Выбрать главу

Le colonel et le Thaï l’avaient rejoint.

— Il y en a un qui vient de s’enfuir par là, dit Malko. Le Thaï hocha la tête.

— Nous allons le rattraper sur le khlong Mon. Mais il y a une autre embarcation qui s’est enfuie dans le sens opposé. Mes hommes l’ont aperçu.

Les trois hommes retournèrent à la maison. Les Thaïs avaient découvert, dans une pièce du haut, une caisse pleine. Des Nambu démontées, en parfait état, avec les munitions correspondantes. Ainsi que des vestiges prouvant que plusieurs hommes avaient vécu assez longtemps dans cette maison abandonnée.

Sur les talons du capitaine Kasesan, Malko et le colonel White coururent jusqu’au khlong par lequel ils étaient venus. À côté de la vedette, se trouvait un bateau plus petit, ultra-rapide, avec deux civils abord. Le sampan, avec Thépin, était un peu plus loin. Les trois hommes sautèrent dedans et le bateau démarra immédiatement. Malko eut le temps de faire signe à Thépin de les suivre. Un peu avant le hangar des berges royales, le capitaine Kasesan cria un ordre et le bateau vira à droite, dans un khlong minuscule qui serpentait entre deux rives plates et verdoyantes.

Évitant les troncs d’arbres à demi immergés et les hauts-fonds, ils surgirent soudain dans un grand khlong, un peu en aval d’un petit pont et d’un village. C’était l’heure du marché. Des dizaines de jonques chargées de produits comestibles stationnaient en travers du canal, ainsi que des sampans restaurants, avec de minuscules braseros pour réchauffer leurs beignets de crevettes, leurs grenouilles frites et leurs boules de riz. Un flic maigre était juché sur une grosse barge amarrée à un ponton de bois et réglait la circulation.

Le capitaine Kasesan l’apostropha. Il y eut une courte conversation, ponctuée de gestes impérieux, puis le flic désigna la direction de la rivière.

— Il est passé il y a trois ou quatre minutes, traduisit Kasesan. Il allait vers la Ménam Chao Phraya.

Le sampan de course repartit dans un vrombissement infernal, faisant presque chavirer par son sillage une jonque chargée d’ananas dont la propriétaire les couvrit d’injures. Thépin parvint à se faufiler derrière eux.

Assis à l’avant, Malko écarquillait les yeux. Une fois de plus, le tueur mystérieux lui avait faussé compagnie. Son seul espoir de retrouver la piste de Jim Stanford. Il avait mis le doigt sur une histoire beaucoup plus importante que la disparition d’un ex-agent secret. Mais quel lien y avait-il entre les armes trouvées dans la maison et la disparition de Jim Stanford ? En tout cas, c’était une grosse histoire : on ne tire pas à la mitrailleuse sur des gens sans une raison sérieuse. Même en Thaïlande.

Le colonel White, assis derrière Malko, avait vieilli de dix ans en dix minutes. Il cria à Malko, pour couvrir le rugissement du moteur :

— Joyce partait en permission de détente demain, pour rejoindre sa femme à Tokyo.

Moche.

Malko demanda :

— Croyez-vous maintenant que cela valait la peine de rechercher Jim Stanford ?

Le colonel haussa les épaules :

— Je sais que le lieutenant Joyce est mort, ça c’est sûr. Et que nous sommes tombés sur un trafic d’armes. Ces mitrailleuses proviennent des stocks japonais de la dernière guerre. On a trouvé les mêmes dans les maquis du Sud. Je ne vois pas ce que fait Jim Stanford là-dedans. Je ne suis même pas sûr qu’il ait été dans cette maison…

— Ah… fit Malko. Et ça ?

Il tendit à White un paquet de cigarettes froissé et vide.

— Vous connaissez beaucoup de Thaïs qui fument des Benson and Hedges ? La femme de Jim m’en a offert lorsque je lui ai rendu visite, en me précisant que c’étaient les seules cigarettes que fumait son mari.

Le colonel n’eut pas le temps de répondre. Kasesan poussa un cri, désignant du doigt une embarcation qui filait devant eux, occupée par un seul homme, avec une chemise blanche. Au moment où le Thaï criait, il se retourna.

Les trois hommes virent distinctement sa main droite tourner la poignée des gaz. Son sampan fit un bond en avant.

— C’est lui, crièrent Malko et White d’une seule voix. Ils n’étaient plus qu’à une centaine de mètres de la Ménam Chao Phraya. Le sampan poursuivi atteignit la rivière et tourna à droite vers le port. S’il arrivait à reprendre de l’avance ils le perdraient un peu plus loin, dans le dédale d’entrepôts – les halles nautiques – qui se trouvaient en amont de l’hôtel Oriental.

Le capitaine Kasesan sortit un pistolet à canon long, mais Malko arrêta son geste :

— Il nous faut cet homme vivant.

Pour une fois, White approuva vigoureusement.

À leur tour, ils tournaient dans la Ménam Chao Phraya. C’était l’heure de la plus grosse circulation. De lourdes jonques-autobus traversaient le fleuve partout en diagonale, amenant les employés de Domburi chez eux. Des dizaines de jonques de course filaient dans tous les sens, sans souci des collisions.

L’homme qu’ils poursuivaient piquait sur l’Hôtel Oriental, devant lequel se trouvait un gros cargo déchargeant des noix de coco. Il augmentait son avance à chaque seconde. Les dents serrées, Malko regardait la distance s’accroître entre eux et lui.

Encore cinq minutes et le tueur serait sauvé. Une fois à terre, il était à trente mètres de New Road, où il pouvait disparaître aisément. Il était midi et quart et une foule dense se déversait de tous les bureaux.

Soudain, le capitaine Kasesan poussa une exclamation : un gros patrouilleur gris venait de surgir de derrière le cargo, remontant lentement la rivière, le long de la rive droite. Il allait couper la route du sampan poursuivi.

Le capitaine thaï se mit debout et brandissant son pistolet, tira trois coups en l’air. Le résultat immédiat fut que le tueur poursuivi, persuadé qu’on tirait sur lui, commença à zigzaguer sur la Ménam Chao Phraya, en un slalom désespéré. Ce qui attira l’attention du patrouilleur.

Un projecteur clignota sur la dunette. Un marin armé d’un haut-parleur se pencha au bastingage et interpella l’homme. Le sampan poursuivi fila comme une flèche le long du patrouilleur. Celui-ci amorça un demi-tour, faisant chavirer dans sa hâte un sampan-taxi avec trois bonzes.

Horrible ! Trois taches jaunes sur la rivière. Cela commençait bien. D’autant que le patrouilleur, empêtré dans son virage coupait la route au sampan des poursuivants.

Apoplectique, le colonel White hurla une bordée d’injures. L’homme de barre évita de justesse la proue du bateau militaire qui tentait de se frayer un chemin à petits coups de sirène et se tourna vers le capitaine thaï pour demander des ordres.

L’homme poursuivi avait changé de direction. Il repartait vers la rive de Domburi, droit sur le temple de l’Aube, énorme pyramide de pierre, au bord de la rivière.

— Abordons-le hurla Malko. Sinon, on le perd.

Kasesan traduisit.

La jonque trembla sous l’effort du moteur. Cette fois, ils se rapprochaient. Et soudain, ce fut la catastrophe. Une jonque ventrue avait surgi devant eux, forte de son bon droit. Malko eut le temps de voir la face lunaire et paisible d’une femme à l’avant. La proue du sampan vola en éclats à la seconde où Malko plongeait, imité par tous les occupants. Le sampan coula aussitôt, entraîné par le lourd moteur. Le train de jonques était déjà passé. Les gens coururent à l’arrière pour voir l’accident.

Les cinq hommes pataugeaient tant bien que mal. Malko n’osait pas penser à ce qui pouvait se trouver dans cette eau nauséabonde où il ne voyait même pas ses mains tant elle était opaque.

Soudain, il entendit des appels et leva la tête : Thépin arrivait à la rescousse. Malko nagea de toutes ses forces vers le sampan, stoppé en travers du courant. Le colonel White s’y accrocha le premier, jurant et gesticulant. Il manqua faire chavirer l’embarcation en y hissant ses quatre-vingt-quinze kilos. Le capitaine Kasesan et Malko le rejoignirent. Le sampan poursuivi avait presque atteint l’embarcadère du Wat-Po.