Выбрать главу

— Mais je vous ai déjà tout dit, je…

— Je veux la date, l’heure, les circonstances exactes.

Lassay était toujours le beau gaillard argenté qui les avait reçus mais il semblait avoir été irradié. Sa peau était rouge rôti, ses traits gonflés. Il se passa la main sur le visage puis balbutia :

— Je comprends pas… Cette intervention va vous coûter cher, vous…

— Réponds-moi, fit Erwan en rengainant.

Il se sentait con avec son calibre à la main.

— Thierry Pharabot est mort dans la nuit du 23 novembre 2009, commença le psy.

— Où est le certificat de décès ?

— Dans nos archives. Il a été rédigé la nuit même par un médecin de la Cavale blanche.

— Pourquoi pas par toi ?

— C’est la loi. La mort doit être constatée par un médecin extérieur à l’établissement. Le lendemain, un commissaire de Brest est venu confirmer les circonstances de la disparition. On garde tout ici. Je peux vous faire une photocopie.

Erwan interrogea Verny du regard : il ignorait qu’il y avait un commissariat à Brest. Le gendarme l’attesta d’un bref signe de tête.

— On va vérifier de notre côté, fit le lieutenant-colonel.

Pharabot était donc bien mort : aucun risque de duperie de ce côté-là. Les prélèvements avaient-ils été faits avant le décès ? Ou juste après ?

Erwan observait Monsieur Preppy : il l’aurait bien vu pratiquer des expériences psychiatriques inédites mais ces histoires de greffe médullaire relèvent d’un autre registre. De plus, il sentait chez lui un effarement sincère : le médecin ne comprenait rien à ce qui arrivait.

— Ensuite, qu’avez-vous fait du corps ?

— Thierry Pharabot n’avait pas de famille, on… on l’a incinéré.

— Où ?

— Au crématorium de Brest, dans la zone d’activités du Vern. Ses cendres ont été répandues au cimetière de Kaerverec. Encore une fois, tout est dans le dossier.

Nouveau coup d’œil à Verny, nouvel acquiescement. Derrière lui, Kripo ajouta un signe discret. Ça lui revenait maintenant : l’Alsacien s’était déjà rancardé.

Mais une faille était possible entre le décès avéré du tueur et son incinération. Les cellules pouvaient avoir été prélevées avant la crémation.

— Sois précis, reprit-il. Entre la constatation par le médecin puis celle par le commissaire, le corps est donc resté à l’UMD ?

— Oui. Mais pourquoi vos questions ?

— Où a-t-il été conservé ?

— Dans la morgue de notre hôpital.

— Rien de spécial de ce côté ?

— Comme quoi ?

Erwan eut un geste qui balayait toute réponse :

— Qui a ensuite assuré le transport du cadavre ? Vous ou les pompes funèbres ?

— Nous. En ambulance.

— Avez-vous les noms des infirmiers qui s’en sont chargés ?

— On peut vérifier. Mais pourquoi tous ces détails ?

— Tu sais ce qu’est une greffe de moelle osseuse ?

— Je suis médecin.

— Disposez-vous ici du matériel requis pour effectuer une telle opération ?

— Nous sommes un institut psychiatrique !

— Lors de ma première visite, tu as parlé de votre centre de recherche.

— Pour le cerveau ! Rien à voir avec le prélèvement de cellules.

— Certains instruments pourraient être détournés de leur fonction d’origine, non ?

— Je suppose mais… (Lassay fronça les sourcils.) Qu’est-ce que vous insinuez ?

— Une transplantation médullaire peut modifier le groupe sanguin du greffé, et même son ADN. Le corps de l’Homme-Clou, pour certains fanatiques, était une sacrée opportunité.

— Une opportunité de quoi ? Pharabot a passé les deux tiers de sa vie en asile. Qui voudrait de ses cellules ? Vous êtes en plein délire.

Erwan faisait les cent pas — le flic méchant —, Verny gardait la porte, Kripo prenait des notes.

— Les lignées immortelles, ça te dit quelque chose ?

— Un truc à la mode. Congeler des cellules souches pour en développer la culture en cas de besoin.

— Vous avez un endroit réfrigéré ici qui permettrait d’en conserver ?

Lassay ne semblait plus éprouver ni peur ni colère, il était simplement consterné par les propos d’Erwan.

— En quelle langue je dois vous le dire ? Nous sommes une unité pour malades difficiles. Qu’est-ce que vous croyez ? Qu’on pratique ici des expériences à la Frankenstein ? On a déjà assez de mal à les tenir tranquilles. (Il se leva et toisa Erwan d’un air méprisant.) J’en ai assez maintenant. (Il lança un regard vers la fenêtre.) Cette intrusion, ces types armés, c’est ridicule. Vous gaspillez votre temps et le mien.

— C’est tout ce que t’as à me dire ?

— Allez vous faire foutre.

Erwan lui balança une gifle à toute force. Lassay dut s’accrocher à la table pour rester debout. Il serra les poings et avança. Il était plus grand qu’Erwan de quelques centimètres et tout aussi costaud.

Il existe deux catégories d’hommes : ceux qui craignent la violence physique et les autres. Psychiatre ou pas, Lassay était prêt à lui casser la gueule.

Verny s’interposa en dégainant :

— Arrêtez ça tout de suite. (En tendant le bras, il maintint Erwan à distance tout en s’adressant au médecin.) Veuillez excuser le commandant Morvan pour ce geste… inqualifiable.

Cette simple phrase désamorça la tension : le psychiatre parut revenir à la réalité — le monde policé et ses règles de civilité. Erwan recula en bougonnant.

La porte s’ouvrit d’un coup : Le Guen.

— Un infirmier a disparu, prévint-il. Il paraît qu’il s’est tiré à notre arrivée.

— Comment s’appelle-t-il ? demanda Lassay.

— José Fernandez.

— Plug ? fit Lassay en écho. C’est un de nos plus anciens infirmiers.

Les surnoms : toujours révélateurs. Celui-là rappelait à Erwan sa rencontre avec le médecin punk le matin même.

— Pourquoi l’appelez-vous comme ça ?

— À cause des cylindres en silicone qu’il porte dans les lobes d’oreilles.

— C’est un adepte du body-art ?

Le psychiatre laissa échapper un petit rire, tout en se frottant la joue :

— Il est couvert de tatouages et de piercings.

Erwan passa devant Le Guen et sortit dans le couloir. Verny et Kripo coururent à sa suite. Le gendarme avait toujours son arme à la main.

— Rengainez ça, ordonna Erwan, vous allez vous tirer une balle dans le pied.

— Il est pas chargé, fit l’autre, livide.

— On retrouve l’infirmier. Priorité absolue.

123

Plug n’alla pas loin.

Il fut arrêté aux environs de Porspoder, à moins de cent kilomètres de Charcot, vers 17 heures. Sans doute avait-il le projet de s’enfuir par bateau ou une connerie de ce genre. Une heure plus tard, il était dans les murs d’une caserne centrale de gendarmerie dont Erwan n’avait pas compris le nom.

Ils avaient suivi le mouvement. Ils déboulèrent dans un nouveau bureau nu et froid, doté de plafonniers en sous-régime (toujours le syndrome breton : en plein après-midi, la nuit était déjà là).

José Fernandez ressemblait à Joseph Irisuanga, en mode mineur. Entièrement tondu, à l’exception d’une crête noire qui lui sciait le crâne comme un coup de hache, il présentait quelques ornements bien placés : piercings, rivets et boucles en tous genres. Le gaillard, taillé comme un deuxième ligne de rugby, soufflait à la manière d’un buffle, menotté à la tuyauterie. Lui-même ressemblait à un radiateur saturé de pression brûlante.