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C’était incroyablement insolite, en pleine jungle. Le seul bâtiment voisin était un petit temple en ruine, abandonné aux singes et aux lianes.

Qui avait pu faire construire cette étrange demeure ? Quelque misogyne ou un Américain nostalgique tentant de recréer l’atmosphère du pays ?

Dans le jardin à l’abandon, les herbes tropicales avaient tout envahi, mais on devinait encore un sentier allant d’un embarcadère vermoulu au perron dont la balustrade croulait sous les lianes.

Tous les volets étaient fermés et il n’y avait aucun signe de vie. Le sampan continua et s’arrêta derrière une jonque pleine d’énormes billes de teck.

— Cette maison semble abandonnée, dit White.

— L’homme est entré là, affirma Thépin. Le conducteur de la jonque ne pouvait pas se tromper. Il s’est fait déposer près du temple, mais, ensuite, il l’a vu traverser la pelouse…

Le colonel White se tourna vers le Thaï avec un regard interrogateur. Le capitaine Kasesan haussa les épaules :

— Je ne sais pas à qui appartient cette maison. Nous pouvons aller la visiter.

— Est-ce bien prudent ? fit Malko.

— Nous sommes quatre, remarqua White. Tous armés. Cet homme était seul. Allons-y.

Son ton signifiait qu’il était certain de ne rien trouver.

Thépin donna l’ordre au conducteur de faire demi-tour et d’aborder au débarcadère. L’autre obéit puis coupa le moteur. L’avant pointu du sampan vint se ficher dans la vase du bord. Malko sauta le premier. Puis s’écarta vivement, s’abritant derrière un gros palétuvier. Cette maison hantée ne lui disait rien qui vaille. À part le bruissement de la rivière et des cris d’oiseaux, tout était silencieux.

Le colonel sauta ensuite, suivi du lieutenant Joyce. Thépin resta dans le sampan.

Le lieutenant fit deux pas sur le sentier, tourna la tête pour voir si White le suivait et tomba déchiré par un pointillé de balles allant de la hanche à l’épaule dont une en plein cœur. Il eut à peine le temps de se dire que quelque chose venait de lui faire affreusement mal, pas même le temps de se dire qu’il était mort avant de l’être.

Derrière un des volets de la maison de bois, une mitrailleuse venait de cracher une longue rafale.

Le colonel White était déjà incrusté dans les hautes herbes du jardin, un colt automatique au poing. Le lieutenant thaï pataugeait dans le khlong, les yeux au niveau de l’eau. Malko, derrière son palétuvier, cria :

— Thépin, éloignez-vous, vite.

Pétrifié, le conducteur fit rugir son moteur. Le sampan fit un bond en arrière.

On pouvait dire ce qu’on voulait du colonel White, mais ce n’était pas un couard. Il releva la tête et, se ramassant, fonça jusqu’à un bas-relief de vieilles pierres, recouvert de lianes. Il courait rapidement en clignant des yeux comme si cela le protégeait des balles. Malko bondit en même temps que lui.

Une seconde rafale claqua. Au-dessus de la tête de Malko, des feuilles tombèrent hachées par les balles. Puis le tir se concentra sur le colonel White. Au jugé, il tira vers la maison. De la poussière tomba d’un des volets.

À son tour, Malko tira. Sans plus de résultat. Son arme était trop légère pour ce genre de combat. Il se retourna : le capitaine Kasesan avait regagné la terre ferme. Etendu sur le dos, il parlait à toute vitesse dans un petit émetteur radio dont il avait déplié l’antenne. Il rampa vers Malko. Dans la bagarre, il avait perdu ses lunettes mais semblait parfaitement calme.

— Nous allons recevoir des renforts, annonça-t-il. Malko serra les dents. Les renforts risquaient d’arriver trop tard. Ceux qui étaient dans la maison auraient dix fois le temps de s’enfuir. Il fallait pénétrer dans la maison.

Rien ne bougeait derrière les volets de bois. Simultanément, les trois hommes bondirent en avant. Cela faillit être fatal à Malko. La mitrailleuse devait être braquée sur l’arbre derrière lequel il se cachait. Une gerbe de balles siffla autour de lui. Il n’eut que le temps de plonger tandis que les projectiles miaulaient rageusement. Mais le colonel et le lieutenant thaï en profitèrent pour faire un bond de vingt mètres.

Ils n’étaient plus qu’à trente mètres de la maison. Le colonel White hurla :

— La fenêtre à gauche du perron !

Le bas du volet avait été arraché. Une fumée bleue s’en éleva en même temps que le crépitement de la mitrailleuse. Mais cette fois Malko et le capitaine Kasesan tirèrent en même temps, permettant au colonel White de s’avancer jusque sous le perron, où il était à l’abri du feu de l’arme automatique.

— Vous allez vous faire tuer ! hurla Malko.

Comme pour lui répondre, la mitrailleuse reprit son bourdonnement mortel.

Pourtant, il se dressa à genoux pour répondre. Il éprouvait un violent désir de savoir ce qui se cachait dans cette maison. Plus fort que la peur de mourir.

À son tour, il fonça, protégé par le tir de White et du Thaï, et parvint au perron. C’était fou : être attaqué en plein Bangkok à la mitrailleuse.

Soudain, des cris et des appels venant du khlong le firent se retourner. Il aperçut une grosse vedette grise de la police fluviale avec plusieurs hommes sur le pont. Les inconnus dans la maison l’avaient vue aussi. La mitrailleuse envoya une rafale qui pointilla la coque, puis se tut brusquement.

De la vedette, deux fusils automatiques répondirent. Puis des pistolets. Un vrai feu d’artifice. Des éclats de bois volaient sur toute la façade de la maison.

Le silence retomba. Les trois hommes attendirent quelques secondes. Puis le colonel White saisit une grosse pierre et l’envoya contre le volet. Ils étaient assez près maintenant pour voir le canon de l’arme.

La mitrailleuse recula de quelques centimètres mais aucune rafale ne partit.

D’un seul mouvement, Malko et White se ruèrent sur le perron. L’Américain défonça la porte d’un coup d’épaule et ils plongèrent tous les deux dans l’obscurité de la maison, sans même penser au risque qu’ils couraient.

Une odeur d’humidité nauséabonde saisit Malko aux narines, mais ce fut tout. Prudemment, il se releva. Dans la pénombre, il pouvait voir la mitrailleuse abandonnée. White se hâta d’ouvrir un des volets. Ils furent tout de suite rejoints par le capitaine Kasesan, pistolet au poing.

Malko se pencha sur la mitrailleuse dont la culasse était encore brûlante et réprima un mouvement de surprise. C’était une Nambu japonaise, arme de la seconde guerre mondiale, de calibre 5,5, à tir très rapide. Une caisse de bandes était ouverte, à côté.

Une poignée de Thaïs armés jusqu’aux dents progressaient prudemment dans le jardin. Le lieutenant Kasesan les interpella et ils se dispersèrent de part et d’autre de la maison. Malko ouvrit deux autres volets et désigna quelque chose à White.

— Regardez !

Dans un coin de la pièce, il y avait deux matelas, avec une pile de boîtes de conserves vides et pleines, un petit réchaud à alcool et plusieurs bouteilles. Malko se baissa soudain et ramassa quelque chose qu’il mit dans sa poche.

— On a vécu ici un certain temps, remarqua Malko. Peut-être Jim. Essayons de le retrouver. Il ne peut pas être loin.

Ils ressortirent en courant de la maison. Derrière, le jardin en friche continuait, se mélangeant à la jungle, séparé en deux par un vague sentier. Les deux hommes s’y engagèrent en courant.

Partout, des Thaïs en civil pataugeaient dans le marécage. Malko déboucha au bout de cinquante mètres sur le bord d’un nouveau khlong. Juste à temps pour voir un sampan à moteur se faufiler à travers la végétation. Avec un seul homme à bord. Ce fut une vision fugitive et la jungle avala l’embarcation.