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Plusieurs minutes plus tard, le Chinois sortit craintivement de son arrière-boutique et se précipita sur le sac de riz éventré, appelant sa femme d’une voix aiguë pour qu’elle l’aide à le ramasser. Ce n’est que le dernier grain de riz ramassé qu’il jeta un coup d’œil au cadavre. Il le fouilla et empocha trois billets de cent bahts qui avaient échappé au tueur.

Alors, seulement, il envoya son petit-fils chercher la police à l’autre bout du village.

CHAPITRE II

L’énorme super-DC-8 des Scandinavian Airlines Knud Viking commença à descendre doucement au-dessus de la plaine russe piquetée de lumières. Il était une heure dix du matin. Dans la cabine, il régnait un silence presque absolu. On n’entendait que le chuintement de l’air contre le fuselage, les réacteurs étant au ralenti. Les plafonniers s’allumèrent, il y eut un léger grésillement du haut-parleur et la voix cristalline de l’hôtesse annonça :

— Mesdames et messieurs, nous allons nous poser dans quelques minutes à Tachkent, en Ouzbékistan soviétique, pour une escale technique d’une heure environ. Veuillez attacher vos ceintures et ne plus fumer. La température est de six degrés centigrades.

À l’avant de l’appareil, dans la cabine de première, un passager se redressa un peu brusquement, arraché à sa confortable somnolence et se pencha vers le hublot, vaguement inquiet : c’est toujours désagréable, lorsqu’on est un agent de la Central Intelligence Agency d’apprendre que l’on va se poser sur le territoire soviétique. Un enlèvement est si vite arrivé.

Certes, sur la liste des passagers du vol 971 Copenhague-Bangkok des Scandinavian Airlines, il était seulement fait mention de S.A.S. le prince Malko Linge, Autrichien de noble famille. Un investigateur consciencieux eût à la rigueur découvert que le prince Malko était également chevalier de l’Ordre des Séruphins, comte du Saint-Empire romain, chevalier d’honneur et de dévotion de l’Ordre souverain de Malte-Rien de commun avec une vulgaire et subalterne barbouze ! Comme quoi, il ne faut pas se fier aux apparences. Car S.A.S. le prince Malko était l’un des plus beaux fleurons de la Central Intelligence Agency, Division des plans, autrement dit, actions de cape et d’épée avec un peu plus d’épée que de cape.

Ce qui ne l’empêchait pas d’appartenir authentiquement à une vieille famille autrichienne et de posséder un château historique à Liezen, près de Vienne, à cheval sur la frontière austro-hongroise. Les deux faits étant liés : Malko travaillait à la C.I.A. pour remettre son château en état et s’y retirer un jour. Mais c’était le tonneau des Danaïdes…

Malko s’étira et s’arracha à son mœlleux fauteuil, défroissant son costume d’alpaga sombre. Karin, la ravissante hôtesse des premières se pencha sur lui au passage :

— Attachez votre ceinture, monsieur, s’il vous plaît.

Elle était fine et délicate, comme un saxe. À croquer.

Depuis Copenhague, il lui faisait une cour discrète. Et désespérée. À chaque allusion à leur prochain séjour à Bangkok, Karin montrait l’alliance à sa main droite. C’était la seule fausse note d’un voyage qui eût été merveilleux, s’il ne devait pas se terminer par des activités qui n’avaient pas grand-chose à voir avec le tourisme.

À bord du DC-8 des Scandinavian Airlines, Malko avait même trouvé sa vodka favorite, la « krebskaia ».

Un frémissement secoua l’avion : volets baissés, le DC-8 frôlait maintenant les faubourgs de Tachkent. Malko regarda sa montre : elle marquait 2 h 20, à l’heure de New York. Onze heures de décalage horaire. Il avait quitté New York la veille par le vol 912 et volé toute la nuit, se posant à Copenhague à neuf heures du matin. Heureusement qu’il avait pu dormir un peu dans une chambre de repos mise à la disposition des passagers par les Scandinavian Airlines.

La moitié de la terre d’une seule traite ! En plus, à New York, le blizzard soufflait comme au Grœnland et il devait faire autour de trente-cinq degrés à Bangkok.

C’est David Wise, patron de la Division des plans à la C.I.A., qui avait découvert le nouveau vol des Scandinavian Airlines : New York-Bangkok direct via Tachkent et Copenhague, en survolant toute la Russie, le Transasian Express. À côté de l’ancienne route par le sud, avec les interminables escales à Paris, Rome, Beyrouth, Téhéran, Karachi, Calcutta, c’était le paradis. Sans parler du temps gagné. Et pour Malko, chaque minute qui passait était précieuse.

Il avait beau être chouchouté par Karin qui lui apportait sa vodka favorite, une couverture pour ses pieds, un masque de repos pour pouvoir dormir, il n’arrivait pas à oublier les horribles documents qu’on lui avait montrés à Washington.

Il y eut un choc imperceptible : les cent cinquante tonnes du DC-8 venaient de toucher la piste. Malko eut un petit pincement de cœur en voyant des bombardiers Bison à l’étoile rouge. Le DC-8 stoppa à côté d’un énorme quadriréacteur russe, le nouvel Iliouchine 112. C’était si facile de venir en Russie maintenant.

Il n’était quand même pas tranquille en tendant son passeport au milicien en casquette verte qui confisquait provisoirement toutes les pièces d’identité des passagers. Son regard doré croisa celui du Russe et il sortit.

Une grande fille blonde de l’Aéroflot, avec un chignon blond et un tailleur bleu guidait les passagers vers le petit bâtiment où un grand calicot annonçait en anglais « Bienvenue à Tachkent ». De puissants projecteurs éclairaient des rangées d’appareils de l’Aéroflot.

L’aérogare était vieillotte et laide. Au premier étage, une énorme mémère, sortie tout droit d’un roman de Dostoïevsky servait du thé et il y avait même un free-shop où tous les prix étaient en dollars. À se demander pourquoi la C.I.A. et le K.G.B. existaient encore.

Rassuré, Malko s’offrit deux bouteilles de vodka et une livre de caviar. Puis, il s’assoupit à moitié dans un fauteuil dur comme du bois jusqu’à ce qu’une hôtesse annonçât le départ des Scandinavian Airlines.

En dépit de l’heure tardive, une galerie de badauds regardait curieusement les Occidentaux, derrière la barrière fermant l’aéroport. Des têtes incroyables avec des casquettes à la Zola et d’impressionnantes moustaches de cosaques.

Le DC-8 de la Scandinavian longea les rangées d’Iliouchynes peints en bleu avant de prendre la piste. En face d’eux, c’était l’Himalaya et de l’autre côté l’Asie. À peine l’avion eut-il décollé que la plupart des passagers se rendormirent. Sauf Malko. En dépit du confort de son fauteuil il n’arrivait pas à trouver le repos. Il se pencha au hublot mais on ne voyait plus que les étoiles et une grande tache noire au-dessous du DC-8. Maintenant, il survolait l’Afghanistan. Dans six heures, Malko serait à Bangkok, en Thaïlande. À Bangkok, où son vieil ami, Jim Stanford avait disparu. David Wise avait pratiquement jeté Malko par la peau du cou dans l’avion de la Scandinavian, lui donnant même une voiture de service pour atteindre Kennedy Airport. Luxe incroyable, car la C.I.A. dépensait facilement un demi-million de dollars pour s’acheter des gadgets perfectionnés, mais avoir une voiture avec chauffeur si on n’appartenait pas à l’échelon A…

Brusquement, il fut pris d’une étrange angoisse. Ce n’était pas une affaire comme les autres qui l’amenait à Bangkok. Il y avait quelque chose d’horrible et de déroutant qui dépassait le cadre des histoires du service. Il revoyait David Wise dans son bureau monacal, éclairé seulement d’un petit projecteur, encastré dans le plafond qui projetait son faisceau dans les yeux des visiteurs, lui expliquant l’histoire. Il était situé au dix-septième étage et le vent glacé du blizzard qui soufflait à cent vingt à l’heure faisait trembler les épaisses glaces. Sinistre.