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— Et alors ?

— Fitoussi lui a dit de nous rejoindre.

Impossible de l’écarter plus longtemps. Erwan croisait le jeune flic de temps en temps dans les couloirs : une bleusaille à l’air timide et déprimé.

— Tu le connais ?

— Comme ça.

— Qu’est-ce que t’en penses ?

— Il fait pas de bruit mais c’est un bosseur.

— Qu’il vienne au brief. Il t’aidera pour le porte-à-porte ou on le foutra aux fadettes.

Il raccrocha et appela dans la foulée la Sardine. Erwan fut étonné par ses résultats — il avait déjà interrogé les collègues de bureau d’Anne Simoni, identifié ses potes actuels et ceux de son passé violent. Il avait aussi dégoté son dossier aux archives.

— Commence par le background.

— Née en 1986, à Montélimar, de père inconnu et de mère québécoise, qui se tire après la naissance. Foyers, centres, familles d’accueil. Très vite, elle se met à déconner. Vols, voies de fait, drogue. En même temps, toujours de bons résultats en classe. Bac littéraire. Après, on la retrouve au TGI. Première condamnation, à sa majorité, de quatre mois avec sursis.

— Motif ?

— Baston dans une manif altermondialiste. Deux ans de silence. Ni boulot ni rien. Puis elle se fait accrocher une ou deux fois pour racolage et possession d’héro. Du toxipute standard. En 2006, c’est le casse qui l’envoie direct au trou pour sept ans.

— T’as des détails ?

— Un p’tit braquage qu’a mal tourné. Ses complices ont défouraillé. Le vigile a été blessé. Handicapé à vie.

— Tu as retrouvé les gars ?

— Des mecs de Vitry. Mi-manouches, mi-punks à chien. Cent pour cent tocards.

— Ils sont sortis de taule ?

— D’après mes renseignements, seulement deux, mais…

— T’as vérifié leurs alibis ?

— Pas encore. Y en a un qu’est sur la Côte d’Azur et l’autre, je l’ai pas encore logé. Mais j’ai vérifié avec Kripo les fadettes de la môme : a priori, elle avait plus aucun contact avec eux.

— Et maintenant ?

— Une vie rangée. Des collègues de travail, des sorties, un mec.

— Un type de la préfecture ?

— Pas du tout, malheureux ! rit la Sardine. Un DJ résidant dans plusieurs boîtes à la mode.

— Tu l’as contacté ?

— Je lui ai même annoncé la nouvelle en personne.

— Ton avis ?

— Il est clean. J’l’ai laissé en larmes dans le backstage du Rex. Peu de chances qu’il mixe cette nuit.

Erwan s’interrogeait sur la métamorphose de la jeune fille. De braqueuse à fonctionnaire, la route semblait longue.

— Parle-moi de son parcours après la taule.

La Sardine hésita. Erwan l’aida un peu :

— Je suis au courant pour mon père.

Il entendit le Marseillais souffler de soulagement avant de répondre :

— Il a fortement appuyé sa libération anticipée en 2009. Puis il l’a soutenue dans son retour à la vie normale : appart, job… Il s’est même porté caution pour son loyer.

Le Vieux en bon Samaritain, c’était dur à avaler.

— Elle a tout de suite bossé à la préfecture ?

— Non. Elle s’est d’abord farci une année à la mairie de Nanterre.

— Mon père l’avait pistonnée ?

— J’ai pas pu encore les joindre mais…

— Mais quoi ?

— On va devoir entendre ton père.

— Je m’en charge. T’as contacté son officier de surveillance ?

— Ouais. Pour lui, la petite avait vraiment repris le droit chemin.

— Elle s’est plus jamais fait accrocher ?

— Jamais.

— Pas de passes ?

— J’étais pas sous le lit mais a priori, nada.

— Et la défonce ?

— Idem. Elle touchait plus à rien.

L’expérience du crime n’incitait pas à l’optimisme côté réinsertion. Comme disait son père : « À quoi bon arroser les dunes ? » Mais il était le premier à sortir l’arrosoir.

— Et ses collègues, qu’est-ce qu’ils t’ont dit ?

— Rien de spécial. Une fille sympa.

— Elle avait changé ces derniers temps ?

— Ils ont rien remarqué.

— Elle avait l’air d’avoir peur ?

— Non.

Tout ça ramenait à la thèse d’un piège ou d’un rapt : on avait choisi Anne Simoni soit à cause de sa relation privilégiée avec Morvan, soit pour une autre raison, liée à son physique ou son passé.

— Ses réseaux sociaux ?

— J’ai récupéré son ordi dans son appartement. J’vais faire une copie du disque dur. Après ça, je file la bécane aux experts. J’ai aussi son agenda mais pour l’instant, tout le monde dort.

— Chez elle, c’est comment ?

— À l’image du reste : lisse et sans histoire.

Anne Simoni commençait à être trop parfaite pour être honnête.

— La perquise, c’est bon ?

— On y va demain matin, avec Audrey.

— D’ici là, essaie de dormir un peu. Briefing à la boîte à 9 heures.

Erwan raccrocha. Il tendit l’oreille : l’eau ne crépitait plus dans la salle de bains mais des cliquetis laissaient supposer que Gaëlle peaufinait sa toilette.

Le meilleur pour la fin : Kripo.

Le Troubadour avait déjà récupéré, via le Net, toutes les images vidéo susceptibles de retracer le dernier trajet d’Anne Simoni.

— On a des images d’elle jusqu’au pont d’Arcole. Après ça, plus rien.

— Comment ça « plus rien » ?

— Je sais pas. On la voit s’engager mais jamais atteindre la rive droite. Comme si elle avait disparu en plein milieu. En tout cas, elle a jamais pris le métro à Hôtel-de-Ville.

Idée cinglée : Anne Simoni était descendue sur la berge et le tueur l’avait embarquée sur son Zodiac.

— Les fadettes ?

— On remonte chaque contact. Pour l’instant, rien de folichon.

— Et côté archives ? Des tueurs qui auraient suivi le même mode opératoire ?

— Aucune trace d’un tueur à clous. Quand j’ai intégré les différents mots clés, l’ordinateur central m’a donné qu’un seul mot : Leroy-Merlin.

— C’est pas le moment de déconner.

— Tout ce que j’ai glané, c’est des affaires de violences domestiques avec usage de marteau et tournevis.

— Où t’es, là ?

— Chez moi. Je rédige les premiers PV.

— Essaie de voir ce que tu peux sortir autour de « no limit ».

— On en est encore là ? fit Kripo en songeant au programme de di Greco.

Erwan éluda la question et poursuivit :

— Vérifie s’il y a pas des réunions spéciales qui portent ce nom, à Paris ou ailleurs.

— SM, tu veux dire ?

Erwan eut une vision des corps meurtris de cicatrices des pilotes de la K76. Le no limit n’était pas toujours une mascarade.

— Cherche sur tous les fronts. Au taf à 9 heures demain matin.

Il raccrocha et se rendit compte que la salle de bains était silencieuse.

La peste blonde n’allait pas tarder à apparaître.

67

— T’es content de toi ?

Il se retourna et découvrit Gaëlle enroulée dans une serviette de bain blanche. Elle semblait s’être ébouillantée avec sa douche. Ses bras et ses épaules portaient des marbrures écarlates, son visage lançait des éclairs rouges dans toute la pièce.

L’eau brûlante, mais aussi la colère.

— Super content, répondit Erwan sur le mode ironique. Tu disparais deux jours, les parents se font un sang d’encre, je dois laisser tomber le boulot pour te chercher et je te retrouve couverte d’abats et de merde, entourée de notables qui se branlent déguisés en Zorro. Que demander de plus ?