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— T’as déjà porté ce genre de trucs ?

— Arrête. Il suffit de sortir un peu pour savoir ça.

Elle acheva son résumé sur sa fuite ubuesque par le passe-plat. Erwan avait du mal à se concentrer. La scène lui semblait se dérouler à l’envers. Sa sœur n’expectorait pas la fumée mais l’avalait. Ses paroles ne sortaient pas de sa bouche mais s’enroulaient au fond de sa gorge.

Il se passa la main sur les paupières et chassa l’hallucination. Pour conclure, Gaëlle ricana entre deux bouffées. On se serait cru dans un fumoir de gare. Erwan n’était pas sûre qu’elle réalise à quel point elle avait eu de la chance. Un pur miracle. Le deuxième en vingt-quatre heures.

— Ce type, c’est qui ? demanda-t-elle, soudain sérieuse.

— Il est trop tôt pour…

— C’est après moi qu’il en avait ?

Il hésita à lui révéler la vérité :

— Je pense qu’il s’agit du tueur dont tous les médias parlent.

— Le Tueur aux clous ?

— C’est ça.

— Ça a un rapport avec celui que papa a arrêté en Afrique ?

— C’est le même.

— Il est pas mort ?

— Il est mort mais celui qui frappe aujourd’hui le fait exactement de la même façon. Comme une espèce de… réincarnation. Je suis chargé de l’enquête.

— T’as des pistes ?

— De la merde. L’affaire me file entre les pattes.

— Pourquoi s’en prendre à moi ?

— Il cherche à se venger de papa.

— À cause du premier tueur ?

— Un truc comme ça, oui.

— Et papa, qu’est-ce qu’il en dit ?

— Il pense que le gars n’est qu’un élément d’une vengeance plus large. Un fléau de Dieu… Tu le connais.

Elle sourit en observant l’extrémité incandescente de sa cigarette :

— Il va donc enfin payer pour ses péchés ?

Il l’embrassa sur la joue — elle était brûlante.

— Qu’il paye ou non, j’en ai rien à foutre. Mais je veux pas qu’une innocente comme toi en fasse les frais.

— J’ai jamais été innocente.

Il l’embrassa de nouveau, comme s’il venait de redécouvrir un plaisir oublié, dont il ne pouvait désormais plus se passer.

— Je reviens demain matin.

— Je veux me casser d’ici.

— On va voir ce qu’on peut faire. Pour l’instant, essaie de dormir.

Dans le couloir, son mobile vibra.

— Je viens de parler avec Amarson, l’OPJ du boulevard de l’Hôpital, expliquait Kripo. Ils ont arrêté un mec chelou qui pourrait bien être notre client. Un hasard incroyable : ils revenaient de Sainte-Anne quand ils sont tombés dessus, boulevard Auguste-Blanqui.

— Pourquoi pensent-ils que c’est notre gars ?

— Il porte une combinaison de latex, il est percé de partout et…

— Je suis en bas dans dix secondes. On prend ta bagnole.

114

— Laissez-moi vous présenter le docteur Hervé Balaga, commença le capitaine Amarson.

Avant la confrontation avec le suspect, Amarson, banal flic en flight-jacket, avait voulu les recevoir dans son bureau, en compagnie d’une sorte de punk dégingandé d’une cinquantaine d’années, qui portait des lunettes carrées et un perfecto élimé.

— Compte tenu de… certaines particularités de l’homme interpellé, j’ai fait venir en urgence ce spécialiste du body-art.

Erwan et Kripo se regardèrent : la nuit promettait encore de belles surprises.

— J’ai déjà travaillé avec lui sur une affaire et j’ai pu apprécier ses connaissances dans le domaine, poursuivit l’OPJ. Il a rencontré le suspect et…

— Avant nous ?

— Il ne lui a pas parlé. C’était un simple… examen médical. (Il se tourna vers le punk.) À vous, docteur.

Balaga tenait une feuille griffonnée à la main. Il ajusta ses lunettes et attaqua d’une voix traînarde de rock-critic sur le retour :

— L’homme mesure un mètre quatre-vingt-sept. Il pèse près de cent kilos. Pour moi, c’est un cas d’école.

— Quelle école ?

Balaga s’arrêta et fustigea Erwan du regard : pas d’interruption.

— Body-art. Body-hacking. Transhumanisme. Fetish-SM-art. Ici, la volonté est à la fois de décorer son corps et de le modifier. J’ai compté sur lui trente-sept piercings de toutes tailles, de toutes formes, dont une série de clous plantés en ligne verticale au milieu du front et une crête métallique dans le dos.

— Attendez, coupa encore Erwan. Vous l’avez vu à poil ?

— On l’a placé en garde à vue, répondit Amarson. Ces constatations ont été faites durant la fouille.

Tout ça était parfaitement illégal. Le flic avait attendu son « expert » pour procéder à la fouille au corps. Pourquoi ?

— L’homme porte aussi des implants subdermiques formant des reliefs inhabituels sous les tempes, poursuivit Balaga. J’ai également dénombré une quarantaine de scarifications et des dessins imprimés au fer rouge, selon la technique du « branding ». Il porte des lentilles blanc et rouge et des dents en alliage taillées en pointe. Les lobes de ses oreilles sont déformés par des cylindres de titane : des plugs. Le plus étrange est sa langue fourchue. On appelle ça le « tongue splitting ». Un ornement prisé chez les body-mods. Je ne serais pas étonné qu’il ait aussi une fente le long de la verge, mais le suspect a refusé de se déshabiller complètement.

Le gardé à vue semblait tout droit sorti de la soirée de Lartigues. L’intrus de Sainte-Anne, vraiment ? Gaëlle n’avait vu qu’un athlète moulé dans une combinaison zentaï.

— Des tatouages ?

— Non. Pour une raison évidente.

— Laquelle ?

— Il est noir. Très noir.

Erwan lança un regard de reproche à Amarson — on ne lui avait pas précisé ce fait majeur.

— Quelle nationalité ? demanda-t-il au capitaine.

— Nigériane.

— Vous lui avez fait un alcootest ? Une prise de sang ?

— Juste un alcootest. Nickel. On a rien pu faire d’autre : il a invoqué l’habeas corpus.

— Il est en garde à vue ou non ?

— C’est plus compliqué que ça.

Le flic plaqua sur la table un passeport de couleur rouge portant, gravée en lettres d’or, la mention : « Diplomatic Passport ».

— C’est l’attaché culturel de l’ambassade du Nigeria à Paris. Joseph Irisuanga, quarante-huit ans, domicilié avenue Raymond-Poincaré, dans le 16e arrondissement. Célibataire, en tout cas en France. On a tout vérifié. Rien à lui reprocher. En fait, c’est nous qui sommes hors la loi. Son avocat sera là d’une minute à l’autre : il le fera libérer sur-le-champ.

— Et la levée de l’immunité ?

— Pour quel motif ?

— On a un faisceau d’indices concordants et…

— On a rien du tout et vous le savez. Tout ce qu’on peut faire, c’est l’interroger encore une fois avant que le bavard se radine. Vous vous y collez : après tout, c’est de votre sœur qu’il s’agit. Je vous souhaite bonne chance : il a pas desserré les dents depuis son arrivée.

Erwan se leva :

— J’ai pas assez d’infos : pourquoi vous l’avez arrêté ?

— Il avait l’air complètement stone. Il titubait sur le boulevard, dans sa combinaison en skaï.

— On m’a parlé de latex.

— C’est ce que je voulais dire.

— Vous avez essayé d’en savoir plus ?

— Pas facile à cette heure-ci mais on a réveillé l’agent de liaison du Nigeria à Paris. Il paraissait terrifié : Irisuanga est quelqu’un d’important là-bas.