprobation.
« Pourquoi ? demanda Geary.
— Pour trois raisons, expliqua Rione. Et d’une, vos fusiliers sont censés collecter toutes les informations accessibles dans les banques de données. J’ai l’expérience requise et je dispose d’une panoplie d’outils logiciels unique au monde pour m’assister dans cette tâche. Et de deux, si votre infanterie devait se heurter à la résistance de troupes de sécurité ou de forces paramilitaires chargées de défendre les installations d’Unité Suppléante et cherchait à éviter une bataille rangée, je serais d’un grand secours dans les négociations destinées à obtenir la reddition des défenseurs. Et de trois, si mon époux est effectivement détenu dans une de ces installations, je veux être là pour l’en faire sortir. » Elle coula un regard vers Desjani. « Et, quatrième et dernière raison, ma présence serait moins perturbatrice à bord du Mistral. »
Tanya la fixa droit dans les yeux et répondit sévèrement : « Si l’amiral Geary juge votre présence nécessaire sur l’Indomptable, vous êtes plus que la bienvenue à bord. Vous y serez traitée avec la plus professionnelle des courtoisies.
— Vous savez comme ça m’exaspère, n’est-ce pas ? répliqua sèchement Rione. Amiral, je ne vous serais d’aucune aide dans un combat contre les vaisseaux obscurs. Il n’y aurait strictement rien à négocier. En revanche, je peux être très utile aux fusiliers. Je vous demande de m’autoriser à les assister.
— Et si vous nous aidiez à communiquer avec les Danseurs ? Vous avez été un de nos principaux points de contact avec eux, fit remarquer Geary.
— Vous n’avez pas besoin de moi pour ça en ce moment. Les Danseurs consentent finalement à parler ouvertement avec ceux qui sont capables de formuler convenablement leurs questions. Loin de moi l’idée d’embarrasser de ma présence le lieutenant Iger et cet autre lieutenant aux jolis cheveux émeraude, qui, au demeurant, me font l’effet d’avoir envie de rester en tête-à-tête dans le compartiment de com. »