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Erwan songea au sang retrouvé derrière l’oreille d’Anne Simoni. Ce n’était peut-être pas l’ADN de Pharabot lui-même mais de quelqu’un qui avait reçu la moelle de l’assassin.

Pas trop vite…

— Une greffe de moelle osseuse, comment ça marche ?

— Je vous l’ai dit : on la pratique surtout pour soigner une leucémie. La moelle du malade produit un sang anémié. On la détruit donc par chimiothérapie ou radiothérapie, puis on en greffe une autre, en général celle d’un parent, qui fabriquera un sang équilibré, générateur de globules rouges.

— Ces implantations s’effectuent toujours au sein d’une même famille ?

— Pas systématiquement. Il peut exister des compatibilités entre des personnes qui n’ont aucun lien de parenté. Dans tous les cas, pour que la greffe prenne, il faut un traitement à la ciclosporine. Le patient doit donc être suivi de près car sa carence d’anticorps l’expose fortement aux autres maladies.

Erwan s’enfonçait dans une forêt obscure mais une lumière brillait, très loin, parmi les feuillages entrelacés.

— C’est une opération compliquée ?

— La technique a beaucoup évolué. Jadis, les transplantations médullaires étaient mécaniques. On prélevait la moelle du donneur avec une grosse seringue puis on l’implantait directement dans le sang du greffé.

— Et maintenant ?

— La culture des cellules a fait des progrès incroyables. On prend désormais des cellules souches sur le donneur puis on les cultive, en temps voulu, afin de les transformer en moelle osseuse.

— Cette opération demande du matériel sophistiqué ?

— Des outils spécialisés, qu’on trouve dans les hôpitaux.

— Concrètement, comment ça se passe ?

— On extrait des cellules souches dans certaines parties du corps, dans le derme par exemple, puis on les congèle à moins cent quatre-vingts degrés jusqu’à ce qu’on en ait besoin. C’est très à la mode actuellement. De fantastiques promesses thérapeutiques se profilent. Aujourd’hui, on envisage sérieusement de conserver le cordon ombilical de chaque enfant.

— Pourquoi le cordon ?

— Il est plein de cellules souches. L’idée est de les placer dans de l’azote liquide et de les cultiver en cas de problème de santé. Une sorte d’assurance pour la vie. L’atout essentiel de ces cellules est qu’elles sont éternelles. Si on les préserve dans le froid, elles ne meurent jamais. On les appelle les « lignées immortelles ».

En entendant ce nom, Erwan sut qu’il avait trouvé la clé de voûte de l’enquête.

Scénario. Quatre hommes vouent un culte malsain à un tueur en série vieillissant. À sa mort, ils se débrouillent pour se procurer ses cellules souches. Ils trouvent un spécialiste qui accepte de les mettre en culture afin d’obtenir de la moelle osseuse qu’ils se font ensuite greffer. Pourquoi ? Tout simplement pour devenir, au sens génétique du terme, l’Homme-Clou.

S’il avait raison, les quatre en question étaient Jean-Patrick di Greco, Ivo Lartigues, Sébastien Redlich, Joseph Irisuanga… Depuis la veille, le mot de « réincarnation » planait sur l’enquête. Il sonnait de plus en plus juste.

Mais Pharabot était un nganga doté de superpouvoirs. Les cellules médullaires ne suffisaient pas. Il fallait aussi sacrifier des fétiches humains pour hériter de sa puissance. Chacun à leur tour, ils avaient donc tué selon son modus operandi.

Telle était la nature du pacte.

Le choix des victimes dans l’entourage de Grégoire Morvan, afin de le faire accuser ou de l’atteindre psychologiquement, relevait de la même logique. Après tout, c’était Pharabot lui-même qui se vengeait à travers eux.

Un fait ne collait pas : si on admettait que di Greco avait tué Wissa Sawiris pour ouvrir le bal, pourquoi avoir contacté Morvan ? Par provocation ? Cet appel était sans doute une déclaration de guerre. Mais pourquoi s’être suicidé ensuite ? Peut-être avait-il soudain éprouvé un remords ou compris qu’Erwan ne le lâcherait pas ? Ou bien la greffe provoquait-elle chez lui des douleurs ou des effets secondaires intolérables ? Dans tous les cas, le mot « Lontano » était un avertissement destiné à son père : Pharabot était de retour.

Erwan remisa tout ça dans un coin de sa tête et revint aux questions pratiques :

— Le prélèvement des cellules est possible sur un cadavre ?

— À condition de l’effectuer au plus tard quelques heures seulement après la mort.

Il regarda ses compagnons, tassés sur leur siège. Ils avaient l’air abasourdis.

— Vous avez parlé de greffes entre parents. Lorsque ce n’est pas le cas, elle est plus risquée, non ?

— Le plus souvent, elle est même vouée à l’échec.

— En cas de rejet, quels sont les signes visibles ?

— Je ne suis pas spécialiste, mais souvent des maladies de peau, je crois.

— Pas de problèmes d’articulations ?

— Non. Jamais entendu parler.

— Mais sous ciclosporine, on pourrait attraper une maladie des os ?

Clemente eut un geste vague. L’éclairage bleu de l’aquarium lui donnait des airs d’acteur de théâtre dans une mise en scène moderniste et crépusculaire.

— Il faudrait que je vérifie. Vous pensez à une pathologie en particulier ?

— Quelque chose qui pourrait clouer le receveur dans une chaise roulante ou le faire boiter.

— Je m’en occupe.

Les visiteurs se levèrent dans un bruissement de plastique.

— J’espère vous avoir aidé, ajouta le légiste.

— Vous ne m’avez pas aidé : vous avez résolu mon enquête. Vous m’avez offert à la fois le mobile, la logique de la série et l’identité des tueurs.

Les gendarmes se regardèrent : le train était passé sans eux.

— Ils sont plusieurs ? se risqua à demander Verny.

— Ils essaient de ne faire qu’un.

122

Le temps n’était plus à la diplomatie. Erwan opta pour un assaut en règle de l’institut Charcot, avec deux fourgons blindés contenant chacun deux escouades de gendarmes. Au bas mot quarante hommes, réunis en un temps record pour un dimanche. À 16 heures, le bataillon était à pied d’œuvre.

Il laissa Le Guen et Archambault gérer les manœuvres : contenir pensionnaires, personnel soignant, gardiens et familles à l’intérieur de l’enceinte en attendant leur audition et bloquer toutes les issues. L’avantage à l’UMD, c’était que tout le monde était déjà bouclé.

Quant à lui, il s’était réservé, avec Kripo, le suspect numéro un : Jean-Louis Lassay, psychiatre en chef, directeur de l’institut. Ils se firent escorter par Verny, garant de l’ordre et de la légitimité sur les terres bretonnes. En réalité, personne n’avait autorité pour une telle intervention mais le déploiement des uniformes faisait office de passe-droit.

Lassay, toujours vêtu comme un collégien anglais, vint à leur rencontre d’un pas martial alors que les forces de police investissaient le campus.

— Qu’est-ce que c’est que cette intrusion ? protesta-t-il le menton levé.

Une minute plus tard, ils étaient dans la salle de réunion comme trois jours auparavant. D’une poussée, Erwan fit tomber Lassay sur un siège et dégaina d’un même geste. Il n’était pas sûr de la tonalité qu’il avait adoptée mais il continua de plus belle, resserrant la vis d’un tour :

— On doit parler, toi et moi.

— Vous me tutoyez maintenant ? Mais qu’est-ce que…

— Ta gueule. Parle-moi de la mort de Pharabot.