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Loïc toucha le fond. Une agonie secouée par des périodes de craving, une faim compulsive de drogue, d’alcool, de médocs, où il prenait n’importe quoi. Un jour, il rencontre un frère de came dans le même état que lui. L’autre ne cesse de répéter : « J’ai la solution. » Il l’emmène chez lui, en marmonnant toujours : « J’ai la solution. » Dans le grand appartement familial, près du Trocadéro, Loïc découvre la solution : le père du tox, qui refuse de lui donner le moindre sou. Le gars le supplie, le menace. Finalement, il va chercher un marteau et lui défonce le crâne. Il lui fait les poches puis brise les tiroirs d’un secrétaire pour y chercher d’autres liasses.

Grelottant, perclus de crampes, Loïc assiste à la scène sans bouger. Il y a du sang partout, de la cervelle sur le parquet, des esquilles d’os sur les murs. L’assassin file, Loïc se réfugie dans la chambre de la petite sœur (on est en période de vacances scolaires). Enfin, l’autre revient avec les doses. Ils se font chacun un shoot, parmi les poupées Barbie et les poussettes, et s’endorment sur la moquette rose pâle.

Quand Loïc se réveille, Morvan est à son chevet :

— Tout va bien, mon chéri.

Des hommes en combinaison blanche lissent la moquette, récurent chaque surface, aspirent la moindre particule. D’autres font un fix à son compagnon inanimé. Avant de s’évanouir, Loïc comprend qu’ils sont en train de le tuer.

— Tout va bien…

Le lendemain, Morvan lui propose un deal. Il a effacé son crime, il a passé l’éponge, au sens littéral du terme. Maintenant, son fils doit subir un sevrage et se refaire une santé aux Antilles. Loïc accepte, sans condition.

Pour le coup, c’était le flicard qui était naïf. Morvan associait encore les paradis tropicaux à un mode de vie sain et sobre. Or, dans les ports de plaisance, la défonce circule partout. Skipper, beau garçon, bisexuel, Loïc était le candidat idéal pour un certain type de croisières. Shoots, snifs, partouzes en cabine et pâtes à l’eau de mer…

Il vogua de nouveau vers l’enfer, cette fois hors de portée de son père. Sa dérive le poussa jusqu’aux Andaman, puis jusqu’au golfe du Bengale. Il se retrouva à Calcutta, à bout encore une fois, prêt à n’importe quoi pour renifler le coton d’un vieux shoot.

C’est alors qu’un autre homme l’avait sauvé…

On frappa au carreau. Loïc, perdu dans ses pensées, fit un bond sur son siège. Une gueule de fouine lançait des regards obliques à l’intérieur de l’habitacle. Dreadlocks, teint jaune et vérolé, dents en phase terminale… Avec ses moyens et ses contacts, Loïc aurait pu trouver des dealers beaucoup plus présentables mais il voulait traiter, justement, avec les pires freaks. La drogue est sordide. C’est son essence. Pas question de lui donner un vernis honorable.

Il ouvrit sa fenêtre et tendit un rouleau de trois cents euros en petites coupures. L’autre lui passa un sachet en plastique. Quand Loïc voulut remonter sa vitre, le zombie la bloqua :

— Pas mal, ta caisse.

— Lâche-moi.

— Tu m’emmènes faire un tour, gros ?

Loïc était le pire trouillard que la Terre ait jamais porté. Pourtant, se sentant protégé par son environnement de tôle et d’acier, il la joua agressive :

— Casse-toi.

Le gars l’empoigna par le col et brandit un cutter. Loïc eut l’impression de se répandre comme une diarrhée brûlante sur le cuir de son siège mais son pied gauche débraya. En un réflexe, il enclencha la seconde. Son pied droit appuya sur l’accélérateur. La voiture fit un bond dans un rugissement amplifié par les parois du tunnel, le dealer s’écarta en hurlant.

Sur le boulevard Macdonald, Loïc passa la tête dehors et respira avec soulagement l’air rafraîchi par l’averse. Porte de Clichy. Porte d’Asnières. Il suivit le trafic jusqu’au boulevard Malesherbes et s’arrêta place Wagram, totalement déserte.

Il sortit la came de son sachet de congélation, se concocta une ligne sur le dos de sa main comme le font tous les hommes pressés, puis nota que la poudre sentait l’urine et que sa texture était compacte et sèche. Bons signes…

Inhalation. Une fois. Deux fois. « La vraie vie est nasale, lui avait dit un jour un metteur en scène de porno gonzo dans une boîte de nuit. Tout le reste n’est que rêverie sentimentale. »

Il se sentit mieux. Ses muscles se dénouèrent, sa cage thoracique s’ouvrit. Tout son corps se mit en hyperventilation. L’air conditionné, toujours glacé, lui passait à travers chaque pore de la peau comme un souffle provenant directement du pôle Nord. Il frissonna et s’en reprit une. Le tissu de sa chemise était plaqué sur sa poitrine en sueur. Il la décolla et en secoua le col. Un relent de transpiration mélangée à son parfum et à l’odeur de coke s’en dégagea.

Avec un temps de retard, il s’aperçut qu’il pleurait à chaudes larmes — son nez coulait aussi, évacuant la poudre qu’il venait d’inhaler. Merde. Il s’essuya les paupières, les narines, ses doigts étaient rouges. Il orienta le rétroviseur vers lui et découvrit la trogne d’un clown blafard, badigonné de poudre, de sang et de larmes.

D’un coup de coude (il ne voulait pas saloper son tableau de bord en aluminium), il ouvrit la boîte à gants et attrapa un paquet de kleenex. Il en arracha un et obtura ses narines. Il dut rester ainsi plusieurs minutes, la tête renversée sur le dossier.

Quand le saignement lui parut endigué, il trouva dans ses poches un gel hydro-alcoolique, s’en aspergea les mains et se débarbouilla à l’ancienne, comme lorsqu’il était petit et que sa mère lui nettoyait le visage après avoir craché sur un mouchoir.

Enfin, il se reprit une ligne pour la route et passa la première.

La vraie vie est nasale…

Jusqu’à quand tiendrait-il à ce rythme ?

7

Erwan habitait un deux-pièces au deuxième étage d’un immeuble moderne rue de Bellefond, dans le 9e arrondissement. Le quartier le laissait indifférent. Ni la rue des Martyrs ni la place Saint-Georges ne le séduisaient mais il n’était pas non plus gêné par les artères sinistres autour de la gare Saint-Lazare ou la place Clichy. Tout ce qui lui importait, c’était que sa rue était calme, ses voisins invisibles et qu’un parking était compris dans le loyer.

Soixante-dix mètres carrés organisés façon flic : un salon qui était un bureau, une chambre qui était un dortoir, une cuisine ouverte, à l’américaine, où il mangeait debout. Peu de meubles, rien sur les murs, aucune décoration. Seule obsession : la propreté. Il payait à prix d’or une femme de ménage qui venait deux fois par semaine et lui-même s’y mettait le week-end. Il vivait là depuis cinq ans et avait déjà tout repeint en blanc deux fois. Il aimait l’odeur de peinture qui persistait durant des mois : l’odeur de la nouveauté, de la renaissance.

Quand il tourna sa clé, il avait déjà oublié Sofia et s’interrogeait sur les vraies raisons de sa mission en Bretagne. Pourquoi le Vieux l’envoyait-il là-bas ? Pour torcher une « version acceptable » d’un accident de bizutage, vraiment ? Ou voulait-il l’obliger à respirer l’air du Finistère, leur prétendu pays d’origine ? Ou encore l’éloigner de Paris quelque temps ?

Selon Morvan, les Bretons coopéreraient et l’enquête serait bouclée en deux jours. Tu parles. Les militaires de l’aéronavale seraient sans doute fermés comme des huîtres, les gendarmes le regarderaient comme un rival et le proc ouvrirait son parapluie à la moindre découverte. Pour affronter ce monde hostile, il lui fallait un roi de la paperasse. Philippe Kriesler, alias Kripo, son deuxième de groupe, serait parfait. Il était le procédurier de l’équipe, celui qui rédigeait les constates, les PV d’audition, celui qui se farcissait les réquises, les mémoires de frais, les queues de procédure… Les écritures, ça demande un don et Kripo avait la main verte.