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La taille et le nombre des structures auraient rivalisé avec ceux du chantier spatial d’un système stellaire opulent. Si l’Alliance avait été contrainte de se replier vers Unité Suppléante, elles lui auraient permis de continuer à lancer des raids contre les envahisseurs syndics. À quoi bon prendre cette peine ? se demanda Geary. La victoire aurait été de toute manière interdite, sauf si les Mondes syndiqués s’étaient trouvés si affaiblis par la leur que leur régime aurait croulé, laissant ainsi au gouvernement de l’Alliance une occasion de réinvestir ses systèmes stellaires en ruine. Cela étant, quand Geary s’était réveillé, au terme d’un siècle de conflit, rien dans cette guerre ne semblait plus devoir aboutir. Aucun des deux bords ne croyait avoir une chance de l’emporter, mais les Mondes syndiqués refusaient de mettre un terme à leurs offensives et l’Alliance de capituler ; seul cela comptait encore, de sorte qu’aucune autre ligne d’action n’était envisageable.

Il s’apprêtait à détruire un symbole de cet acharnement insensé.

Une grêle de projectiles cinétiques jaillit de ses vaisseaux pour se précipiter vers les vastes édifices, naguère conçus pour le soutien logistique de leurs pareils mais désormais consacrés à celui des vaisseaux obscurs.

Les « cailloux », comme les surnommait le personnel de la flotte, étaient de simples masses profilées de métal solide, certes dépourvues d’ogives et d’explosifs, mais qui filaient à plus de trente mille kilomètres par seconde. Chacune accumulait dans sa course une monstrueuse énergie cinétique qui se libérait lors de l’impact.

Touchés par des dizaines de frappes, les hangars déchiquetés explosèrent en nuages de fragments plus ou moins gros. Leur contenu détonant de lui-même, les entrepôts qui abritaient des armes ou des cellules d’énergie disparurent dans une fulgurante série de gigantesques déflagrations, réduits en une masse de particules fines projetées dans le vide environnant. En l’espace de quelques secondes, des structures dont la construction avait englouti d’énormes sommes d’argent et exigé beaucoup de temps et de travail ne furent plus qu’un immense champ de débris.

« Quoi qu’il nous arrive ici ensuite, ça valait la peine d’anéantir tout ça, déclara Desjani en souriant à son écran. Un jour, dans des milliers d’années, ce cercle de débris se sera dilaté pour se transformer en un mince anneau autour du système binaire. C’est tout à fait imaginable, non ?

— Une ceinture d’astéroïdes composée de ruines de la guerre, hasarda Geary. On l’appellera l’anneau de Tanya.

— Un champ de débris assez vaste pour ceinturer un système stellaire baptisé d’après mon nom ? Maintenant je peux mourir le sourire aux lèvres. »

Le bref coup d’œil qu’il jeta à Desjani confirma l’impression que lui avait laissée sa voix.

Elle ne plaisantait pas.

Et, dans la mesure où les cinq formations de vaisseaux obscurs revenaient sur ceux de la Première Flotte et où le portail de l’hypernet était toujours verrouillé, il y avait de bonnes chances, semblait-il, pour que sa prédiction se vérifiât avant la fin de la journée.

Quatorze

« Amiral, la flotte vient de détecter un point de saut pour Harding », annonça le lieutenant Castries, médusé.

Geary consulta son écran. Le point de saut en question, menant à un système stellaire modérément peuplé proche de la binaire, avait surgi du néant à un peu plus de cinq heures-lumière. Proximité toute relative, donc, à l’aune des distances interstellaires. « Combien…

— Il est instable, amiral, poursuivit Castries avant de se rendre compte qu’elle lui avait coupé la parole. Pardon, amiral. Nos senseurs affirment que ce point de saut est instable. Je n’avais encore jamais vu ça.

— Mais vous ne vous étiez jamais encore trouvée non plus dans un système binaire rapproché, intervint Desjani. Regardez ! Nos senseurs estiment à quatre-vingts pour cent ses chances de s’effondrer dans les sept heures qui suivront son apparition.

— Et il a surgi il y a cinq heures, laissa tomber Geary. Comment nos senseurs peuvent-ils bien estimer la durée de vie d’un point de saut instable ?

— Quelqu’un a dû les étudier. Peut-être à partir d’observations à distance, depuis des systèmes environnants qui leur auront fourni les données astronomiques requises. Ou bien on aura tout bonnement procédé aux calculs portant sur les interactions des champs de gravité de deux étoiles, calculs qui se seront ensuite retrouvés dans les archives de nos vaisseaux, dans le cadre des données de base nécessaires à l’analyse des points de saut.

— Nous ne pouvons aller nulle part tant que nous n’avons pas récupéré le Mistral, de toute manière, lâcha Geary. Même si ce point de saut avait une petite chance d’être encore là à notre arrivée. »

Les vaisseaux obscurs se trouvant encore à une bonne heure de toute interception, Geary vérifia où en étaient les fusiliers. Plus vite ils auraient mené leur mission à bien, plus tôt il pourrait lui-même se concentrer exclusivement sur un moyen de vaincre les vaisseaux obscurs.

Empilées comme des tuiles, les fenêtres virtuelles montrant les vues transmises par la cuirasse de combat des fantassins laissaient entendre que le décalage entre émission et réception s’était désormais réduit à un peu plus d’une minute, la distance entre la flotte et l’installation gouvernementale s’étant raccourcie. Dedans, certains fusiliers progressaient sans rencontrer de résistance dans des coursives et des compartiments qui, pour la plupart, donnaient l’impression de n’avoir jamais connu de présence humaine depuis leur construction.

Mais d’autres traversaient des zones qui avaient effectivement servi. Les murs et les planchers y présentaient des signes d’usure, on tombait parfois sur des bribes de détritus qui avaient échappé aux petits robots ménagers, et, çà et là, certains compartiments conservaient les traces d’un départ précipité. Des vêtements éparpillés jonchaient le sol et le dessus de certains meubles, les restes de repas et de casse-croûtes reposaient toujours sur les tables et les bureaux, et les draps des lits qui n’avaient pas été refaits gardaient encore la forme de leur dernier occupant.

« Qu’est-ce qui a bien pu leur arriver ? demanda un fantassin à son chef de peloton.

— L’explication la plus plausible, c’est qu’ils ont décampé et que leurs vaisseaux se sont fait allumer, répondit sa supérieure. Que tout le monde cherche les traces d’un passage postérieur à l’abandon de ces vestiges. Il faut qu’on sache s’il reste du monde à bord. »

Quelques secondes plus tard, la question que se posait le lieutenant recevait une réponse brutale : non loin de là, des fusiliers rencontraient enfin une opposition. Geary bascula sur l’image transmise par un de leurs officiers et vit s’ouvrir devant l’homme une large coursive hermétiquement scellée, à son autre extrémité, par des portes anti-explosion. « Les tirs sont peut-être commandés par des défenses automatiques, rapporta un capitaine à son supérieur. Pas moyen de dire pour l’instant s’il s’agit d’une résistance humaine.

— Tenez vos positions. Des unités contournent cette coursive par les flancs, et deux pelotons de la deuxième compagnie arrivent au niveau inférieur. »

Geary eut un tressaillement mal réprimé en entendant se déclencher, dans le voisinage des portes anti-explosion, des rafales qui arrosèrent le secteur où se tapissaient les fantassins. « Pouvons-nous riposter ?