Выбрать главу

« Cette fois au moins, ils ont la sagesse d’épargner leurs munitions périssables, déclara Desjani. Ni missiles ni mitraille, ni même projectiles cinétiques. Rien que leurs lances de l’enfer.

— Mouais. Ils n’ont que trop bien retenu la leçon. Dommage. »

Voir tant de lances de l’enfer marteler l’Invincible, alors que le supercuirassé à la dérive continuait de progresser comme pour mériter le nom que lui avait donné l’amiral Lagemann, avait quelque chose d’irréel.

Mais le supercuirassé bof lui-même ne pouvait endurer éternellement une telle punition. Geary vit les vaisseaux obscurs prendre du champ et devina la suite. « Un ou plusieurs de ses cœurs de réacteur ont dû devenir instables à cause des dommages, pressentit-il.

— Les Bofs avaient dû le construire sacrément solide pour qu’il ait résisté si longtemps à ce tir de barrage », fit remarquer Desjani.

Geary tourna le regard vers elle, prit conscience de l’intensité inhabituelle avec laquelle elle assistait au spectacle et comprit qu’elle cherchait à se changer les idées. « Vous allez bien ?

— Non. J’ai encore perdu des amis aujourd’hui. Je surmonterai. Ou je demanderai aux toubibs une ordonnance pour des pilules du bonheur. Ou bien nous mourrons tous bientôt. Quoi qu’il en soit, ça n’aura pas d’incidence. »

Une explosion creusa un énorme trou dans la coque du supercuirassé. La suivante ouvrit une plaie béante dans le flanc du vaisseau extraterrestre. Mais il poursuivit son chemin dans une embardée.

Les vaisseaux obscurs s’en rapprochèrent encore. Leurs tirs étaient si nourris qu’ils durent s’interrompre pour empêcher la surchauffe de leurs batteries de lances de l’enfer.

Des sections de l’Invincible commencèrent de s’en détacher, puis, alors que les vaisseaux obscurs se repliaient de nouveau, trois violentes explosions le réduisirent en morceaux.

Geary soupira en songeant à la perte que représentaient ces explosions. « Il reste beaucoup de très gros débris. Peut-être subsistera-t-il quelque chose d’exploitable.

— Peut-être. »

Plus d’une heure auparavant, les vaisseaux obscurs s’étaient retournés et avaient entrepris d’accélérer pour se relancer aux trousses de ceux de Geary.

« C’est reparti », lâcha Desjani.

Le bruit s’était répandu que la flotte ne survivrait vraisemblablement pas à la bataille d’Unité Suppléante. Tout le monde savait aussi pourquoi il fallait impérativement rester sur place pour combattre, une miraculeuse opportunité de fuite vînt-elle à se présenter.

Les officiers, matelots et fantassins prirent la nouvelle comme l’avaient prise leurs commandants. Ils s’y étaient depuis longtemps résignés.

Des queues ne tardèrent pas à se former à l’entrée des compartiments de culte. Hommes et femmes profitaient du peu de temps qui leur était encore imparti pour faire la paix avec eux-mêmes, prier ou mendier un miracle.

Geary, à moitié assoupi d’épuisement, ressassait encore leur absence de choix quand, en revenant s’asseoir dans son fauteuil de commandement, Tanya Desjani le réveilla en sursaut.

« Étiez-vous allée saluer vos ancêtres ?

— J’aurai sans doute l’occasion de le faire sous peu, répondit-elle. Non. Des gens qui pressentent qu’ils feraient mieux de légaliser dès maintenant leur situation s’ils y tiennent vraiment m’ont demandé de manière pressante de procéder à leur mariage. Je viens d’en expédier six sans autorisation ni approbation appropriées.

— Vous pourriez avoir de gros ennuis si le QG de la flotte l’apprenait, fit remarquer Geary, sarcastique.

— J’en prends le risque. Je me suis seulement donné la peine de demander à chaque couple s’il ne regretterait pas sa décision demain au cas où nous serions encore en vie. Tous m’ont dit non. On ne le saura probablement jamais. » Elle lui décocha un regard en biais. « Les lieutenants de Charban formaient un de ces couples. »

Geary se redressa brusquement, de nouveau pleinement attentif. « Iger et Jamenson ?

— Ouais. Un de ces quatre, on aurait pu entendre trottiner de futurs petits officiers du renseignement aux cheveux verts. » Elle le dévisagea de nouveau. « C’est un caractère dominant, ces cheveux verts, vous savez ? Les ancêtres du lieutenant Jamenson y ont veillé, et je suis bien certaine qu’elle le sait. Mais ça n’a pas eu l’air d’effrayer Iger.

— Content que vous ne soyez pas originaire d’Eire, déclara Geary. Cela étant, nous n’avons pas de grandes chances de nous reproduire. »

Une mise en garde pétillait cette fois dans le regard de Tanya. « Oh, amiral ! Sur cette passerelle, on reste professionnel jusqu’au bout, d’accord ?

— D’accord. » Il se redressa. Ils avaient progressé d’une heure-lumière vers l’extérieur du système, en s’écartant délibérément du portail pour éviter d’inciter les vaisseaux obscurs à le débloquer avant même d’avoir achevé la flotte de Geary, afin de quitter Unité Suppléante pour enclencher l’option Armaggedon. L’installation gouvernementale se trouvait à présent à six heures de transit derrière eux. « Les vaisseaux obscurs sont à deux minutes-lumière, lancés à notre poursuite. Je devrais aller me reposer pendant que je le peux encore.

— En effet, amiral. Vous devriez. » Elle lui sourit. « Faites de beaux rêves. »

Geary avait craint que ses appréhensions quant à la suite de la bataille et la tristesse que lui inspiraient les dernières pertes de la flotte ne lui interdisent de trouver le sommeil, mais il était sans doute plus exténué qu’il ne l’avait cru. Il sombra presque aussitôt dans un sommeil profond.

Il fut de nouveau brutalement réveillé par l’alarme la plus sonore et pressante que pouvait émettre son panneau de com. Vaseux, il appuya sur la touche ACCEPTER. « Quoi ?

— Cette femme est toujours à bord de l’installation ! » glapit Desjani.

Il dut reprendre ses esprits avant de comprendre de quoi elle parlait. « Rione ? Elle est… Elle est sur le Mistral.

— Elle envoie des messages depuis la station, amiral.

— Quels messages ? » Il avait encore un peu de mal à saisir ce qu’on lui disait.

« Je ne sais pas. Vous seul pouvez les ouvrir.

— Transférez-les à ma cabine et visionnez-les en même temps que moi », ordonna Geary. Un très mauvais pressentiment commençait à se substituer à sa désorientation antérieure.

Il gifla la touche virtuelle commandant l’ouverture du message, attendit impatiemment que le système eût vérifié son identité – affaire de quelques secondes – puis vit l’image de Victoria Rione lui apparaître. Debout dans le centre de commandement que Geary avait aperçu un peu plus tôt, elle se trouvait indubitablement à bord de l’installation gouvernementale. Il y régnait une atmosphère d’abandon précipité, de départ hâtif, à l’exception bien sûr de Rione elle-même et, à l’arrière-plan, d’un homme allongé dans un fauteuil entièrement incliné. Il avait l’air de dormir ; sa poitrine se soulevait et retombait.

Les traits de Rione étaient encore plus creusés, la peau de son visage tirée sur ses os, et les yeux qui fixaient Geary trahissaient à la fois son effroi et sa terrible détermination. « Amiral Geary, je dois d’abord vous dire que vos gens ne sont en rien responsables de ma “désertion”. Vous ne devez pas leur en tenir rigueur. Le même type de logiciel qui peut faire accroire aux systèmes de la flotte que ma présence est autorisée à bord peut aussi leur donner l’impression que je suis là où je ne suis pas. Ceux du transport d’assaut ont appris à tout son équipage que je me trouvais encore dans ma cabine. »