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— Pour activer son fétiche, le nganga lui crache dessus, l’arrose de vin de palme… Pharabot était allé plus loin : il faisait couler son propre sang sur le crâne et les épaules de la victime.

— Ça signifie que…

— Les femmes portaient sa signature ADN, oui. Mais à l’époque, ça me faisait plutôt une belle jambe.

— Tu penses que notre meurtrier fait la même chose ?

— S’il veut suivre avec précision le même rituel, oui.

— Il laisserait son ADN sur le corps ?

— S’il est aussi fou que son modèle, il n’a pas le choix. Il doit se protéger des esprits.

— Je croyais qu’il se vengeait de toi.

— L’un n’empêche pas l’autre.

— Qui est au courant de ce détail ?

— Personne. Pharabot me l’a avoué des années plus tard, au moment du procès. (Morvan éclata d’un rire sinistre et lui donna une bourrade dans l’épaule.) T’as de quoi gamberger, là…

— Tu reviens quand ?

— Si tout se passe bien, demain matin.

— Et si tout se passe mal ?

— Alors, ça sera dans les journaux.

Erwan ne releva pas la boutade — il espérait que c’en était une.

Son père ouvrit la portière mais s’arrêta :

— J’allais oublier.

Il lui tendit une enveloppe, format courrier.

— C’est quoi ?

— La liste des michetons de Gaëlle.

— Tu vas pas recommencer !

— C’est pour que ça recommence pas que tu vas aller les voir. Fais-leur passer le goût de ta sœur. Je veux plus de problèmes de ce côté-là.

73

Nervosité extrême dans la salle.

Audrey se tenait tordue sur sa chaise, bloc en main, toujours habillée comme si son idée de la séduction se résumait à donner son corps à la science. Tonfa avait l’air d’un catcheur qui a oublié sa cape. La Sardine la jouait sportive, survêtement noir aux couleurs d’un club de foot anglais. Quant à Kripo, il apportait comme d’habitude sa touche bohème : veste en velours carmin, gilet de soie gris, catogan qui lui donnait l’allure d’un bandit de grand chemin.

Un intrus s’était glissé dans les rangs : un jeune type en chemise blanche et costume noir mal coupé, portant en bandoulière un cartable en toile. Il ressemblait aux jeunes cadres qu’on croise le matin à Manhattan.

Présentations : le nouveau, dont le visage lui disait quelque chose, était Jacques Sergent. Erwan lui proposa de s’asseoir dans un coin. Sous-entendu : « Pas un mot. »

— J’ai du nouveau sur les quais, attaqua Audrey.

— Côté terre ?

— Côté Seine : la Fluve a recueilli le témoignage d’un marinier qui a vu un Zodiac amarré quai des Grands-Augustins aux environs de quatre heures du matin.

Le mot « Zodiac » lui rappela Kaerverec. Une idée absurde lui traversa l’esprit : le tueur était venu de Bretagne à bord de son embarcation.

— On a l’heure exacte ?

— Non. Le mec a juste remarqué qu’il était amarré dans la direction de Bercy.

— Une immat’ ?

— Non. Sa péniche voguait dans l’autre sens.

— Quel modèle ?

— Un des plus gros du marché. Un truc qu’utilisent les commandos de marine. Ils appellent ça un ETRACO.

— Je connais.

— Je me suis déjà renseignée : y en a des centaines en circulation.

— Tu prends des gars d’autres groupes et vous vous fadez la liste.

— J’en étais sûre…

Erwan se tourna vers Tonfa :

— L’autopsie ?

— Riboise a toujours pas fini. Il est en train d’ouvrir la bête.

Le flic avait donc quitté son poste de veille pour assister à la réunion — totalement illégal.

— Pour l’instant, qu’est-ce qu’on a ?

Le colosse s’empara de son petit carnet :

— Soixante-quatorze clous, vingt-deux morceaux de verre — miroir, tessons de bouteille, débris de vitre… — et d’autres fragments de métal divers et variés.

— On m’a parlé de fibres, c’est quoi ?

— A priori, du crin de cheval ou du raphia. L’IJ précisera.

— Selon Riboise, combien de temps ont pris ces mutilations ?

— Ça a pu aller vite, avec un pistolet à clous.

L’utilisation d’un tel engin ne cadrait pas avec le caractère sacré du sacrifice. En même temps, Erwan imaginait la chronologie des faits : Anne enlevée vers 18 heures, dépose du corps à 4 heures. Ça laissait une dizaine d’heures à l’assassin pour emporter sa victime dans un lieu sûr, la torturer, la mutiler puis la ramener quasiment là où il l’avait cueillie.

— T’as fourgué les scellés à l’IJ ?

— J’ai fait une deuxième livraison, ouais.

— Qui dirige le groupe ?

— Cyril Levantin.

Le meilleur du labo : une bonne nouvelle.

— Toujours rien, côté ongles et cheveux ?

— On en saura plus en fin de matinée : Riboise a les mains dans le moteur.

Erwan se tourna vers la Sardine :

— Anne Simoni, ses réseaux sociaux ?

— Pour l’instant, que du standard. Mais y a un dossier verrouillé dans son ordi. J’ai demandé de l’aide aux nerds de l’étage.

Encore une fois, il songea à Kaerverec. Les deux enquêtes s’enchaînaient trop vite : la seconde était hantée par la première.

— C’est tout ?

— On s’est parlé à trois heures du mat.

— Creuse du côté d’éventuelles activités politiques.

— Comme quoi ?

— Altermondialisme. Anarchisme. Ce genre de conneries.

— Je crois qu’elle avait raccroché.

— Gratte tout de même. Vois aussi du côté sexe.

— Pour l’instant, son disque dur est kasher, à part le dossier inaccessible. Tu penses à un truc en particulier ?

— Le SM.

Un piano mécanique retentit dans la salle. La musique d’un vieux film de gangsters, Borsalino, avec Alain Delon et Jean-Paul Belmondo. La Sardine se mit à palper fébrilement ses poches pour trouver son portable puis il bondit vers la porte en marmonnant des paroles sucrées.

— Kripo, les fadettes ?

Le Luthiste parut mal à l’aise :

— Elle a appelé plusieurs fois la même personne le dernier jour…

— Quel numéro ?

— Il était protégé. On a mis la nuit pour…

— Quel numéro ?

— Celui de ton père. Son portable perso.

— On sait qu’ils se connaissaient.

— Ça n’explique pas pourquoi elle l’a appelé six fois en quelques heures.

— Je lui demanderai moi-même.

Il réalisa qu’il avait complètement oublié de l’interroger, en voiture, sur Anne Simoni.

— Les images vidéo ?

— Rien de neuf. La fille s’est volatilisée sur le pont d’Arcole. On fait un appel à témoins.

— C’est tout ?

— C’est tout.

Erwan frappa dans ses mains, à la fois pour balayer son malaise et stimuler les troupes qui lui paraissaient, malgré leur bonne volonté, en sous-régime.

— Audrey, tu tapes la perquise chez la victime ce matin. Vas-y avec Favini : il a déjà fait l’état des lieux.

— Pas de problème.

— Tonfa, tu retournes à l’IML pour la fin de l’autopsie.

— Et moi ?

Les regards se tournèrent vers la voix. Jacques Sergent avait la main levée. Comme à l’école. La petite trentaine, très brun, des traits ordinaires hormis un nez busqué et proéminent — modèle toucan —, un front déjà dégarni.