Выбрать главу

Geary consacra une seconde à se calmer et raffermir sa voix puis : « Vous connaissez tous la situation. J’aimerais entendre votre opinion et vos recommandations.

— Comme l’a fait récemment remarquer un excellent officier qui n’est plus des nôtres, il ne nous reste plus qu’une seule option : combattre jusqu’au dernier, répondit Duellos d’une voix grave qui ne lui ressemblait guère.

— C’est exact, renchérit Badaya. Jusqu’au dernier vaisseau, au dernier homme, à la dernière femme. Nous ne réussirons peut-être pas à éliminer tous les vaisseaux obscurs, mais nous pouvons au moins faire en sorte qu’aucun de leurs croiseurs de combat et de leurs cuirassés ne survive à la bataille.

— Aucun des nôtres n’y survivra non plus, déclara Armus sur un ton laissant entendre que c’était plus inéluctable que déplorable. Nul ne pourra dire que nous ne sommes pas morts honorablement. Ni ne pourra nous accuser de n’avoir pas fait notre devoir. Nos ancêtres sauront nous accueillir.

— La dernière charge des Geary, laissa tomber Jane avec un fantôme de sourire. Je n’aurais jamais cru que je participerais au vrai baroud d’honneur de Black Jack. C’est moins moche que je ne l’aurais imaginé.

— Personne n’a d’alternative à proposer ? » demanda Geary.

Duellos haussa les épaules. « Nous ne pouvons pas éliminer les vaisseaux obscurs sans le payer très cher. Ils sont trop nombreux, plus maniables, leur puissance de feu est supérieure à la nôtre et, si les AI qui les contrôlent ne vous égalent pas, elles n’en sont pas loin compte tenu des atouts des bâtiments.

— Ce n’est pas comme si nous pouvions nous repositionner en empruntant le portail, même s’il n’était pas verrouillé », fit remarquer Badaya.

Après son réveil d’un siècle de sommeil de survie, il avait fallu un bon moment à Geary pour comprendre la raison de cette formulation. Au bout d’un siècle de guerre sans grand espoir de vaincre et confrontée à la perspective d’épouvantables pertes, la flotte de l’Alliance s’était férocement cramponnée à sa fierté : jamais on ne parlait de repli, toujours de « repositionnement ». On pouvait mourir au combat, se « repositionner », mais jamais, au grand jamais, « battre en retraite ». Geary se rendit compte que cette attitude, inculquée à tous ces officiers depuis leur enfance, leur facilitait à cette heure la tâche d’envisager leur dernier combat. Comme le lui avait rappelé Desjani, tous s’étaient attendus à mourir bien avant.

Duellos approuva Badaya d’un signe de tête. » Nous ne pouvons pas leur permettre d’accéder à l’hypernet pour exécuter l’option Armaggedon. Ils ne partiront pas tant que nous resterons ici à les combattre. C’est donc ce que nous devons faire.

— C’est vrai, dit Geary.

— D’un autre côté, je ne répugnerais pas à conduire ces monstres créés par l’homme à Unité, afin qu’ils déchaînent leur Armaggedon sur leurs créateurs.

— Un tas d’innocents mourraient aussi, fit remarquer Jane Geary. Sinon, je serais de tout cœur avec vous.

— Très bien, dit Geary. Nous allons faire un crochet. » Il exposa ses intentions à propos du Mistral. « Si nos fusiliers ont trouvé le moyen de débloquer le portail, nous pourrons expédier le Mistral en lieu sûr par ce biais. Mais je vais partir du principe qu’il nous faudra éviter tout engagement jusqu’à l’apparition d’un point de saut qu’il pourra emprunter.

— Le Mistral va grouiller de mécontents, fit observer Armus, maussade.

— Ils devront faire leur devoir comme nous faisons le nôtre, s’insurgea Desjani.

— Je n’en disconviens pas. Je me félicite seulement de n’être pas le commandant du Mistral.

— Merci, dit Geary. Je suis honoré d’avoir servi avec vous tous, comme avec tous les hommes et les femmes de cette flotte. Capitaine Geary, nous devons discuter d’un problème en tête-à-tête. » Les images des autres officiers disparurent, laissant Jane Geary en train de le fixer, dans l’expectative. Elle ne fit aucune allusion à la présence de Tanya, ce dont il lui fut reconnaissant. « Quand l’amiral Bloch a communiqué avec nous, il a prétendu savoir que votre frère Michael était encore vivant et où il se trouvait. Il a même proposé d’échanger cette information contre le sauvetage de son vaisseau pavillon. »

Jane Geary inspira brusquement puis éclata de rire. « L’amiral Bloch dirait n’importe quoi pour sauver sa peau. Il ment.

— C’est l’effet que ça m’a fait, répondit Geary. Quoi qu’il en soit, il nous est impossible de l’exfiltrer du croiseur de combat obscur qui lui sert de vaisseau pavillon. Le mieux que Bloch puisse espérer, c’est que nous le mettions hors de combat sans le détruire, ce qui lui laisserait une chance de s’échapper. Mais nous ne pouvons pas restreindre nos assauts ni risquer la vie des nôtres pour sauver la sienne.

— J’en conviens. Michael refuserait qu’on passe un tel marché en son nom. »

Jane se tourna vers Tanya. « Il serait heureux d’apprendre que notre famille comprend depuis notre dernier combat une nouvelle sœur très talentueuse.

— Merci. »

Jane Geary les salua, puis son image aussi disparut.

Geary s’accorda un instant pour se donner une contenance puis appela le général Charban. « Il faut apprendre aux Danseurs ce que nous nous apprêtons à faire. » Il exposa au général les projets de la flotte avant de désigner d’un geste la position approximative des Danseurs, dont les vaisseaux collaient de nouveau à ceux de l’Alliance. « Ils ne sont pas tenus de rester combattre avec nous jusqu’à la mort, encore que nous leur soyons infiniment reconnaissants de leur concours. Faites-moi savoir leurs intentions.

— Oui, amiral. Quelles sont nos chances, selon vous ?

— Je crois que la flotte remplira ses objectifs, général. Je n’espère pas y survivre. Rares seront les rescapés. S’il en est.

— C’est bien ce que je pensais. » Charban haussa les épaules. « Au moins puis-je cesser de me demander pourquoi j’ai survécu à tant de batailles quand beaucoup d’autres y ont trouvé la mort. Ça va sans doute me simplifier la vie, sauf que je ne serai plus là pour en profiter. Nous saurons bientôt ce que les Danseurs pensent d’une bataille de ce modèle. »

Sur ces mots, Geary se tourna vers Tanya. « Des regrets ?

— Je fais ce que j’aime, amiral. » Elle le dévisagea puis sourit. « Et en bonne compagnie.

— Pareil pour moi. »

« J’ai besoin de plus de temps, amiral, insista l’image de Rione avec une sauvage véhémence à cent lieues de sa désinvolture coutumière. Je crois pouvoir trouver ce que nous cherchons. Mais il me faut plus de temps que vous ne m’en accordez. C’est impératif. »

L’Indomptable se trouvait encore à deux minutes-lumière de l’installation gouvernementale. Le délai de quatre minutes entre question et réponse rendait sans doute la conversation malcommode mais restait supportable. « Je ne peux pas vous en accorder davantage, répondit Geary. Si vous n’avez encore rien déniché, c’est probablement qu’il n’y a rien à trouver. Peut-être l’amiral Bloch a-t-il les codes et refuse-t-il de les cracher. Vous pouvez toujours essayer de l’en convaincre. Son vaisseau obscur a survécu jusqu’ici, et, bien qu’il se soit déclaré prêt à prendre le risque d’emprunter une navette pour rejoindre la flotte, il n’a rien tenté dans ce sens lors de nos engagements précédents.

» L’accès à ce portail serait sans doute bienvenu puisque nous pourrions mettre le Mistral à l’abri séance tenante, mais le recours à l’hypernet n’a rien de critique. Ce qui devient critique, en revanche, c’est que, pendant que les vaisseaux obscurs s’emploient à détruire l’Invincible, le Mistral en profite pour se replacer sous la protection de nos vaisseaux. Pour faire court, si nous voulons l’arracher à Unité Suppléante, il devra s’ébranler à mon signal. Avec votre mari et vous à son bord. »