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David Wise lui avait tendu un dossier avec quelques coupures de presse et avait demandé de but en blanc :

— Vous avez connu Jim Stanford, n’est-ce pas ? Malko avait plissé ses yeux dorés, plein de nostalgie.

C’était tout son passé qui remontait à la surface, ses débuts dans le métier d’espion. Après la guerre, Malko avait rencontré Jim Stanford chez des amis communs, à New York. Ils avaient tout de suite sympathisé.

Jim était un crack de l’époque héroïque de l’O.S.S., l’ancêtre turbulent de la Central Intelligence Agency. Pendant trois ans, il avait joué à cache-cache avec les Japonais dans les jungles impénétrables de Birmanie, de Thaïlande et de Malaisie. Ses renseignements avaient sauvé des milliers de vies chez les Alliés. Il parlait le thaï, le chinois, le malais et une demi-douzaine de dialectes locaux, et connaissait l’Asie du Sud-Est aussi bien que Washington Square.

À cette époque, Malko était à mille lieues de se lancer dans le Renseignement. Avec son goût des belles choses et le capital dont il disposait, il aurait plutôt penché vers le métier d’antiquaire et de décorateur.

Mais, à la fin de la soirée, Jim Stanford l’avait pris à part et lui avait dit à brûle-pourpoint :

— Il y a une organisation qui se monte en ce moment, quelque chose de passionnant pour un homme jeune comme vous.

Il s’agissait simplement de la C.I.A. Malko avait revu Jim. Ce dernier l’avait présenté à des tas de militaires et de fonctionnaires très mystérieux. Toujours, Jim répondait de lui. À tel point que Malko, un peu éberlué, s’en était étonné. L’Américain lui avait alors dit :

— Pendant deux ans, j’ai survécu uniquement parce que j’ai toujours su à qui je devais accorder ou refuser ma confiance…

La prodigieuse mémoire de Malko, son charme et le fait qu’il avait fui le communisme avaient fait le reste. Il aurait pu faire une carrière administrative mais avait préféré le monde plus souple des agents « noirs ».

Jim Stanford avait guidé ses premiers pas et l’avait conseillé pour ses premières missions. Ils s’écrivaient de temps à autre et se retrouvaient toujours avec plaisir, réunis par une sorte de complicité. Ils étaient tous les deux de la même race. Indépendants et épris d’aventure.

Ce n’était pas un espion professionnel, mais un des derniers grands aventuriers. D’ailleurs, la guerre terminée, il n’avait pas regagné les U.S.A., avait épousé une Thaï ravissante et s’était établi marchand de soie thaï à Bangkok, spécialité où il avait très vite dépassé les autochtones. Grâce en partie aux contacts qu’il avait gardés dans la population locale.

Sa maison, à Bangkok était devenue une sorte de musée d’art thaï et khmer, une merveille que les antiquaires du monde entier visitaient avec ravissement.

Jim Stanford.

Malko ferma les yeux et revit en imagination sa haute silhouette mince, ses cheveux argentés et son air perpétuellement moqueur. Il l’avait revu deux ans auparavant, à New York. Jim était venu avec l’intention de monter un magasin à New York. Il avait renoncé, effrayé par le rythme de la ville et avait repris l’avion pour sa Thaïlande qu’il adorait. Avant, il avait déjeuné avec Malko dans un petit bistrot de la 42e Rue possédant une terrasse, chose rarissime à New York. Il semblait heureux et détendu.

— Les affaires, c’est amusant aussi, avait-il confié à Malko. Pour moi, le Renseignement c’est fini. Je pantoufle.

Malko avait levé les yeux sur David Wise.

— Qu’est-il arrivé à Jim Stanford ?

— Il a disparu. Il est sorti de chez lui un matin, comme d’habitude, après avoir embrassé sa femme, pour une promenade, et on ne l’a jamais revu. On a seulement retrouvé sa voiture. En parfait état. À cent vingt-cinq kilomètres de Bangkok. Depuis, plus rien. Pas de demande de rançon, pas de corps retrouvé, la police locale n’y comprend rien.

Dans le Renseignement, une disparition, ce n’est jamais un bon signe. Pourtant, bizarrement, il n’était pas inquiet. Il n’arrivait pas à imaginer qu’il puisse arriver quelque chose à Jim Stanford, l’indestructible. Apparemment Jim n’avait pas complètement pantouflé. Cette disparition sentait le coup tordu, très barbouze. Quand on a été dans cet engrenage-là, on n’en sort jamais tout à fait, qu’on le veuille ou non. Même si on vend de la soie.

— Cela vous ennuierait d’aller faire un tour à Bangkok ? avait demandé poliment David Wise.

De quoi faire sursauter Malko.

— En Thaïlande, il y a des tas de gens là-bas, avait-il protesté. Beaucoup mieux placés que moi. C’est une histoire locale. Il faut des informations sur place, des contacts. Le bureau de Bangkok est beaucoup mieux placé que moi, non ?

— Non.

À travers le bureau, David Wise avait tendu un paquet de photos à Malko.

— Regardez.

Malko avait failli les laisser tomber. Puis, fasciné d’horreur, les avait examinées attentivement. Elles représentaient toutes la même chose. Le corps d’une femme d’une cinquantaine d’années, étendu sur le carrelage d’une cuisine, dans une mare de sang. Les blessures étaient affreuses, la tête à demi détachée du tronc, le dos et les jambes profondément entaillés. Malko ferma les yeux devant le cliché représentant ce qui avait été le visage. Insoutenable. La dernière photo représentait une hache, un vulgaire instrument à manche de bois. On y distinguait encore les taches de sang. Écœuré, Malko reposa les photos.

— Qui est-ce ?

David Wise était resté impassible.

— La sœur de Jim Stanford. Elle a été assassinée il y a quarante-huit heures. Trois jours après la disparition de son frère. Sans aucun motif apparent. Le bungalow où elle demeurait à Pacific Palisades, dans la banlieue de Los Angeles, n’a même pas été fouillé. Elle vivait seule L’assassin ou les assassins n’ont laissé aucune trace.

« D’après ce que nous avons pu reconstituer, ils sont venus vers neuf heures du soir et sont repartis immédiatement, en voiture. Des voisins ont aperçu une Pontiac noire. C’est tout. Le F.B.I. a mis cinquante hommes sur l’affaire, mais je suis sûr qu’ils ne trouveront rien. La clé de ce meurtre est à Bangkok. Vous voyez que ce n’est pas une affaire locale, comme vous dites.

— Et la femme de Jim ?

Malko se souvenait des photos que son ami lui avait montrées. Une grande Asiatique au visage régulier et beau. Le chef du département des plans avait soupiré :

— C’est là qu’est le hic. On n’a pas touché un cheveu de sa tête. Je m’en suis assuré immédiatement.

— Pourquoi la sœur, alors ?

David Wise avait allumé une cigarette et soufflé la fumée droit devant lui :

— Si je le savais ! Je n’en ai pas la moindre idée. Et j’ai peur de la suite. Ce n’est pas par hasard que l’on a tué cette malheureuse de cette façon inhumaine, deux jours après la disparition de son frère.

« Dans notre métier, ces coïncidences-là n’existent pas. Aussi j’ai pensé à vous. Parce que Jim Stanford est en danger et que j’ai l’impression qu’il va falloir beaucoup d’astuce pour lui sauver la peau, s’il est encore temps. Il y a une raison supplémentaire à votre départ : Jim n’appartient plus au Service depuis des années. Mais il nous a rendu de tels services que je ne peux pas le laisser tomber dans un moment pareil. Mais je ne peux pas non plus demander au colonel White de tout laisser tomber pour retrouver Jim Stanford. Il me faut un outsider, qui se consacre entièrement à cette affaire.