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— Jusqu’ici. Nous ne pourrons obtenir d’explications des éventuels occupants des installations logistiques que dans quelques heures. S’il en reste à leur bord, nous saurons s’ils crèvent de trouille ou s’ils sont à ce point tétanisés par le désir d’obéir aux ordres qu’ils restent disposés à se battre jusqu’à la mort.

— Pour l’heure, je suis assez mortifié pour laisser aux fusiliers le soin d’accommoder à leur sauce ceux qui voudraient combattre à mort, déclara Geary. Y a-t-il autre chose de nouveau ?

— Rien de vraiment neuf. J’ai remarqué quelque chose de bizarre concernant les Danseurs.

— Quelque chose que nous n’avons pas encore observé, voulez-vous dire ?

— D’accord, oui, une nouvelle bizarrerie. » Elle désigna son écran. « Normalement, quand nous entrons dans un système stellaire, ils se mettent à voleter dans tous les sens, à filer où bon leur chante et à décrire des cercles autour de leurs vaisseaux et des nôtres. Mais, depuis notre arrivée, ils respectent la même formation et restent toujours près de nous.

— C’est assez étrange, en effet. » Geary étudia les vaisseaux des Danseurs sur son propre écran. Ils avaient conservé la même formation cylindrique plus petite que la sienne et, effectivement, ils gardaient la même position relative par rapport à sa flotte. Il appela le compartiment hébergeant le matériel de com spécial et connecta Desjani à la communication. « Salut, général. J’ai encore une question à vous poser.

— Merci, répondit Charban, l’air presque sincère.

— Au lieu de se disperser tous azimuts pour caracoler dans tout le système stellaire, les Danseurs restent collés à nous depuis notre arrivée à Unité Suppléante. Pouvez-vous découvrir s’ils sont nerveux ou quelque chose comme ça ?

— Intéressant. Ils n’ont pas spontanément révélé de telles dispositions, mais c’est un comportement très inhabituel de leur part, convint Charban. Je m’informerai. Ils viennent de nous faire une proposition qui a trait à l’Invincible, me semble-t-il. Nous en discutions avec les lieutenants avant de vous la transmettre.

— Ils ne revendiquent pas la propriété du supercuirassé, au moins ? demanda Geary. Quand nous avons pris l’Invincible aux Bofs, les Danseurs sont convenus qu’il resterait en notre possession.

— Non, ce n’est pas une revendication. Voici ce qu’ils ont envoyé…

» “Les êtres grégaires bâtissent grand.

» Assurez-vous que le troupeau est toujours là,

» Qu’il ne reste pas seul.”

— Que le troupeau est toujours là ? répéta Geary. Veulent-ils dire qu’il reste des Bofs à son bord ? Comment serait-ce possible ? Nous en avons inspecté chaque centimètre carré.

— Je ne crois pas que ce soit une allusion à la présence de Bofs à bord du supercuirassé, répondit Charban. Le lieutenant Iger a souligné l’emploi du présent de l’indicatif, mais aussi la référence transparente à un “troupeau”, soit à de très nombreux Bofs. Sauf s’ils sont matériellement encastrés dans la structure même de la coque, je vois mal comment ça se pourrait.

— Une petite minute ! » Geary se tourna vers la représentation du supercuirassé en se remémorant sa brève visite de l’Invincible. « Les gens sentent la présence de Bofs à son bord. Je l’ai moi-même ressentie. Comme une cohorte d’esprits vous accompagnant partout où vous allez. C’était extrêmement accablant. Quand on ne fait pas partie d’un groupe très nombreux, la sensation peut devenir intolérable. Même les forces spéciales syndics qui ont tenté de capturer ou de détruire l’Invincible n’ont pas pu la supporter. »

Charban eut une soudaine expression de surprise. « “Qu’il ne reste pas seul”, cita-t-il. Amiral, c’est aussi simple que ça. Ces spectres relèvent d’un processus délibéré. Quelle que soit la façon dont les Bofs s’y prennent pour créer cette impression, elle vise à convaincre chaque Bof, où qu’il se trouve à bord du vaisseau et même s’il est seul dans le secteur, qu’il est toujours entouré par le troupeau.

— Vous voulez rire ? » Mais plus Geary y réfléchissait, plus ça lui paraissait logique. « Ce n’est donc pas un moyen de dissuasion contre les intrus, mais de défense contre la sensation d’isolement ou de solitude de créatures qui doivent sans cesse se sentir entourées de leurs congénères.

— Bizarre, n’est-ce pas ? Seul dans un endroit isolé, un homme lui-même peut craindre les fantômes et éprouver de l’effroi, parce que les hommes sont aussi des êtres sociaux. Imaginez ce qu’éprouverait un Bof élevé dans la présence constante de son troupeau s’il se retrouvait brusquement isolé de tout et de tous. Nous pouvons le comprendre. C’est même la première chose que nous pouvons à la fois appréhender à propos des Bofs et partager avec eux.

— Ce ne sera probablement pas un terrain d’entente suffisant pour une coexistence pacifique, fit observer Desjani.

— Non, admit Charban. Difficile d’éprouver beaucoup d’empathie pour une espèce qui regarde comme normal le génocide de toute rivale potentielle.

— D’autant que les Bofs semblent considérer toutes les autres espèces comme des compétitrices, ajouta Geary. Vous savez quoi ? Peut-être les Danseurs sont-ils plus versés que nous dans la technologie des Bofs. Ils en savent assurément plus long à leur sujet. Quand nous en aurons fini avec les vaisseaux obscurs, ils pourront certainement nous aider à comprendre le fonctionnement du matériel de l’Invincible. »

Charban fit la moue. « Exprimer par la poésie le contenu d’un manuel de technologie est probablement un défi qui dépasse nos compétences, amiral. En tout cas jusqu’à ce jour. Je ne nous crois pas capables de traduire avec bonheur une Ballade du quark vibrant ni un Réglage fin de l’oscillateur bipolaire. Peut-être une enquête permettrait-elle de découvrir dans la flotte, parmi vos ingénieurs, un parolier aussi émérite que talentueux. C’est de celui-là que nous aurions besoin.

— Un ingénieur qui serait aussi un auteur de chansons ? laissa tomber Desjani, sarcastique. On devrait trouver ça facilement.

— Plus aisément que vous ne le croyez, commandant, répondit Charban. Il existe entre l’ingénierie et la musique une intime affinité. Songez à la conception ou à la facture d’un instrument de musique. C’est un exercice qui relève de l’ingénierie, de notions telles que les tensions, les forces, la structure des matériaux, les vibrations et les résonances.

— Je n’y avais jamais réfléchi sous cet angle, avoua-t-elle. Pour le moment, je crois que nous ferions mieux de nous concentrer sur la question de l’amiral : les Danseurs sont-ils nerveux ? Unité Suppléante me rend moi-même nerveuse. C’est un peu trop calme à mon goût.

— J’en conviens, dit Charban. Je ne suis pas un spatial, j’appartiens aux forces terrestres, mais même moi j’ai l’impression que ça se passe un peu trop bien. »

Seize heures après leur arrivée à Unité Suppléante et à vingt-deux d’atteindre la région de l’espace abritant les installations, un message leur parvint.

Geary vit un homme soigné mais vêtu d’un complet quelconque s’adresser à lui avec calme et précision. « Votre présence n’est pas tolérée ici. Vous avez ordre de quitter sans délai ce système stellaire. Cette intrusion dans une propriété officielle du gouvernement a d’ores et déjà été enregistrée et sera transmise à qui de droit, qui prendra les mesures appropriées. Vous avez l’ordre de ne parler à personne de ce système stellaire, à moins d’être contacté par un représentant dûment habilité des autorités. Si vous persistez à vous rapprocher d’installations du gouvernement de l’Alliance interdites aux voyageurs, nous nous verrons contraints de prendre les mesures nécessaires, y compris par l’usage de la force.