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— Continue à creuser là-dessus, dit-il à Kripo. Démerde-toi pour savoir s’ils sont vraiment malades et ce qu’ils prennent comme médocs.

— On tape une perquise ?

— Non. On la joue fine.

L’Alsacien grimaça : ça signifiait retourner faire les poubelles du sculpteur et de l’ethnologue, voire fouiller chez eux en douce.

— T’es sûr qu’on a le temps pour ça ?

— J’ai pas l’impression qu’on ait beaucoup d’autres choses à faire.

— On pourrait les mettre sur écoute ? proposa Favini.

— Trop compliqué. Et s’ils ont quelque chose à se reprocher, ils ne le diront pas au téléphone.

— On les surveille ? On pirate leurs ordinateurs ?

— Ni planque ni hacking. On leur met juste un gars aux basques, le plus discrètement possible. Ces types sont sur leurs gardes et d’une intelligence supérieure. Qui s’est occupé d’Irisuanga ?

Tonfa ouvrit son dossier : pages sorties tout droit d’Internet, présentation des récentes expositions du Nigérian, images de ce que l’art contemporain peut produire de plus obscur ou grotesque.

— Tout est clair du côté d’Onyx. D’après ces articles, c’est une galerie en vogue. J’attends vérification de son alibi mais la compagnie aérienne a validé les jours et les heures de vol à Lagos.

La Sardine leva la main :

— Autre chose : tu m’avais demandé de trouver les minutes du procès de Thierry Pharabot, il y a bien un dossier mais il a disparu.

— Comment ça ?

— Pas d’explication. Les gars des archives prétendent qu’il est fréquent de perdre des classeurs entiers.

Il songea à son père. Jadis, on l’appelait le Nettoyeur. Avait-il fait le ménage pour son propre compte ?

— Et au Congo ?

— J’ai contacté le tribunal de grande instance de Lubumbashi. Ils m’ont assuré qu’ils avaient tous les actes et qu’ils allaient nous les envoyer « dans les meilleurs délais ».

— Tu y crois ?

— Pas une seconde.

— Et la Belgique ?

— Notre officier de liaison m’a promis de chercher.

— Il t’a paru fiable ?

— Un poil plus que les Congolais.

Neuf heures du matin et tout ce qu’Erwan avait devant lui, c’étaient des engueulades à encaisser, des justifications à donner, des trous impossibles à combler. Il ne possédait que des hypothèses, des fantasmes et un grand vide dans la case « indices directs et concordants ».

— Et les corps de Sainte-Anne ?

— Les autopsies sont en route mais…

— Levantin ?

— Pas de nouvelles.

— On continue, conclut-il en se levant. Le point à midi.

Les flics se regardèrent : continuer quoi au juste ? Il les salua d’un bref signe de tête et regagna son bureau.

Il se sentait mal. Nausée, faim, étourdissements… En même temps, il n’aurait rien pu avaler. Il ouvrit son petit frigo, attrapa un Coca Zéro et se plongea dans les dossiers médicaux de Lartigues et Redlich. C’était à peu près aussi passionnant que de lire le Vidal.

On frappa à la porte. Levantin apparut, avec ses airs de gai laboureur, auréolé d’une lumière digne de L’Angélus de Millet.

— Tu sais qu’on peut se parler aussi au téléphone ? fit Erwan avec irritation. T’es pas obligé de te déplacer à chaque fois.

Le coordinateur balança un dossier d’analyses sur le bureau :

— L’ADN du sang étranger sur le corps d’Anne Simoni, c’est celui de Thierry Pharabot.

119

De deux choses l’une : soit Pharabot était encore vivant, soit — c’était plus probable — on avait prélevé son sang avant sa mort et on l’avait conservé jusqu’à aujourd’hui. Erwan n’était pas spécialiste de la question mais il devait être possible de congeler de l’hémoglobine sans en altérer la composition.

Cette idée le ramenait à l’hypothèse d’un fanatique qui aurait approché Pharabot à Charcot. Un médecin ? Un infirmier ? Lassay, le patron de l’institut, avait balayé cette possibilité mais qu’en savait-il ? Ou avait-il justement cherché à dissimuler un fait d’importance ?

Autre scénario : un ou plusieurs adorateurs de l’Homme-Clou avaient soudoyé un gardien de l’UMD ou un type des pompes funèbres pour prélever du sang de l’assassin avant sa crémation. Pourquoi pas Lartigues ou un autre des suspects ? Son club de tueurs aurait parfaitement pu vouloir conserver un souvenir de leur mentor. Plus largement, les adorateurs de la villa du Bel-Air auraient pu pousser leur culte jusque-là. « Prenez, et buvez-en tous : car ceci est la coupe de mon sang… »

Face à cette hypothèse, Levantin s’était montré réservé. Selon lui, on ne congèle jamais du sang tel quel : on le fractionne d’abord en globules, plasma, d’autres éléments stables… Ce n’était pas le cas avec l’échantillon découvert. Par ailleurs, toujours selon l’analyste, les globules, pour être conservés, sont mélangés à un cryoprotecteur dont on aurait retrouvé la trace. À moins que le sang n’en ait été ensuite débarrassé, mais ces manipulations impliquaient un véritable laboratoire. Pour Levantin donc, Pharabot était toujours vivant. Erwan n’y croyait pas et l’idée d’un tueur capable de se livrer à des opérations complexes ne lui paraissait pas impossible. Après tout, on savait déjà que le meurtrier avait des connaissances médicales.

Dans tous les cas, il devait enquêter au plus vite à la source du problème.

— Kripo ? fit-il au téléphone. Bonne nouvelle : on retourne en Bretagne.

— Quoi ? Mais…

— J’ai besoin de mon Scribe préféré. Je compte bien arracher des aveux circonstanciés.

— À qui ?

— Je t’expliquerai. Trouve-nous le premier vol pour Brest.

— Erwan…

— Pas de discussion !

— Je discute pas : je voulais te dire que Michel Clemente, le légiste de la Cavale blanche, vient justement de m’appeler.

— Pourquoi il ne m’a pas contacté ?

— Il prétend que tu réponds jamais.

— Qu’est-ce qu’il voulait ?

— Il a pas voulu s’expliquer.

Erwan avait conservé son numéro. D’une pression, il le composa.

— Docteur ? Commandant Morvan, de la BC.

L’autre le salua avec amabilité. Au ton de sa voix, Erwan devina qu’il avait retrouvé son rythme quotidien et sa dignité de légiste de campagne. Le temps des cadavres en pièces détachées était loin.

Peut-être pas si loin que ça :

— Je voulais vous signaler un détail vraiment… étonnant.

— Je vous écoute.

— Je suis en train de regrouper tous les documents afférents au dossier Kaerverec. On doit vous faire parvenir tous les éléments, si j’ai bien compris.

— Eh bien ?

— Parmi eux, j’ai retrouvé une synthèse du dossier médical de Jean-Patrick di Greco. On me l’a envoyé au moment de l’autopsie et…

— Il ne souffrait pas du syndrome de Marfan ?

— Bien sûr que si. Pourquoi cette question ?

— Pour rien. Continuez.

— Il y a une différence importante entre ce dossier et mes constatations lors de son autopsie. Son groupe sanguin n’était plus le même. Sur les documents que j’ai reçus, il était A +. Selon mes analyses, il était O —.

— On peut changer de groupe sanguin ?

— Dans un seul cas seulement.

— Lequel ?

— C’est assez difficile à expliquer par téléphone, je…