Выбрать главу

— Gaëlle Morvan, ça te dit quelque chose ?

— Non.

Une baffe.

— Réfléchis bien : elle a participé au casting de Qui perd gagne.

— J’en vois tellement, fit le gars en se frottant la joue.

Une deuxième baffe.

— Une jeune femme très mignonne, très blonde.

Un ricanement échappa à Kevin : il vivait dans un monde de femmes « très mignonnes, très blondes ». Erwan l’empoigna et le plaqua contre le mur. De l’autre main, il attrapa son portable et trouva une photo de Gaëlle sans maquillage, en marinière, à Bréhat. On lui aurait donné à peine seize ans.

— C’est ma sœur, enculé, hurla-t-il en braquant l’image. Tu lui as parlé ou non ?

L’autre se dégagea de son emprise et bomba son pauvre torse :

— C’est quoi, le plan, là ? Le grand frère flic qui vient jouer les gros bras ? D’où tu sors ? De Plus belle la vie  ? Tu…

Il ne put achever sa phrase : Erwan venait de lui balancer un crochet dans le ventre qui le fit tomber à genoux. Puis il le saisit par le cou et lui écrasa la nuque contre le mur.

— Tu vas parler, pine d’huître ? Sinon je te jure que je vais m’occuper de toi. D’abord, te défoncer la gueule. Ensuite, te traîner au dépôt où tu passeras une nuit que t’es pas près d’oublier.

Kevin tremblait par à-coups. De jeunes actrices qui passaient par là s’enfuirent en courant.

— Je… je me souviens, ouais…

Pour l’encourager, Erwan lui frappa de nouveau le crâne contre la brique. Un carton mal scotché — « Casting » — tomba à terre.

— Tu te souviens de quoi ?

— On… on a fumé une clope. On a parlé.

— De quoi ?

— Elle voulait des contacts… Elle…

— Tu lui en as donné ?

— Un seul.

Sans s’en rendre compte, Erwan serrait ses doigts sur le cou du macaque, dont les yeux étaient voilés de larmes. Il le libéra et recula, crachant par terre de rage.

— Payol…, souffla Kevin, Michel Payol.

— C’est qui ?

— Un attaché de presse. Un mec branché, qui connaît plein de gens.

Coup de pied dans le ventre.

— UN MAQUEREAU ?

L’autre se courba en deux et vomit. Erwan attendit qu’il reprenne son souffle. Il était coutumier de cette violence. Pas si éloignée de celle de di Greco et de ses soldats.

— On utilise jamais ce genre de mots mais…

— Il gère des escorts ?

— Il fait le lien entre les filles et des mecs qu’ont de la thune… Souvent des étrangers, des diplomates, des financiers…

— Son adresse.

— J’peux pas faire ça… Je vais être grillé, je…

Erwan l’empoigna par les cheveux et le redressa :

— Vaut mieux être grillé qu’emballé sous vide.

— Pour… pourquoi vous dites ça ?

Il dégaina et lui planta son calibre sous le nez :

— Parce que si je te descends, c’est moi qui mènerai l’enquête, connard. Je suis de la Crime, capisci  ? Gaëlle, c’était pas le bon choix… L’adresse perso du type, nom de dieu, et je me casse.

— 18, avenue d’Eylau.

— Pour lui avoir envoyé Gaëlle, tu vas toucher ?

— Je toucherai si elle… enfin, s’il se passe quelque chose…

L’attrapant par les cheveux, Erwan le retourna puis l’envoya à toute force contre le mur. Le nez du gars se brisa net.

— Il se passe déjà ça.

Il repartit vers sa voiture, croisant deux vigiles qui couraient vers lui, affolés. Il braqua sa carte tricolore et les oublia dans l’instant.

62

Changement de décor : avenue d’Eylau, courte et royale. Compression d’extrêmes richesses jouxtant la place du Trocadéro, s’ouvrant sur la tour Eiffel, de l’autre côté du fleuve.

L’inquiétude avait cédé la place à l’angoisse, l’angoisse à la panique. Dans quoi s’était fourrée sa frangine ? Il se gara devant la sortie du parking de l’immeuble, en cognant le trottoir.

Concierge. Ascenseur. Quatrième étage. Une seule porte sur le palier. Il avait l’impression de sonner chez ses parents.

— Vous êtes qui ?

Un grand échalas, la soixantaine, lunettes d’énarque et lèvres épaisses, se tenait devant lui dans la tenue casual de l’homme à responsabilités : pull en V couleur grand cru, chemise sans cravate, pantalon de velours côtelé. Il ne manquait que le cigare.

— Je suis une mauvaise nouvelle. Où est Gaëlle Morvan ?

— Qui ?

Erwan le poussa violemment et pénétra dans le vestibule.

— Je te donne une deuxième chance, Payol. Gaëlle Morvan. Jeune, jolie, arrogante. Elle a dû te contacter en milieu de semaine.

L’homme grimaça — il avait des dents à faire peur.

— C’est insensé, s’agita-t-il dans son pull Ralph Lauren. Vous débarquez chez moi et…

Il ne put achever sa phrase. Erwan venait de sortir son badge. Il vit Payol déglutir — sa glotte monta et descendit comme la boule d’un bilboquet.

— Je…

Le maquereau porta la main à son col et en resserra les deux côtés comme s’il s’agissait de sphincters, puis il coula un coup d’œil vers la salle à manger.

— Allons dans mon bureau, fit-il à voix basse.

— Qu’est-ce qui se passe ici ?

Une femme d’une cinquantaine d’années, chignon tulipe, cardigan beige, venait d’apparaître sur le pas de la double porte : le dîner familial prenait un tour particulier.

— Tout va bien, ma chérie.

Elle marcha d’un air furieux vers Erwan. Avec les années, il avait appris à se méfier des épouses : souvent les plus dures au mal au moment des perquises ou des arrestations. Il brandit de nouveau son porte-carte de la main gauche :

— Allumez la télé et restez dans le salon jusqu’à ce qu’on vous sonne.

Elle le toisa comme si elle allait lui cracher dessus. Deux adolescents apparurent aux côtés de madame, un garçon et une fille : ils paraissaient fascinés. Les bras croisés, leur mère hésitait encore. Le silence était plus bandé qu’un arc.

Payol désamorça la situation :

— Vas-y, ma chérie. Rien de grave. Je vous rejoins.

Serrant contre elle sa progéniture, elle recula avec méfiance, fusillant du regard l’intrus. Enfin, ils disparurent.

— Ton bureau.

Payol acquiesça et se dirigea vers le couloir. Erwan lui emboîta le pas. Il avait la main posée sur son arme glissée dans son holster. Il se sentait exclu. Il se sentait paria. Il se sentait fort.

Bureau sans surprise : meubles cossus, bibliothèque surchargée de livres anciens, tapis oriental. Une lampe de table diffusait une lumière parcimonieuse lustrant le décor comme de la cire.

— Assieds-toi.

Mentalement, il donna une chance au fils de pute : la pression des flics avant la pression des poings. Même s’il avait des relations, le proxo n’avait aucun intérêt à voir les Mœurs débarquer chez lui. Erwan n’avait même pas vérifié son casier ni passé un coup de fil aux collègues de la BRP : erreur de débutant.

Payol n’osa pas s’asseoir derrière son bureau. Il attrapa une chaise au dos tapissé de velours et s’y laissa tomber, rentrant les épaules, plongeant ses longues mains entre ses cuisses serrées. Il dégageait quelque chose de féminin.

Erwan brandit à nouveau le portrait de sa sœur sur son mobile :

— Gaëlle Morvan : je t’écoute.

— Elle ? On s’est vus hier soir.

— Où ?

— Bar du Plaza, en fin de journée.